(tokyo) fade out

Sueur glissant sur l’épiderme délicatement huilé, les lèvres qui se pincent, les paumes ouvertes qui épousent les courbes d’un autre corps halé. Les lumières sont tout autour de lui, aveuglantes, il a l’impression de ne jamais réellement pouvoir s’y habituer, malgré toutes ces années où il s’y est exposé maintes fois. La voix du réalisateur résonne brusquement, leur demandant de tout arrêter. Son co-acteur a fait une erreur d’après lui, Juno laisse filtre un soupir ponctué d’une petite moue désolée envers le garçon. Il était débutant et il n’en était qu’à son deuxième ou troisième tournage, il était nouveau dans l’agence et Juno se revoyait lui aussi à sa place quand il faisait ses premiers pas dans cette carrière. Surement de là que lui venait ce petit sentiment de protection envers le jeune homme et plutôt que de s’agacer de devoir tourner les mêmes scènes à plusieurs reprises, il lui offre un simple regard encourageant et une petite tape réconfortant sur le rebondi de son épaule. Ils ont quasiment une heure de retard, il aurait dû déjà terminer et être en chemin pour rentrer chez lui. Un membre du staff s’approche d’eux et Juno comprend rapidement qu’ils veulent parler à l’autre acteur, il les laisse et se dirige vers Hyunseong après avoir enfilé rapidement un peignoir, plus pour éviter un coup de froid que par désir de dissimuler sa nudité.

Un « Babe. » long et boudeur quitte ses lèvres alors qu’il s’accapare le bras du manager, les yeux ne perdant pourtant pas de vue la silhouette de l’acteur. « Je suis désolé que ça prenne autant de temps, je pense pas que le resto’ qu’on voulait se faire soit toujours ouvert. » Bien sûr ils avaient toute la vie pour des dîners romantiques mais il a conscience que Hyunseong n’aime pas les changements de programmes, même si la faute ne vient pas de lui. Il quitte le bras du coréen en percevant l’acteur se rapprocher d’eux, pour les informer que le tournage était reporté pour le lendemain. Juno retrouve rapidement le sourire, sa main vient trouver le bras du jeune homme pour y laisser une longue caresse. « Ne sois pas triste d’accord ? ça ira mieux demain. » Les mots qui se veulent réconfortant et un clin d’œil naturellement charmeur, il n’y pense pas réellement. Il continue de frotter le bras sous ses doigts.

Les doigts qui enserrent le gobelet où son café encore intouché refroidit, prêts à faire craquer le carton du récipient, à l’image de son cœur qui se serre à la vue de la scène qui lui fait face. Hyunseong en a l’habitude, c’est juste le décor qui change de temps à autres. Les étreintes charnelles et les soupirs tout aussi éhontés ne suscitent presque plus rien en lui, il se laisse simplement aveugler par la lumière des projecteurs dans lesquelles le corps de Juno se noie, disparaît jusqu’à ce qu’il ne puisse plus le voir se tâcher des caresses d’un autre. Ce sont les regards tendres et les sourires charmeurs qui le tuent à chaque fois. Parce que personne n’y oblige Juno, ils ne sont pas dans ses contrats, pas des gestes qu’il effectue sans sentiments simplement pour honorer ses obligations. Il les choisit, au lieu de le choisir lui, et ses doigts se resserrent, tout autant que sa mâchoire, jusqu’à faire éclater le plastique dans sa paume.

Il ne prend pas la peine de relever le regard vers Juno lorsqu’il l’interpelle, seul un « Hm. » las quitte ses lèvres alors qu’il essuie sa main du café froid. Il avait raison de ne pas le faire, son regard suit finalement celui de l’acteur pour se poser sur le nouveau et son corps se crispe à cette réalisation. Même à ses côtés, il reste invisible. « Yeah, figured. » Soudainement désintéressé par leurs plans, par Juno. Si son attention n’est pas braquée uniquement sur lui, il n’en veut pas, et il ne prendra pas la peine de la lui rendre. Il ne semble pas en vouloir, de toute façon, Juno l’abandonne rapidement et Hyunseong ne peut que le regarder faire, bouillonnant de rage devant l’affection dont il couvre le nouvel acteur, devant ses petites attentions et sa tendresse dont il pensait être le seul récipient. Il regarde ce gamin le dérober de l’amour qui lui appartient et il doit se forcer à aller parler au directeur à propos du report du tournage pour maintenir son calme. Il revient quelques instants après, tapotant l’épaule de Juno sans tendresse alors qu’il interrompt sans gêne sa conversation. « Rhabille-toi, on rentre. » Les mots secs, sans merci, il finit à peine de les prononcer qu’il se dirige déjà vers l’extérieur, clés de voiture en mains, son épaule se heurtant à celle de l’autre acteur en chemin.

