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Yon permet un gros sourire même si de dos, il n’est pas perçu. « Tellement, » l’assure-t-elle, occupée à manier beaucoup trop de casseroles et de poiles à la fois. « Elle est magnifique. »
Il y a une petite pause, puis : « plus que moi ? »
Cette fois-ci, elle se retourne pour mieux la voir. Elle éclate de rire quand elle remarque les yeux écarquillés de sa petite sœur. « Bah non. N’importe quoi. » Elle lève un sourcil, convaincue lorsqu’elle continue : « Toi tu es la plus belle princesse au monde. » Et elle devine que c’est la bonne chose à dire, car l’enfant lui affiche la panoplie de ses dents, yeux étirés en deux croissants identiques pour marquer sa satisfaction. L’aînée secoue la tête, faussement indignée par ses bouffonneries.
On ne peut le nier : Hana est une Bora toute crachée.
« Elle sait que c’est mon anniversaire ? » La gosse quitte sa place pour approcher la brune qui s’est retournée, encore. Elle n’aime pas parler au dos des gens. Dès qu’elle est assez proche du plancher de travail, elle vole un bout de rice cake.
Yon prétend n’avoir rien vu. « Oui oui. Elle t’a même pris un cadeau. »
« Ok. J’aime déjà tante Bora. » Elle le proclame haut et fort, parce qu’il en faut peu pour la rendre heureuse. Sournoise, elle déglutit puis tente de voler un autre morceau – une petite tape sur la main lui arrache un rire surpris. Elle ouvre la bouche, scandalisée et sur le point de se lamenter quand on sonne à la porte. Ses yeux s’illuminent instantanément. « C’est elle ! » s’écrit-elle, surexcitée. Elle court jusqu’à la porte, même si elle n’est pas assez grande pour pouvoir l’ouvrir.
« Hana – doucement ! » Implore l’avocate, plaçant l’assiette de kimchi jeon sur la table à manger avant de la suivre. Ignorée. En attendant que celle-ci arrive, Hana lance un « coucou ! » animé à l’invitée, son oreille collée à l’obstacle qui les sépare en attente d’une réponse quelconque. Yon lâche un souffle mi-exaspéré, mi-amusé. Elle défait la serrure et intime l’enfant à se décoller de la porte pour qu’elle puisse l’ouvrir. Tantôt la tâche remplie, tantôt – « Tante Bora ! » geint Hana, se jetant en avant pour s’accrocher à la jambe de l’arrivante.
L’aînée des No ouvre la porte un peu plus pour que les deux filles rentrent avant de la refermer derrière elles. Elle lance un regard désolé vers sa meilleure amie avant de l’étreindre à son tour, quoique plus brièvement et beaucoup moins fort que la petite naine qui reste attachée à sa jambe. « Je crois qu’elle a mangé beaucoup trop de sucreries. » Explique-t-elle, incertaine. « Ou alors, c’est l’effet anniversaire ? »
Dans tous les cas, ç’allait être une longue soirée.
au bout de la rue comme une terre d'asile, il y a cet abri, seul refuge d'un espoir ; et dernière cette porte c'est sa rémission qui l'attend, désespérément, jeune, impatiente. pourtant, l’âme meurtrie par une angoisse prématurée, bora avance à reculons l'esprit hanté par l’énumération de ses actions et inactions. puis vient l'effroi, car la vie est d’abord ténèbres, d’abord angoisse, d’abord peur de vivre, et inconsciemment bora en voit tout ce qui peut en résulter de désagréable ou de fâcheux. même ces retrouvailles, même cette joie inespérée de la retrouver, restaient mélancoliques ; hélas il subsiste, malgré tout, une inquiétude planant sur les choses.
car oui, bora a peur, peur de cette rencontre aussi simple soit-elle, peur du rejet par son propre enfant, peur de ne pas être à la hauteur, comme autrefois, comme maintenant.
