everyday a symphony (sian)

everyday a symphony

Les pieds fermement campés sur le sol, prunelles rivées sur l’écran, les doigts qui pianotent inlassablement sur le clavier, et les lignes de codes qui s’étendent presque à l’infini. Il en oublie la boisson qui se réchauffe doucement à ses côtés ni les visages qui se succèdent dans le petit café. Casque fiché sur les oreilles, la musique qui résonne à faire vriller ses tympans, il ne voit plus rien que son travail, concentré à l’extrême – l’exercice à finir pour le lendemain, sous peine de sanction.
Il se mord la lèvre – relève les yeux quand le bruit strident vient brutalement percer les couches de musique. Il enlève son casque, aperçoit les rares clients passer la porte. Sur un juron étouffé, il claque son ordinateur, prestement rangé dans le sac et s’apprête à s’en aller quand une silhouette attire son attention. Le regard tourné, peau de porcelaine, la poupée qui reste stoïquement assise ; et l’enfant étonné, presque apeuré, la main sur la vitre, prêt à décamper. Et qui hésite pourtant. Ses yeux naviguent entre les deux, quand il finit par revenir sur ses pas d’un pas rapide. « Si… an ? » Gamin habituellement si enjoué, perd de son entrain – et la main qui vole jusqu’à l’épaule de la jeune femme. « Pourquoi tu sors pas ??? Viens, y a peut-être le feu ! » Il secoue vivement la tête, appuie ses paroles avec force. Kisuk, il comprend pas trop Sian, ses fuites et son enfermement, il comprend pas pourquoi elle a arrêté – tout – pourquoi elle est si différente, elle autrefois brillant de mille feu sous les feux des projecteurs. Il comprend pas bien, il comprend pas tout, veut retrouver l’enfant qui berçait ses nuits de sons enchantés ; mais se contente de la tirer légèrement, attendant d’elle qu’elle le suive, fuie les hypothétiques flammes. Et son cœur s’agite dans sa cage thoracique, vibre quand son esprit imagine le pire, les flammes qui dévorent tout.

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Les écouteurs enfoncés dans les oreilles qui jouent tes chansons favorites ; la preuve de ton entêtement sans fin. La musique qui joue pour rien, la mélodie d’un artiste qui est gaspillée sur tes oreilles défectueuses, une note sur deux s’évaporant comme si elle n’avait jamais exister. Peu importe le volume à laquelle les chansons résonnent, c’est la même chose à chaque fois, mais ça n’empêche pas l’enfant musique de s’accrocher. Sian elle s’accroche comme si sa vie en dépendait, enfant perdue au centre d’un océan enragé qui menace de l’emmener, de remplir ses poumons et de lui arracher son dernier souffle. Sian elle vit avec le désespoir de ceux qui n’ont plus rien, de ceux qui peuvent abandonner à tout moment, de ceux qui peuvent disparaitre du jour au lendemain. Les yeux rivés sur le dernier relevé de la banque, la calculatrice ouverte sur le téléphone cellulaire, la poupée qui tente de faire du sens des chiffres sur la page blanche. L’enfant qui ne parle couramment que la langue de la musique, l’enfant terriblement inapte au monde adulte, à l’indépendance. L’enfant ange, enfermée dans ses pensées alors que la panique s’immisce dans le cœur des autres clients du café. Sian elle n’entend rien, et pas seulement parce que sa musique étouffe le bruit. Ces sons aigus et stridents n’existent plus dans le monde de Sian. Ç’aurait pu être la fin de son histoire, l’ancienne violoniste Lee Sian retrouvée morte dans un incendie. Une main qui vient la secouer avec panique arrive à la ramener à la réalité. Les mots qui se font un chemin à ses oreilles et le regard de la belle qui glisse sur l’intérieur abandonné du café. La réalité qui s’installe lentement, la compréhension qui se fait, mais pas assez vite au goût du sauveur. La main livre de la poupée qui ramasse prestement et maladroitement ses quelques papiers alors que le gamin la tire vers la sortie, vers la sécurité. À bout de souffle, ils émergent du bâtiment, l’adrénaline qui retombe maintenant que le danger est évité. Et entre deux grandes respirations, la gamine se manifeste finalement. « Merci… »