Il ne remarque pas la tension de sa mâchoire ou le vide de ses yeux, pas même le gobelet de café écrasé, non, Juno ne remarque jamais rien, ou pas immédiatement. Même quand il s’approche de Hyunseong, c’est vers un autre que son regard inquiet se pose et il n’y voit pas le moindre mal. Les mots se détachent de ses lèvres, tristes à l’idée du restaurant qu’ils ne pourront surement pas faire vu l’heure de plus en plus tardives, mais ses yeux, eux, ils restent toujours fixés sur le jeune acteur qui se fait souvent sermonner par le réalisateur à cet instant. Juno est pris de l’envie de l’aider et le protéger, ce n’est pas mué par le moindre sentiment malsain, il a juste l’impression d’aider un petit-frère et est juste heureux de ce qu’il dire qu’il peut faciliter la vie à quelqu’un. Il ne remarque pas encore la lassitude dans la voix de Hyunseong et ses gestes mécaniques. Il n’en a pas le temps parce que le jeune débutant est déjà face à eux, ses yeux de chiot le scrutent dans des excuses silencieuses alors qu’il lui fait part de la fin du tournage. Juno soupire faiblement, il avait envie de paresser au lit le lendemain et profiter de l’étreinte de Hyunseong mais il comprend qu’il devra reporter. Il essaye malgré tout de ne pas montrer sa déception face à l’acteur et se contente de quelques sourires encourageants.

Du coin de l’œil, il observe Hyunseong s’éloigner en direction du directeur. Juno continue à tapoter affectueusement l’épaule de l’acteur, répétant les mêmes mots rassurants. C’est ce même geste qu’il sent sur sa propre épaule quelques secondes après, mais les mots plus secs. Il se tourne vers Hyunseong, les yeux interrogateur mais le jeune homme ne pouvait rien en voir, il était déjà dos à lui. « Hyunseong. » Son prénom finit dans le vide. Juno s’empresse vers un porte-manteau où il avait laissé ses vêtements, pas besoin d’une loge pour se changer quand le staff voit tout de lui. Il balbutie quelques rapides politesses envers les employés avant de quitter le studio. « Hyunseong. » Son prénom qui résonne encore une fois le pied dehors. Il monte dans la voiture, côté passager, les yeux rivés vers son homme. « Qu’est-ce qu’il y’a ? Tu m’as même pas laissé le temps de prendre une douche. » Ses vêtements lui collaient à la peau à cause de l’huile et la sueur, la sensation est désagréable. Mais ce qu’il l’est plus, c’est l’aura négative qu’il sent enfin émaner de lui.

Ça n’a rien de nouveau, Hyunseong aurait dû s’y faire depuis le temps. Juno a le sourire facile et la tendresse débordante, toujours prêt à en faire profiter son prochain. C’est une des nombreuses raisons pour lesquelles il est tombé amoureux de lui : Juno lui rappelait tout ce qui est bon dans le monde. Il rayonnait suffisamment pour estomper de son aura tout le reste, et avant même qu’ils ne soient réellement proches, c’était lui qui lui donnait une raison d’avancer, une raison de vivre. Mais maintenant qu’il est à lui, ça devient insoutenable. Hyunseong ne peut plus supporter de le voir ainsi. La douceur et la gentillesse dont il aimait tant le voir faire preuve lui appartiennent, à présent, il s’accapare toutes ses vertus et Juno n’a pas le droit de les montrer à quelqu’un d’autre. Il interrompt cette démonstration effrontée pour le presser de s’habiller pour qu’ils rentrent. Personne d’autre que lui n’aura Juno, il est prêt à en priver le monde entier.