mais malgré toutes ces incertitudes, bora la sait, elle doit aller de l'avant. sinon, jamais ils ne pourront se retrouver. alors, de ses mains transies, elle appuie, faible, sur cette sonnerie qui résonne comme le glas ; l'atmosphère a soudainement le goût horrible de la terreur et les murs semblent se dresser devant elle comme une prison. lentement, son coeur glisse vers les affres de ses regrets sempiternels, une punition éternelle qui la tient prisonnière. sans espérance, elle attend, anxieusement, nerveusement que cette maudite porte s'ouvre enfin. puis vient la délivrance ; un ange apparaît, parfaite, souriante, l'enveloppant de sa chaleureuse lumière.
c'est hana.
l'enfant s'accroche, éperdument, riant aux larmes. bora contemple la scène, heureuse, la paupière mi-clause pour dissimuler l'effluve joyeuse qui perle le coin de ses yeux. puis, ses prunelles cherchent yon, sa douce amie, pour lui demander son approbation avant de pendre la petite fille dans ses bras. « oui, tante bora est là ! » ses mots s'accompagnent de douces caresses et de timides étreintes. bora se sent légère, sereine, totalement apaisée l'esprit transformé par la beauté de son amour, le coeur enseveli dans un sarcophage de joie. pour la première fois depuis longtemps, bora vit. « je t'ai apporté un petit cadeau, mais avant, rentrons, d'accord ? » à nouveau, bora se sépare d'hana qui reste néanmoins accrochée à sa jambe — difficile de marcher ainsi.
« merci de prendre soin d'elle... » s'ensuit une faible étreinte, un tendre baiser sur sa joue, puis des larmes de soulagement. « je pense qu'elle est surtout excitée de recevoir son cadeau. je lui ai pris une barbie princesse sirène je ne sais quoi... mais sa queue change de couleur dans l'eau. j'espère qu'elle va aimer. d'ailleurs, yon... il faut que je te parle... en privé si possible... le père de jun est au courant pour hana. »
Yon les observe d’un sourire au coin, amusée par sa meilleure amie qui essaye de marcher malgré sa jambe à moitié immobilisée. Hana ne semble pas décidée à lâcher l’affaire, en plus, et même pas au mot cadeau. L’avocate devine que c’est dû au manque – elle adore sa Tante Bora et elles se voient si rarement. D’occasion en occasion, parfois qu’une fois ou deux de toute l’année. Leur situation oblige.
C’est les mots de Bora qui l’arrachent à ses pensées la ramènent au moment présent et elle se raidit tantôt ses dires digérés. Le père de Jun est au courant. Et merde. Elle s’extirpe de l’éreinte, mais entrelace leur doigts en guise d’assurance. « Hana, va poser ton cadeau sur la table du salon avec le reste, s’il te plaît, » demande-t-elle, haussant un sourcil lorsque la gosse lui lance son regard de petit chiot blessé. « Maintenant. » Le petit diable grogne mais ne dit rien de plus. Elle prend le sac tendu par leur invité, soupirant un petit merci avant de sprinter vers le salon. Yon regagne le regard de Bora, plus sérieuse maintenant qu’elles sont seules. « Comment se fait-il ? » Elle avait bien recouvert leurs pas – il n’aurait jamais dû être capable de faire le lien entre Hana et Bora et – « Il veut quoi, maintenant qu’il sait ? La voir ? Il t’a menacé ? » Sa mâchoire se crispe, elle lâche enfin sa main. « Je vais le détruire s’il s’approche d’Hana. Je vais le détruire s’il s’approche encore de toi. » Et elle en est capable. Elle veut passer à l’offense avant qu’on ne s’illusionne qu’elles sont en position de faiblesse. Parce qu’elles ne le sont pas. C’est les deux filles les plus importantes dans sa vie. Les plus présentes, aussi. Celles qui sont restées avec elle malgré tous ses défauts. Elle ne va pas permettre à un scumbag de lui voler ça. « Qui est mort ? »
Yon se retourne pour trouver sa petite sœur en train de les analyser, un peu confuse de les retrouver si sérieuses alors qu’elle les avait quittées toutes souriantes. « Oh, personne, » répond-t-elle, commissures qui s’étirent pour rassurer. Pour l’instant. « Bon. Et si on passe à table ? Elle a cours demain, du coup je dois la mettre au lit avant dix heures. » Un petit coup d’œil vers sa montre-bracelet suffit pour confirmer qu’elles doivent arrêter de traîner. Elle réprime un gros sourire lorsqu’Hana prend la main de Bora pour la guider vers la cuisine. Elle a le cœur lourd, talonnant derrière elles. Elle ne veut pas les perdre.