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Il aime pas, Kisuk, la voir comme ça, Sian. Sur sa rétine encore fixé le sourire éternel de jadis, quand aujourd’hui elle ne présente au reste du monde qu’une morne expression. Stoïque, les lèvres closes, elle semble perdue dans un ailleurs, comme ignorante du reste du monde, quand Kisuk voudrait tant qu’elle rejoigne leur monde, revoir flétrir sur son visage la joie de l’époque. Il l’a longtemps admirée à travers son casque, les notes résonnant à ses oreilles avec un calme apaisant, n’a pourtant pas pu masquer sa déception quand elle s’est enfin retrouvée là – face à lui. Mais éteinte, le silence obstiné face à ses questions en rafale. Alors il la tire, impatient, tente désespérément de la faire rejoindre le monde des vivants – loin du café dont les effluves brûlantes remontent enfin à ses narines. Et quand l’air frais leur parvient enfin, il pousse un soupir. Le personne émerge à leur suite, échangent quelques mots avec les clients, dont le jeune homme ne capte que le sens général. Rien de grave et pourtant, il reste là. Et son regard dévie brusquement vers Sian quand elle prend la parole. Sur son visage, c’est l’habituel sourire qui reprend sa place. « C’est rien ! Mais pourquoi tu bougeais pas ? T'avais pas entendu ? » D’un geste de la main, il désigne les écouteurs, parvenant seul à ses propres conclusions. « Faut pas mettre le son trop fort hein, après on entend plus rien ! » Gosse naïf, incapable de voir la vérité en face, incapable de comprendre les silences et les regards furibonds – incapable de percevoir la noirceur dans son monde utopique où les sons règnent.
Et il sourit, l’enfant, enfin rasséréné, sourit et plaisante, léger, quand les serveurs passent à côté, tentent de rassurer les clients et les badauds attirés par la foule. Mais lui qui continue à la regarder elle, les prunelles étincelantes.

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Ce sourire qui vient habiter les lèvres du gamin et qui semble tellement étranger à la poupée. Y’a la bonté, la joie, mais surtout l’innocence d’un enfant au monde ponctué d’éclat de couleurs. C’est le monde d’un gamin à l’innocence intacte qu’elle peut voir miroiter dans ses yeux, un monde qui n’est peut-être pas entièrement fait d’arc-en-ciel et de marshmallow, mais un monde qui sens bon la vanille. L’opposé de ton monde à odeur de soufre, couleur cendre. Et cette innocence qui te pince le cœur, qui te ramène contre toi à cette insouciance, cette sensation d’invincibilité qui s’emparait de toi sous les projecteurs. Ce gamin aux yeux brillants d’espoir, il mérite pas de voir entrer l’ombre de ton passé s’immiscer dans sa vie, venir teinter son monde de désespoir. Ton monde s’est peut-être fracassé, mais le sien est encore là, les possibilités infinies. Sauf que t’es qui pour décider ? L’ego de la poupée qui disparait, la tristesse qui couvre ses prunelles : elle est rien, elle est plus rien. L’espoir qui continue de se faner. Si elle peut même plus entendre assez pour sauver sa vie, c’est peine perdue pour retrouver la scène. Le capharnaüm de l’alarme n’a pas réussi à la sortir de sa torpeur, comment pourrait-elle saisir les subtilités imperceptibles de Beethoven avec ses oreilles défaillantes. Le cœur lourd, l’âme en deuil, l’enfant musique qui plante finalement ses prunelles dans celles du gamin. La poupée qui ne faisait que fuir lui fait finalement face, incarnation du désespoir. « Tu veux vraiment savoir ? » La question qui sort de nulle part, la violoniste déchue qui n’a pas écouté le moindre mot de la conversation jusqu’à maintenant. Les nerfs qui se tendent, les mains qui tremblent légèrement, la poupée qui n’est pas totalement prête à ressasser le passé, et encore moins prête à faire la paix avec sa situation. L’enfant qui veut que fuir la réalité, mais qui se sent une obligation de lui donner la vérité. Un devoir d’expliquer à ce gamin, à son fan à la persévérance et à l’espoir débordant.