Juno quémande son attention et Hyunseong l’ignore, il ne répond déjà plus de rien ni de lui-même. Il ne veut que s’éloigner de cet endroit et surtout en éloigner son homme, le ramener à l’intimité de leur maison où personne ne pourra se mettre entre eux. Il prend la peine d’attendre qu’il le rattrape mais s’enfonce dans la voiture dès que c’est fait. « Tu peux le faire à la maison. » Son regard sur lui pèse mais Hyunseong ne le croise pas, c’est comme s’il n’existait plus à présent. Il démarre la voiture, sans doute avec plus d’empressement que d’habitude, son respect pour les règles de circulation délaissé au profit de son envie de fuir. Fuir les regards étrangers, les parasites, fuir la rage qui gronde en lui. « Sauf si c’est juste un prétexte pour passer plus de temps avec lui. » Les mots sortent tous seuls, enfantins mais beaucoup trop acerbes pour que ce soit une gaminerie innocente. Ses mains se resserrent autour du volant, presque tremblantes de colère à la simple pensée de les revoir ensemble. Il ne sait pas comment il survivra aux prochains tournages, aux prises interminables de chaque scène qui devront se répéter encore et encore sous ses yeux. Encore moins aux interactions qui auront inévitablement lieu entre chacune d’elles. Et Hyunseong voit rouge, alors il empêche ses pensées de dériver en gardant son regard rivé sur la route, pressé de voir leur chez eux se tracer devant lui.

Il n’a jamais connu une réelle relation avant Hyunseong, il a été le premier pour qui le sentimental a largement dépassé le charnel. Des battements de cœur qui ne se sont accélérés qu’en sa présence, Juno n’a aucune expérience sur laquelle calquer ce qu’il vit avec lui, tout est nouveau et malgré les mois de couple, il découvre encore certaines facettes de leur couple. La jalousie de Hyunseong en fait souvent partie et il est incapable de déterminer si elle est excessive ou pas, est-ce que tous les couples sont ainsi ? Il repense à ses parents, ils n’ont jamais eu la moindre démonstration affective en face de lui, c’était toujours froid, son père n’a jamais réellement porté attention à sa mère – non, il était bien trop occupé à le cribler de coups au moindre faux-pas. La jalousie de Hyunseong ne le dérange pas, il se sent aimé et adoré, chéri de la plus précieuse de façon et parfois il se demande s’il ne devrait pas abandonner sa carrière pour apaiser les tourments de son homme. Mais pour faire quoi ? Il n’a aucun diplôme et aucune compétence, et bien qu’il apprécie la simplicité de la vie, il s’est accoutumé à un niveau qu’un simple emploi de serveur ne lui permettrait plus d’avoir. Et Hyunseong, lui non plus ne supporterait pas de le voir avec un nouveau protégé dans l’agence s’il prenait sa retraite. Il ne comprend pas la jalousie de Hyunseong, parce qu’elle lui semble infondée. Il lui crie son amour à chaque jour qui se lève, lui ronronne son adoration contre son cou à chaque nuit qui se meurt. Il n’y avait que lui.

Un « D’accord. » docile quitte finalement ses lèvres, il peut endurer un peu plus longtemps la sensation désagréable de sa peau contre le tissu fin de son haut. « Pourquoi je voudrais passer plus de temps avec lui ? » demande-t-il doucement en se tournant vers lui, l’incompréhension lisible dans ses yeux bouffis par la fatigue. Il aimerait tellement lire dans les pensées de son homme, il a l’impression qu’ils se comprennent, mais parfois c’est tout un gouffre de non-dits qui se creuse entre eux. Il déteste ça. « Bébé…tu roules trop vite. » La voix hésitante alors qu’il glisse sa main jusqu’à celle de Hyunseong, fortement serrée autour du volant.