l’enfant s’en va, son petit pied colérique frappant le sol. elle le fait exprès, bora le sait. mais c’est ainsi, hana ne doit pas savoir. il est préférable, pour le moment, comme pour jun, qu’elle ne sache rien de cette sombre réalité qui pèse sur son petit être. hana est encore bien trop jeune et innocente pour affronter ce monde terrifiant.
« il est courant, je ne sais rien de plus. du moins, il ne m’a rien dit de plus. au départ, j’ai cru que c’était du bluff, mais lorsqu’il a prononcé son prénom… j’ai tout de suite compris qu’il était très sérieux… » bora soupire longuement, souffrante de nouveaux maux qu’elle ne parvenait pas à exprimer. elle sent à les dire plus de douleur qu’à les porter. malheureusement, se taire n’arrangerait en rien cette désolante situation. « il ne m’a pas menacé, pas explicitement, mais il m’a fait comprendre… je ne dois plus apparaitre dans la vie de jun, sinon… » son souffle s’exténue et les mots se dérobent sous sa lèvre craintive, ne laissant derrière eux que cet angoissant silence. l'appréhension de ses propres propos l'avait saisie d’effroi. pour bora, comme pour hana, le pire restait à venir. « il va me la prendre yon… tu sais comment ça se passe ici… les mères célibataires n’existent pas ! et ils ont tous les droits… c’est sa fille. » bouleversée par cette odieuse fatalité, elle trouva vite refuge dans les bras de son amie, les mains transies de peur agrippant ce qu'elles pouvaient des vêtements de la brune. tout son corps hurlait d'effroi. pourtant, elle resta muette, la gorge nouée, ne versant aucune larme.
« Qui est mort ? »
bora s'éloigne, libérant son amie de son étreinte forcée. heureusement pour elles, il ne s'agissait que de la petite soeur de yon. et pendant qu'elles parlent, bora profite de l'instant pour retrouver son calme et moucher son nez dans ce qui lui reste de ce morceau de tissu. néanmoins, malgré tous ses efforts, elle ne parvenait pas à sourire et ce, même devant hana.
les pensées ombragées, craintive de ce malheur qui les guette, elle contemple la fascinante décoration dont est faite le gâteau. jamais elle n'avait porté autant d'attention à une sucrerie. heureusement qu'il y avait hana et son énergie sans frontière pour l'arracher de ses sombres pensées. c'est uniquement grâce à sa présence que bora avait repris connexion avec le monde réel. « joyeux anniversaire hana, joyeux anniversaire hana... » la musique, incessante, se répète encore et encore. bora chante de vive voix, l'âme transcendée par cette douce ivresse qu'on surnomme la joie. néanmoins, au-dessus d'elle, plane toujours cette ombre.
enfin, hana souffle ses bougies et la jeune mère sentit comme un pincement au coeur — encore une année de passée sans pouvoir la regarder grandir. malheureusement, ce ne sera pas la dernière. cependant, pour bora, comme pour hana, cette soirée est l'unique occasion de rattraper le temps perdu. mais, quelques heures c'est tellement peu quand on passe trois cent soixante-cinq jours à se languir de la candide ardeur de son enfant et rêver des moments qui n'auront jamais lieu d'être. « hana... tu aimerais partir en voyage avec tante bora ? » et si fuir était la seule issue possible ?