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Il aurait bien aimé, Kisuk, qu’elle soit moins sérieuses – qu’elle s’accorde une pause, laisse filtrer un sourire sur ses lèvres, retrouve ne serait-ce que l’espace de quelques instants cette jeunesse dont elle semble dénuée. Il aurait aimé qu’elle soit plus accessible, loin de sa figure d’adulte immuable. Alors il essaie, encore et encore, tente de percer le mystère qui l’entoure, tourne le tout à la dérision, gamin naïf pour qui tout ceci n’est qu’un jeu. Loin de s’être attendu, pourtant, à la réponse qu’elle lui adresse. Sous le choc, pensant avoir mal entendu, il se contente de la toiser, jusqu’à ce qu’un nouveau sourire vienne naître à la commissure de ses lèvres. Il a gagné, se dit-il probablement – victorieux de ce jeu auquel il est seul à participer. « Ouiii, j’veux vraiment savoir ! Dis-moi, dis-moi, dis-moi. » Il est content, satisfait, loin de s’attendre à la bombe qui amorce son approche ; perdu dans son monde enchanté, persuadé que tout va bien, que tout ira bien. L’enfant autruche habitué à enfoncer sa tête pour ignorer les problèmes, les laisser naviguer loin au-dessus de sa tête comme s’ils n’avaient aucune emprise sur lui. Gosse sans cesse enjoué, à l’impatience débordante, qui a tant à dire, se contient pourtant tant bien que mal, la lèvre sauvagement attaquée par ses dents pour s’empêcher de reprendre la parole. Pour une fois, il veut qu’elle parle, craint de la rompre dans son élan en ajoutant quoique ce soit. Gamin étrangement silencieux, le rêve de sa sœur, qu’il prend un malin plaisir à gâcher constamment par son babillage excessif. Et le sourire aux lèvres, comme une invitation à continuer, un gage de paix, promesse que tout ira bien – ou qu’il fera en sorte que, dans son univers coloré.

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Les traits du gamin qui rayonnent, béatement inconscient de ce qui s’en vient, de la noirceur auquel il sera bientôt confronté. L’enfant lumineux qui savoure sa victoire, sans savoir qu’il n’y a pas de gagnant dans ce jeu qu’est la réalité. Sian dont le palpitant se serre, déçue qu’il n’ait pas su lire entre les lignes, qu’il n’ait pas saisit le désespoir dans tes mots. Mais comment aurait-il pu ? Seuls ceux qui sont familiers avec le désespoir arrivent à le décerner, il n’enveloppe que les âmes brisées, la lumière de l’espoir arrivant à le tenir à distance. L’ange déchue qui se retrouve avec une audience, qui cherche ses mots, qui tente d’expliquer l'horreur, la peine, le sentiment de perte et de culpabilité. Mais il n’y en a pas qui puissent communiquer la réalité de la survivante, de l’orpheline ayant tout perdu. Les jambes de la princesse qui tremblent, peut-être dû à l’adrénaline quittant son corps, ou peut-être est-ce la peur de finalement tout admettre. Sian s’assoit dans le gazon, elle a besoin de sentir l’immuabilité du sol, besoin de quelque chose de solide pour l’empêcher de briser. « J’entends plus Kisuk… » Les mots qui fusent finalement, soudains, terribles. Elle n’a même pas commencé à raconter son histoire que ses prunelles se recouvrent d’un voile diaphane, les larmes prêtes à couler. Et l’ange déchue qui n’ose pas le regarder.