L’obsession le possède sans qu’il ne s’en rende réellement compte, poison ravageur qui se propage discrètement dans son corps jusqu’à ce qu’il inflige sa morsure à Juno et l’en infecte à son tour. Le mal ne peut jamais rester en lui, il faut sans cesse le libérer et Juno en est le malheureux récipient. Hyunseong n’a que de rares moments de lucidité où il entrevoit la réalité de ce qu’il fait, mais elle n’est jamais assez importante pour le faire arrêter. Les mensonges l’emportent et il garde les yeux fermés, aveugles à ce qu’il inflige à Juno pour ne pas avoir à se le reprocher, pas avant qu’il ne soit trop tard. Il sent ce mal l’envahir et Hyunseong devient spectateur de ses actes, assiste avec impuissance à ses mots qui durcissent et l’amour qui se dérobe à ses yeux, ruisselant comme une plaie ouverte. « Je sais pas, à toi de me le dire. » Hyunseong feint l'ignorance tout en prétendant tout savoir de ce que Juno pense, ce qu'il ressent réellement. Ses pensées vont aussi vite que la voiture alors qu'il se hâte à rentrer à la maison, là où il n'y aura plus qu'eux deux dans le monde, sans personne pour lui voler son attention. « Je sais ce que je fais. » Il lui arrache sa main d’un coup sec, sans tendresse. Son toucher est brûlant, et pas de la façon qu’il aime. Hyunseong se souvient de sa paume sur l’épiderme de l’autre qui vient maintenant le caresser de la même façon, comme s’ils étaient pareils. Il n’est plus unique aux yeux de Juno, plus le seul. Il se sent s’effacer de son cœur dans un brouillard d’autres corps sans âme, insignifiants et faciles à oublier. Lui aussi sera oublié, Juno passera à autre chose et il ne sera plus qu’une arrière-pensée, la certitude lui fait perdre les moyens et ses paumes s’érodent un peu plus contre le volant. Il ne pense plus qu’à refaire ses preuves, affubler son amour de ses marques dont les brûlures lui rappelleront sans cesse que c’est lui qu’il aime, c’est lui le seul qui compte. L'idée le hante encore lorsqu'ils arrivent et Hyunseong ne lui adresse pas un seul regard avant de le devancer à l'intérieur, profitant des dernières secondes du compte à rebours pour tenter de désamorcer la bombe avant qu’elle n’explose.

Les mots résonnent, dures sans être blessants. Pas encore, Juno le sait, ça viendra, ça vient toujours. Et il réfléchit, il trace tous les évènements de la journée en tête à la recherche du moment qui a créé ce déclic sans le trouver. Tout a été parfait ce matin, du réveil jusqu’au trajet pour le studio de tournage, la musique douce, les conversations matinales, Hyunseong qui le flattait de ses nombreux et tendres sourires. Tout est différent au retour, c’est froid et le regard de son homme le gèle, il n’ose même pas tendre la main vers la radio pour l’allume, incertain de ce qui éveillera davantage la colère du jeune homme. « Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? » Il déteste nager dans le doute, il aimerait tant déceler les pensées de Hyunseong et ainsi réussir à se façonner de manière à lui complaire et taire toutes ses appréhensions. Il a posé sa main le plus délicatement possible sur celle du brun pour l’avertir de la vitesse à laquelle il roule, mais ça ne semble pas suffire, il est rejeté sèchement ; le geste presque douloureux. Il baisse les yeux, les fixe sur ses propres genoux où il laisse retomber ses mains, paume contre le dos de l’autre. « Pardon. » bredouille-t-il, la voix plus tremblante qu’il ne le voudrait. Il n’a pas peur de Hyunseong mais il déteste ces situations dans lesquelles ils s’enlisent bien trop souvent. Il n’y a pas de milieu entre eux, jamais de gris que le noir et le blanc, les hauts et les bas. Il n’ose plus de regard envers son homme pour ne pas risquer d’entendre une autre remarque dénuée de tendresse. Ils arrivent devant chez eux, moteur éteint, Hyunseong ne glisse pas un seul regard vers lui alors qu’il s’avance déjà à l’intérieur. Juno le suit de nouveau, toujours des pas en retard bien qu’il fasse aussi vite que possible. « Hyunseong… » Le prénom qui ne résonne que bien rarement entre ses lèvres, il a toujours préféré l’affubler de surnoms affectueux, trouvant un infantile plaisir à être pour la première fois en droit de le faire pour quelqu’un. Il ferme la porte derrière, ça ne peut pas continuer comme ça. Sa main rejoint entourer le poignet de Hyunseong et cette fois-ci, il le retient de toutes ses forces. « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Je lis pas dans tes pensées, t’as pas le droit de juste m’ignorer comme ça. »

