my dick is (what?) my dick is (who ? chika chika) real tiny

« Docteur pour les populations indigènes. Ça, ça serait cool. Tu sais, y a accès à rien, dans les régions moins centrales ici. On meurt à 30 ans d’une infection à la con qu’on soigne avec un cachet en ville… »

Son amie lui répond d’un rire désabusé, main posée sur son ventre qui s’agite sous le soubresaut. « Encore avec cette histoire, Al ? » Ce rire, Alessa le connaît bien. C’est celui qu’elle déteste tant, un peu méprisant ; celui d’un adulte qui écoute les élucubrations délirantes d’un enfant. Celui qui lui signifie qu’à presque quinze ans, il est peut-être temps de grandir.

« C’est vrai, se rebiffe-t-elle. Si la famille de mon père est venue s’installer à Arequipa c’est parce que la vie y est beaucoup moins dure qu’en montagne. Etre reclus aujourd’hui, c’est du suicide. »

« Et ça paie, au moins, ce genre de truc ? »

Dania a seize ans, elle. Presque dix-sept, et son année et demie supplémentaire lui donne comme droit de parole sur les opinions et décisions de la cadette. Cette dernière fronce les sourcils face à l’ironie de son ton, détache sa main de celle de sa petite-amie. « C’est pas une question d’argent », grogne-t-elle et cette fois, Dania comprend que le ton de la plus jeune est final et sans appel. Une main se tend à travers le lit, vient récupérer la main perdue, l’enserre dans la sienne en un désolée muet qu’elles se communiquent si souvent. Trop souvent. Un trop-plein de fierté dont  la métisse se regorge à défaut de savoir laisser ses faiblesses déborder.
Pourtant cette fois-ci, c’est elle qui tourne la tête. C’est elle qui s’entend avaler sa salive, un peu trop fort, pour demander du bout des lèvres, craignant la réponse qu’elle connaissait pourtant déjà :

« Tu penses que c’est inutile ? »

Le silence qui lui répond lui fait regretter cette conversation entière. La gorge sèche, elle garde les yeux fixés vers le plafond tandis qu’autour de sa main moite, la poigne de Dania se desserre.

« Peut-être un peu. » admet-elle, emportant la conversation dans son silence.

Ce fut la dernière fois qu’Alessa parla de ses rêves.


« Ca a l’air d’être une bonne fac », remarque Dania depuis le lit.

Un grognement lui parvient pour toute réponse de la fine silhouette accroupie devant sa prise portable branchée. « T’as l’air super emballée. »

Cette fois la tignasse brune daigne lui répondre. « C’est qu’une fac. »

« Une bonne fac, Al, je pensais que tu montrerais plus de fierté à avoir été admise. A Seoul en plus. »

Enième grognement. Elle aimerait lui dire, Al. Lui faire comprendre que partir au bout du monde pour des études qu’elle peut pas faire chez elle, ça l’angoisse. Quitter sa maison, son foyer, Dania, la ville dans laquelle on a passé sa vie, ça n’a rien d’enviable. Puis, elle flippe. Elle qui ne connaît que sa petite ville blanche au milieu des Andes craint la mentalité du citadin pressé, auquel elle a peur de ne savoir s’accoutumer. Encore pire, elle flippe de ne trouver là-bas que la confirmation de ses craintes grandissantes : qu’elle ne trouvera pas ce qu’elle cherchait là-bas. Ni ailleurs. Qu’à vingt et un ans le pragmatisme se devait de dépasser un idéal naïf.

Mais chaque fois qu’elle se retourne pour quémander réassurance, Alessa ne trouve que rancœur, cynisme, douleur face à son idéalisme effronté qui n’écoute que lui-même. Alors Alessa a cessé de se retourner. Elle se mord la lèvre lorsque Dania ajoute encore : « C’est loin quand même. Ton père va pas se remettre. » La concernée enfonce son pouce sur l’écran tactile, le message se terminant sur une traînée de eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee qui la détendent, momentanément. « Dani…

- Tu vas t’éclater », la coupe celle-ci.

Et cette fois c’est Alessa qui vient la rejoindre sur le lit, tenter de loger sa tête dans son cou, attraper sa main. Dania la refuse.

Sa première pensée une fois sur le sol coréen, elle va pour le confort du bus dans lequel elle s’est installée direction le centre-ville, sur lequel est situé son campus. Le chemin est long mais moins cher que l’option taxi ou train et Alessa serre contre elle son gros bagage à main, n’ayant pu se retenir à sa valise. Derrière la vitre se déroulent un nombre incalculable de buildings, armés de panneaux recouverts de l’écriture qu’elle remercie soudain sa mère de lui avoir appris à lire.

Sa deuxième pensée, c’est que finalement, elle va peut-être se plaire ici.

Le campus rivalise en grandeur avec sa ville natale, mais avec le double d’habitants. Chaque bâtiment libère et ingère simultanément une floppée d’étudiants, et elle croise plus de gens en entrant dans sa résidence universitaire qu’il n’y en a durant les festivals de sa province. On lui montre sa chambre, on la laisse s’installer avant de lui proposer chaleureusement de redescendre pour un tour plus approfondi du campus, sans sa grosse valise. Elle dit merci, elle souffle, elle défait ses bagages. Le premier truc qu’elle chope, c’est son sac de bonbons à la coca et son sachet de feuilles. De son sac à dos elle extirpe des photos prises à l’arrache à l’aéroport. Dania n’y est pas. Ses parents sourient avec les dents et le reste de la famille qui a tenu à l’accompagner ont tenu à signer les clichés polaroïds, dont l’encre a taché certaines des photos.

Pour la centième fois en quelques jours, Alessa réprime des larmes.

Ses doigts repassent sur les photos un peu pliées, aux coins un peu cornés, avec une attention particulière. Elles ont rejoint la pile qu’elle garde près de son lit, avec les photos les plus récentes, celles où son père et sa mère sourient sans arborer cet air anxieux que renvoyaient les premiers clichés, où Dania la tient par l’épaule et où ses propres traits comprimés semblent avoir pris vingt ans et s’être détendus simultanément. Gaeul est là, aussi, ses yeux toujours un peu alertes, pas tout à fait à l’aise dans son nouveau pays d’accueil.

Les souvenirs ont un goût un peu plus amer, maintenant qu’elle s’autorise à y penser. Les deux dernières années de sa vie ressemblent davantage à un de ces cauchemars fiévreux desquels on sort difficilement, auxquelles s’ajoutent les conséquences bien réelles. La peur de rater mais ne rien faire pour réussir. La peur d’overdoser mais la dépendance trop forte pour que vienne à l’esprit l’idée même d’arrêter. La peur, mêlée à l’envie, de perdre contact avec sa famille. Elle se demande ce qui reste de ses moments les plus sombres. D’apparence, pas grand-chose, sûrement : un badge « 2 mois » en témoin d’une sobriété vacillante, des études en reprise de vitesse mais sans projet de futur aucun, des relations brisées par le ressac coléreux de ses émotions instables. Pas les cris, pas les fuites, pas la violence. Les ratures ne sont que ça : périssables, gommées à l’envie par ses souvenirs enjolivés et le pardon trop clément de ses proches. Elle se déteste pour ça.

Elle lisse du plat de la main une photo cornée. Plus récente, celle-là. La famille pose au complet devant les célébrations du carnaval local. Le sourire de la jeune Péruvienne semble détendu, sincère, libéré de l’abus de substances et des doutes qui l’affligeaient au quotidien en Corée du Sud. Elle a l’air chez elle. De retour ici, elle ne l’est toujours pas. Elle a mis trop longtemps à s’en apercevoir.