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Ses prunelles suivent le moindre mouvement de Sian – et quand elle s’assoit il l’accompagne, docile animal refusant de la laisser s’éloigner encore. Elle est déjà trop loin, si loin, les prunelles éteintes, voile sombre tombé si brutalement sur ses épaules. Et il perd de son énergie, Kisuk, inconscient du drame, calquant pourtant son attitude sur la sienne, facilement influençable. Et quand les mots tombent enfin, il peine à comprendre, il peine à y croire. « Quoi ? » Petite voix interloquée, quand ses yeux s’ouvrent enfin devant l’horreur de la situation. Accroupit à quelques centimètres, il n’arrive plus à détacher son regard d’elle – et il a tant envie de la prendre dans ses bras, comme maman quand il fait un cauchemar. « Tu veux dire que… » Phrase laissée en suspens, soudaine toux qui lui permet de s’éclaircir la voix, de mettre de l’ordre dans la tempête de ses pensées. « Plus rien ? T’entends… plus rien… ? Mais c’est pas possible ! Tu m’entends là ! » Il espère avoir lui-même pas entendu, peut-être mal compris – il espère qu’elle sourira, se mettra à rire, avouera que c’est une blague, qu’il est tombé dans le panneau, enfant crédule incapable de déceler la vérité du mensonge quand les fils s’entremêlent. Incapable de déceler la vérité quand le mensonge est si facile, si réconfortante.

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Sa voix tremble au gamin, sa gorge s’est serrée sous la surprise, sous le poids de la révélation. L’enfant lunaire, elle sent son regard sur elle, sent les émotions contradictoires se mener un combat dans l’esprit innocent du gamin, mais son regard à elle reste fixé sur le gazon, l’herbe piétiné qui jaunis lentement au soleil, en train de dépérir. Et elle ressent une affection pour la végétation qui semble miroiter parfaitement le cauchemar qu’était devenu sa vie. Les phrases qui s’élèvent, le gamin qui essaie de faire du sens des paroles de la belle, des bribes de phrases déconstruites qui se perdent dans le vent, qui se mêlent à l’odeur de l’été. Oui, elle l’entend. Un sourire triste nait sur ses lèvres. Mais pour combien de temps encore ? Les aiguilles de l’horloge qui tiquent incessablement, le temps qui fuit la poupée. L’enfant lunaire soupire, s’abandonne à la réalité, enterre ses rêves et espoirs. « Il y a deux ans, les notes ont commencés à disparaître. Je jouais du Kriesler et je voyais mes doigts bouger, mon archet qui glissait sur les cordes, mais j’entendais plus rien. Peu importe à quel point j’appuyais… y’avait que le vide... » La voix casse, la gorge trop serrée pour continuer, et les larmes qui coulent sans bruit sur sa peau de porcelaine. L’histoire toujours aussi difficile à raconter, les souvenirs enfouis qui remontent ; qui viennent la noyer.  

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Y a les larmes qui se libèrent enfin – et le gamin désœuvré, désemparé, triste enfant face à la tâche trop lourde pour lui, la révélation d’un monde sombre et néfaste d’où il le sait, sa lumière ne pourrait pas filtrer. Et le gosse abaisse sa main pour la plonger dans ses poches, en extrait un mouchoir en papier, propre quoique froissé, qu’il tend la mine désolée, le regard doux et les yeux humides. « Je… savais pas. » Mots vide de sens, coquilles vides qu’il cède à la jeune femme comme une offrande. « Mais la médecine, elle… » Phrase interrompue devant l’idiotie de ses mots – même lui est capable de si elle n’entend plus, elle aura du moins tout essayer pour retrouver les sons. « Moi je suis sûr que ton violon, il chante toujours aussi bien ! T’as… pas essayé depuis ? » Voix qui retrouve de sa vigueur, puis la perd à nouveau – gamin qui ne veut toujours pas y croire, refuse de la voir baisser les bras. Gamin d’espoirs persuadé que la médecine peut tout guérir ; que la persévérance aussi. Abreuvé dès l’enfance par les contes naïfs autant que merveilleux, il ne veut croire en un monde qui n’exauce pas les vœux – et telle rock lee, il veut la voir s’élever à nouveau, refaire entendre au reste du monde les cordes vibrer de la musique divine. Kisuk, il veut juste qu’elle retrouve le sourire, efface la chape d’ombre qui l’étouffe, pour enfin pouvoir sécher durablement ses larmes.