« Rien, juste tais-toi. » Qu’il se taise, cesse d’attiser ses démons en tentant de se défendre. Pourtant chaque mot, chaque excuse qu’il ne prononce pas est une meurtrissure de plus que Hyunseong lui infligera, il le sait et il n’a même pas la capacité de s’en vouloir, beaucoup trop possédé par la colère qui ne laisse pas de place à sa culpabilité habituelle. Son pardon est pitoyable, pathétique même alors qu’il se froisse comme un vulgaire bout de papier devant la cruauté de son homme et ça l’enrage, redirige la colère qu’il ressent envers lui-même vers Juno, il en oublie même l’orgueil qu’il ressent toujours à le voir se réduire à néant pour lui.  Hyunseong ne pense qu’à fuir, loin d’ici, loin de lui, cherchant le refuge à l’intérieur de leur maison où il s’enfonce à peine arrivés, englouti par une semblance de quiétude avant que Juno ne revienne la troubler. La voix qui l’appelle est un écho des sentiments qu’il essaie d’enfouir et ses phalanges des chaînes brûlantes autour de son poignet. Il déteste cette emprise, ce rappel de sa faiblesse face à lui. Il veut prouver le contraire, à Juno et à lui-même, et il s’en défait avec autant de force que celle qui le retenait pour que sa main vienne enserrer sa mâchoire, griffes éraflant impitoyablement sa peau et pas précipités le bousculant contre le mur le plus proche. « Don’t ever talk to me like that again. » La rage au ventre et Hyunseong voit flou, dans ses oreilles qui sifflent il n’entend plus que les excuses d’un homme qui se berce de son ignorance, prétendant ne rien savoir de ce qui le ronge, ou alors simplement n’en avoir rien à faire. Prétendue indifférence, désir de contrôler ses réactions pour le forcer à dissimuler ses états d’âme car ils sont laids, immondes. Hyunseong ne le laissera pas faire, il laissera éclater toute sa laideur, quitte à lui faire regretter de l’avoir laissé entrer dans sa vie. « You don’t get to tell me how to act when you’re flirting around with everybody like I’m not even here. » Son corps se presse contre le sien, avide de lui rappeler son appartenance, amoindrir tout espace entre eux jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune issue, juste eux et la furie inévitable dont Juno ne pourra se libérer qu’en l’encaissant. Et ses dents viennent s’aiguiser à la naissance de sa mâchoire, marquant sur sa peau d’un sifflement sournois les mots-poison : « You’re mine. »

Il redevient l’enfant l’apeuré dès qu’une voix se hausse face à lui, recroquevillé contre-lui-même dans l’espoir de devenir invisible, parce qu’alors les cris prendront fin. La voiture semble trop petite en ce moment, nulle part où se cacher et fuir la colère qui gronde de son homme. Juno encaisse les mots durs comme à son habitude, les membres tremblants et l’esprit hagard, dans une vaine recherche des torts qu’il a commis et ont causé ce coureaux. Juno se sait fautif, d’une manière ou d’une autre, il l’est toujours, ça ne peut être que lui. Jamais Hyunseong. La culpabilité trouve lentement son chemin jusqu’à sa tête, il se maudit d’actes dont il est incertain malgré ses lèvres qui se meuvent dans l’envie d’avoir une réponse.  Ses doigts emprisonnent le poignet de son homme par instinct, le contact est de courte durée car Hyunseong ne tarde pas à le rompre. Juno n’a pas le temps de se sentir repoussé, la même main qui se défait de lui vient emprisonner sa mâchoire. Prise ferme qui laisse sa peau brûlante sous les ongles de Hyunseong et son cœur tressaillit. Ce n’est pas de la peur – ou si peu, le sentiment serait dérisoire devant celui bien plus grand et exaltant de l’anticipation de ce qui suivrait, comme à chaque fois que Hyunseong est dans cet état-là. Juno hoche péniblement de la tête, il sait qu’il ferait mieux de ne pas parler ; le moindre mot nourrirait davantage le brasier qu’est le brun mais il ne cesse d’entendre la voix curieuse qui lui susurre l’éternelle envie de voir tout simplement jusqu’où la colère de Hyunseong pourrait aller, quelles étaient ses limites ? « I didn’t…I wasn’t fli… » Syllabes suspendus par le son plus clair d’un gémissement alors que le corps de son homme se presse contre lui. Il est si petit entre ses bras, un atome insignifiant quand ses dents raclent la surface de son épiderme où les pigments adorés s’étaleront. « I’ll always be. » Voix faible, à peine audible, ses paumes remontent contre le torse de Hyunseong incertain si le geste a pour but de le repousser ou le rapprocher plus de lui. Ses doigts s’agrippent au fin tissu de sa chemise, si fort avant de brusquement le relâcher quand il pense au risque de la froisser.  « Whatever i’ve done, i won’t do it again. I swear. » Désespoir témoigné par un entrechoquement de lettres disparates, il est prêt à tout dire, tout faire, pour apaiser sa fureur. Ses doigts reviennent maladroitement sur les boutons de la chemise et s’affairent à les défaire. « Don’t leave me. » Sa plus grande hantise et la seule pensée rend ses gestes erratiques.