Profane, elle l’a toujours connu ainsi, le père de Jun. Dur comme le sien, plus cruel encore quand il s’y met, c’est un homme qui ne connaît pas de limites lorsqu’il s’agit de s’accaparer de ce qu’il veut. S’accaparer, parce qu’il ne veut que ce qu’il doit prendre de force, par le moyen de l’argent ou des faiblesses d’autrui. Et l’avocate n’est pas près de le laisser les bully en posant des ultimatums comme bon lui semble. Plus maintenant. Elle ne veut plus que Bora se sente contrainte à faire les choses – elle a trop longtemps vécu ainsi, volée de son libre arbitre, et lui demander d’arrêter d’être avec lui, ou de choisir entre l’homme de sa vie et sa fille, c’est comme lui demander d’arrêter d’être. Yon n’a pas peur de le faire remarquer : il n’y a que Jun et Hana qui savent accrocher les étoiles dans ses yeux et l’absence de l’un suffit pour les éteindre.
Elle sent une légère pression au bout de ses manches. Elle lève le nez pour trouver une Hana qui la regarde de ses gros yeux illuminés de malice. « Tu fais une drôle de tête. »« Ah ? »« Oui, tu fais comme ça – » L’enfant fait chuter les commissures de ses lèvres et offre un regard chargé de consternation à ses aînées. Yon ne réprime pas le rire qui éclate dans sa gorge, main qui va involontairement pincer sa joue malgré les protestations. « Ok, Smarty Pants. Mange ton gâteau, comme ça on pourra passer aux cadeaux, hm ? » Hana n’avale même pas avant de répondre d’un « j’ai presque fini » difficilement compréhensible.
En face d’elles, Bora se tient silencieuse, observatrice. Le sourire qui joue sur ses lèvres vacille par moments, et avec ses yeux s’assombrissent comme pour dénoncer l’orage qui s’y cache. La grande No recouvre sa main par la sienne, sur la table, et laisse son pousse tracer des arabesques consolatrices pour gagner son attention. Elle lui offre un petit sourire, lui articulant un ça ira muet qu’elle espère rassurer.
Rien.
Yon a à cligner deux fois de suite pour digérer ce que la brune vient de dire, mais la réaction de Hana est momentanée. « Oui ! Pour les vacances ? Ces vacances d’été ? » Il y a un amas d’étoiles dans ses iris lorsqu’elle les regarde, alternant entre les deux femmes. « Rien que nous deux ? » Elle ne les laisse pas placer un mot. « Unnie, je peux ? »Great. L’avocate regarde sa meilleure amie, essaye de l’étudier et de voir à quoi elle joue parce qu’elles n’ont jamais discuté de ça, et elles discutent toujours de tout quand il s’agit de la gosse. Méfiante, elle tente une réponse ouverte. « Oui. Pour ces vacances… enfin, je pense ? » C’est plus pour Bora que pour Hana qu’elle le dit, et elle est certaine que l’intéressée en est consciente. Elle ne trouve pas l’idée bien mauvaise, qu’elles passent du temps ensemble – au contraire, elle l’encourage fortement. Mais là, si elle a bien compris, sa meilleure amie envisage un enlèvement et tandis qu’elle comprend que ses émotions brouillent sa logique, elle ne va pas faire genre ce n’est pas absurde d’y penser. « Hana, tu as fini ? Tu veux aller déballer tes cadeaux pendant qu’on range ? » La jeune fille n’a pas l’air convaincue, mais ça parle de cadeaux et elle ne va pas se faire prier. Elle prend un dernier bout de cake avant de courir vers le séjour.
« What the hell were you thinking ? » Ton contrôlé, voix basse, Yon tente de comprendre. « Tu penses vraiment que c’est une solution, de lui ruiner la vie au lieu de rester et se battre ? »
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Sam 16 Juin - 14:38
« Et elle est belle ? »
au bout de la rue comme une terre d'asile, il y a cet abri, seul refuge d'un espoir ; et dernière cette porte c'est sa rémission qui l'attend, désespérément, jeune, impatiente. pourtant, l’âme meurtrie par une angoisse prématurée, bora avance à reculons l'esprit hanté par l’énumération de ses actions et inactions. puis vient l'effroi, car la vie est d’abord ténèbres, d’abord angoisse, d’abord peur de vivre, et inconsciemment bora en voit tout ce qui peut en résulter de désagréable ou de fâcheux. même ces retrouvailles, même cette joie inespérée de la retrouver, restaient mélancoliques ; hélas il subsiste, malgré tout, une inquiétude planant sur les choses. 