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Le mouchoir disparait rapidement, emmenant avec lui les dernières larmes cristallines de la poupée. Elle n’a plus rien à pleurer, son âme vidée. Je savais pas. Les lèvres rosées s’étirent en un sourire las qui ne se rend pas à ses pupilles chocolats. Bien sûr qu’il ne sait pas. Secret jalousement gardé, réalité oubliée dans l’espoir qu’elle se réveille un jour du cauchemar. Sa brillance passée toujours visible mais inatteignable ; ombre constante au-dessus de son âme. Le gamin qui tente de s’accrocher à un espoir inexistant, comme la poupée l’avait fait pendant cinq ans. À vivre une montagne russe d’émotion ; la joie de découvrir un nouvel appareil auditif qui fonctionnait seulement pour être broyée, déchirée en morceaux lorsque le silence revenait, plus puissant, plus pesant. Le gamin il tente, ç’en est douloureux, et la poupée qui répond parce qu’elle lui doit bien ça. « Le violon… c’est un instrument capricieux… » La belle qui s’arrête, qui cherche les mots parfaits pour exprimer ses émotions face à l’instrument. « Appuyer trop fort sur l’archet ruine le son, placer ses doigts un peu trop bas ou trop haut ruine le son, il se désaccorde facilement et il faut vérifier à chaque fois. » L’enfant musique pourrait continuer longtemps à décrire les caractéristiques du violon, comme une amoureuse décrivant l’amour de sa vie. « Ma musique… » La gorge qui se sert, mais les yeux qui restent bien secs. « Quand je joue maintenant, c’est mécanique, automatique. J’arrive à les jouer parce que je les connais par cœur, parce que je les ai pratiqués. C’est plus pareil… » Et ça le sera plus jamais. Ta vie a été changée à jamais cette journée-là.  

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Il est toujours accroupi, le gosse – toujours accroupi et la tête qui s’agite, comme une négation. Elle tente de le convaincre, lui ne s’y résout pas ; elle tente de lui apprendre, lui repousse l’inéluctable. Gamin obstiné ne prend jamais non pour réponse, gamin obstiné incapable de baisser les bras, refuse de courber l’échine quand le monde s’appuie sur ses épaules – parce que y a de la lumière dans son monde, quand celui de Sian semble vide de sens. « C’est pas grave si c’est pas pareil. » Hochement de tête, air résigné, gosse refusant de la laisser abandonner. « Et puis si c’est pas beau, c’est pas grave non plus, l’important c’est c’que ça te fait ! » L’important c’est que ça la rende heureuse, caprice enfantin, sans réel fondement, comme si lui-même pouvait commander Dieu, réunir les éléments, lui redonner le bonheur de jouer, celui de se laisser entraîner par la musique quand les doigts courent sur les cordes. Et il se redresse, sourire qui s’épanouit sur son visage. « C’est pas grave si t’entends plus, moi j’te décrirai les sons ! C’est grâce à toi si j’les connais. » Comme une dette à rembourser ; c’est grâce à elle s’il s’est laissé séduire par la musique classique, la mélodie du violon, parfois accompagnée du piano. Et il se rappelle toujours, Kisuk, de la première fois où il l’a entendue, de son visage sur scène, aperçu fugitif de son univers à elle, émotions partagées alors qu’elle jouait de toute son âme.
Et il se dit, Kisuk, que c’est si dommage de gâcher tout ça – qu’il aurait lui-même préféré tout perdre plutôt que sa passion.