Il déteste sentir les doigts de Juno autour de son poignet, déteste sa peau sur la sienne. En cet instant il déteste sa présence toute entière, insolente alors que sa voix s’élève pour le remettre en cause au lieu de baisser le regard devant lui. Il le déteste de le rendre ainsi, un trou noir de rage qui ne saura rien épargner. Hyunseong est fou de lui, il l’aime jusqu’à n’en plus pouvoir – jusqu’à devenir ivre de pouvoir, et il l’en hait. Il n’y a plus que cette haine, dans ses gestes crus qui le maintiennent prisonnier entre lui et le mur sans la moindre tendresse, le moindre égard envers sa peau qui commence déjà à rougir de ses marques. Hyunseong ne veut pas de ses excuses ni de ses mensonges, il n’y a pas la moindre sincérité dans ces promesses, pour lui. Alors seul le soupir qui quitte ses lèvres l’intéresse, il ne veut plus entendre un autre son de sa part. « Then act like it. » Sifflement hargneux, désabusé. Son regard est dédaigneux et invasif alors qu’il s’immisce au plus profond de Juno, cherchant dans ses yeux la sincérité de ses mots auxquels il ne croit plus. Hyunseong s’enlise dans sa délusion, celle de son insignifiance dont les gestes de Juno l’ont convaincu sans le réaliser. Il se redonnera de l’importance lui-même et l’inscrira sur son corps pour que les brûlures l’en rappellent incessamment. « Shut up. » Ce ne sont pas les mots qu’il veut entendre de sa part. Il n’attend plus que les syllabes décousues et les souffles aériens, dépossédés de la moindre volonté de lui résister, et ses hanches viennent à la rencontre des siennes plus fort pour les rechercher.  Dans le feu qui le brûle il oublierait presque les doigts malhabiles qui s’acharnent sur les boutons de sa chemise, désespérés tout autant que la voix qui vient l’implorer. Désespérée et désespérante, pathétique. Comme s’il avait besoin de supplier Hyunseong de rester pour qu’il le fasse. Comme s’il ne se réduisait à néant rien que pour l’affoler, et ça marche. Il ne le laisserait jamais et pourtant Juno n’en semble toujours pas convaincu. Hyunseong sombre un peu plus à la simple idée qu’il l’en croie capable. « Shut the fuck up. » Le dégoût l’envahit, il ne sait si c’est envers lui-même ou envers Juno. Tout se confond, jusqu’à ses phalanges qui glissent dans sa nuque pour happer ses mèches en arrière, s’octroyant le droit de malmener son cou alors qu’il retient son poignet prisonnier contre le mur. « I’m not going anywhere, » essoufflement au creux de son cou sans pour autant que ses dents n’arrêtent leur supplice. « I’ll always be here. » Ça sonne creux et sinistre, dénué de la réassurance dont ces mots tentent habituellement de faire preuve. Plus une menace qu’une promesse, un serment que quoi qu’il fasse, Hyunseong sera toujours son ombre jusqu’à ce qu’il s’éteigne lui aussi dans sa noirceur. Il sera sa fin et il n’y aura rien après lui, damnation éternelle, suspendue dans le temps comme lui au bout de ses doigts, vulgaire pantin entre ses bras qui ne craignent plus de le briser ou non. Il ne lâche son poignet qu’afin d’amplifier son emprise sur lui, un bras s’enroule autour de sa taille alors qu’il l’attire vers lui pour rencontrer ses lèvres dans un désordre brutal. Ses pas pressés font reculer l’acteur jusqu’à leur chambre, tirant encore sur ses cheveux alors qu’il le pousse furieusement sur le lit où il ne tarde pas à le surplomber, et il vient terminer le travail entamé sur sa chemise avec ferveur, sans se soucier des boutons qui s’échouent un par un sur le sol.

Il désire offrir le silence que Hyunseong lui quémande, que ses lèvres se cousent de fils pour en réprimer le moindre son. Il veut obéir pour tempérer un tant soit peu le brun et éponger quelques étincelles de sa colère. Mais il y’a aussi l’envie de se faire entendre et prouver qu’il n’y a jamais eu un autre que Hyunseong, qu’il n’y en aura jamais. Les autres ont cessé d’exister depuis que l’homme a trouvé son chemin dans sa vie, Juno s’est désintéressé progressivement de son entourage depuis. Il repense à ses gestes plutôt, il n’est pas stupide, il comprend que Hyunseong fait allusion au jeune acteur avec qui il partage le scénario de son dernier film. Est-ce que ses gestes rassurants donnaient vraiment l’illusion de propositions plus suggestives ? Ça n’a jamais été son attention mais le brun le lui assure et il a toujours fait confiance à son jugement, bien plus qu’il ne le fera en le sien. Il croit en Hyunseong plus qu’il ne croit à sa propre personne. Le regard perdu, les lèvres tremblantes d’excuses qu’il peine articuler. Il accepte d’avoir fauté et ne désire plus qu’expier cette dérive de la manière qu’on lui imposera. Il n’y a rien de plus effrayant que la vision d’un Hyunseong qui lui tournera le dos et l’abandonnera, parce qu’il n’a pas été digne de lui. Le jeune homme n’a cessé de l’entourer de sa tendresse, l’abreuver de son amour jusqu’à l’alacrité. Euphorie de sentiments et ivresse de cœur. Il chancèle et perd pied sans lui, la colère et les cris semblent bien insignifiants face à la perspective d’un lendemain dépourvu de son souffle contre le sien. Il n’en veut pas, non, il préfère être le réceptacle de sa colère infinie que de son ignorance. Ce n’est qu’une preuve de plus d’amour, la dévotion sans frontières de Hyunseong à son égard exprimée par des syllabes hautes et des lacérations à l’épiderme – si brûlantes et profondes qu’il les pense presque capables de lui laminer les os. Shut the fuck up. Mots rougeoyants qui lui laissent le battant calciné alors que son regard n’ose plus rencontrer son comparse, réellement coupable de tout ce qu’on l’accuse. Il offre sa gorge quand Hyunseong tire sur ses cheveux en arrière, ce n’est qu’une douleur de plus, son amour qui gronde jusqu’au fond de ses tympans. Son corps réagit à chaque souffle de l’autre, ses hanches cherchent déjà à entrer en contact avec les siennes à n’importe quel prix. Proximité épuisante quand la distance ne peut être comblée entièrement. « Promise. » trouve-t-il encore la force de bégayer, ordre suppliant de l’avoir toujours avec lui. Hyunseong franchit enfin la distance qui les sépare, entre leurs bassins qui se rencontrent enfin et leurs lèvres qui rentrent en collision dans un chaos de d’entrechoquement. Un gémissement en résulte, qu’il ne peut – ne veut, réprimer. Ses bras trouvent refuge autour du cou de Hyunseong, là où a toujours été leur place, et il se sent reculer jusqu’à la chambre sans opposer la moindre résistance. A aucun moment la poigne de Hyunseong ne faiblit, elle n’est que plus brutale. Son dos rencontre le matelas sans tendresse, il sait d’avance qu’il n’en recevra pas une once ce soir et ça lui convient. Tout de Hyunseong n’est qu’adoration. Ses yeux contempler son homme au-dessus de lui et son torse qui s’expose à lui. Il ne sait que faire de ses mains et tout son corps. Il pourrait regretter le moindre geste et la simple pensée lui fait tendre le bras jusqu’au brun, le bout de ses doigts frôlent son épiderme. Ils finissent par glisser jusqu’à sa ceinture. « Let me make it up to you. » Il parle quand on le lui interdit, il le frôle et propose quand Hyunseong ne désire surement aucune initiative de sa part mais Juno n’arrive pas à s’en empêcher. Il se redresse pour se retrouver assis sur le lit, ses jambes de part et d’autre de son homme. Leurs souffles sont plus proches ainsi et sa main s’appuie plus sur Hyunseong. « I’ll make you feel good, love, you won’t by angry at me anymore » Il sait pourtant que son simple toucher ne suffirait pas dans l’état où est Hyunseong. Ses paroles ne risquent que de l’enflammer. La main hardie glisse plus bas et les yeux trouvent le courage d'affronter ceux en face.

Son corps quémande le sien, fiévreux et exalté quand il se presse contre ses hanches. Les souffles s’échouent au creux de son cou, théâtre de sa passion ravageuse que ses lippes ne cessent de transmettre sur son épiderme, clair et limpide jusqu’à son passage. Hyunseong ne désire rien de plus que le ruiner, il ne veut qu’ôter à sa peau comme à son esprit cette pureté dont il l’a à son tour privé en faisant ressortir ses pires démons. Il ne pense plus qu’aux mèches qu’il enserre dans son poing et à la jambe qui vient se loger entre celles de son amant, avide d’assouvir son besoin de lui.  « No. » Insolence qui vient le défier, remet en cause ses sentiments envers Juno. Ils ne sont pas assez évidents ni intenses pour que Juno les remarque de lui-même, sans avoir besoin de recourir à ses promesses. Alors ce sont ses lèvres qui viennent la sceller silencieusement, assassines et affamées tandis qu’elles assaillent leurs jumelles fiévreusement, la maladresse laissant un sillon de rougeurs sur leur passage. Il ne lui laisse pas le temps de respirer, le plaisir que Juno ressent lui appartient, résonne contre ses lippes et parcourt son corps au lieu d’être perdu dans l’espace immensurable qui les entoure. Ils paraissent tous les deux minuscules, l’un tout de même plus imposant que l’autre alors qu’il l’attire contre lui au maximum jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une extension de lui-même, séparés uniquement quand des paumes raides viennent s’écraser contre son torse pour le pousser sur le matelas. Hyunseong le regarde de haut, de par sa position au-dessus de lui et le dédain qu’il éprouve à son égard. Juno est naïf et ignorant, inconscient de sa propre impuissance contre les blessures béantes de Hyunseong dont lui seul est la cause. ses yeux sombres brûlent comme des charbons alors qu’il arrache sa ceinture lui-même pour la jeter de côté, dérobant à Juno la moindre once de contrôle qu’il pense avoir sur lui. L’arrogance coule des lèvres de l’acteur alors qu’il se croit capable de simplement effacer la douleur infligée du revers d’une main insolente, comme si elle était dérisoire. Son toucher embrase à la fois son corps et son âme et il chavire un peu plus dans les flammes jusqu’à ce que sa paume rencontre sa joue dans un claquement sourd pour lui arracher ce regard fier. Hyunseong le force rapidement à rencontrer le sien, griffes enserrant de nouveau son visage alors qu’il le tourne vers lui pour voir l’étincelle s’éteindre dans ses yeux. « That’s not your call. » Murmure perfide effleurant ses lèvres. La rage de Hyunseong est débridée, indépendante des obscénités de Juno. Ce ne sont pas elles qui sauront le calmer – rien ne le saura, alors Juno ne peut qu’être son exutoire. Il ne peut que rester immobile, paralysé par l’appréhension de ce qu’il va lui faire et par le supplice délicieux des doigts de sa main libre qui viennent défaire les boutons de son pantalon et tirer dessus pour l’en débarrasser. Péniblement lents alors qu’ils se glissent sous la dernière barrière de tissu pour l’attiser sans relâche et il revient susurrer au creux de son oreille : « Since you wanna be so loud, why don’t you let me hear you now, hm? »