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Obstiné, il refuse de se laisse abattre. Et elle peut comprendre ça la poupée. Sa propre réaction avait été l’obstinement, le refus total du diagnostic. Elle s’était présentée à tous les hôpitaux, avait tenté tous les traitements, avait ainsi dilapidé l’argent des assurances de ses parents et toutes les économies. Les billets s’étaient transformés en ferraille inutile, ne laissant plus rien à l’enfant lunaire. C’est pas grave si c’est pas pareil. Gamin trop optimiste pour son propre bien. La vie qui l’a pas encore trop amoché, l’espoir qui semble émaner de son entièreté, trop brillant pour la gamine déchue. l’important c’est c’que ça te fait ! Et c’est aussi là tout le problème. L’enfant virtuose, elle avait jamais joué pour personne d’autre qu’elle. Comme les autres gamins de son âge respiraient, Sian elle jouait du violon à la place. C’était quelque chose de vital pour elle, pour arriver à évacuer ses émotions. Pas beau, pas pareil… C’était que des mots qu’elle avait mis sur la situation, c’était plus grave que ça, plus traumatique. Mais le gamin qui arrive néanmoins à étirer ses lippes en un faible sourire. Son enthousiasme débordant qui pourrait menacer de l’entrainer si la vie n’avait pas enchainé ses pieds au sol. On a coupé ses ailes à l’ange, et elle ne peut que rêver, ressasser ses souvenirs encore et encore. « Merci Kisuk, mais ça ne fonctionnerait pas. » La gamine qui n’a même pas besoin de le regarder pour savoir qu’il ne comprend pas. Comment le pourrait-il après tout ? L’enfant musique prend une grande respiration, amasse son courage. « Tu m’as demandé ce que ça me fait de jouer. Avant c’était libérant, j’avais l’impression d’être sur un nuage, de voler dans le ciel complètement libre. » Et ses lippes affichent un sourire rêveur, alors que les souvenirs passent dans son esprit. « Maintenant, quand je joue et que j’entends rien… ça me rappelle juste tout ce que j’ai perdu. » La poupée qui hésite, qui ne veut pas vraiment en dire plus. L’histoire loin d’être terminée, que les grandes lignes partagées. La gamine lunaire qui doute que l’enfant solaire puisse supporter toute la tragédie.

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Kisuk, il a toujours été bercé par les histoires de Jiji, aussi longtemps qu’il s’en rappelle en tout cas – par les mots de sa deuxième maman, doux murmures quand elle peinait à le faire dormir, traçant des contes merveilleux pour apaiser l’âme de l’enfant pleurnichard. Il n’a jamais émergé depuis, enfant insouciant, drapant ses problèmes sous le voile de l’ignorance – attitude définitivement adoptée, oubli comme seul remède contre la douleur. Il a toujours vécu comme ça, le gosse, sous ce vernis protecteur, ne parvient plus à comprendre le reste du monde ; enfermé dans sa bulle, incapable d’expliquer à Sian, dont les mots forcent difficilement un passage jusqu’à sa conscience. Il écoute et hoche la tête, regard qui dévie, se perd dans les façades, sur les visages épars, ignorant de l’agitation ambiante, la vie qui continue son rythme autour d’eux. « Moi j’aurais trop aimé t’entendre jouer à nouveau ! » Gamin têtu, insiste une dernière fois. « Mais c’est pas grave, j’veux pas que tu sois triste, pardon... » Abandon dans un haussement d’épaule, devant la fatalité de ses mots, alors que ses prunelles reviennent se poser sur la jeune femme. Il veut vraiment pas, Kisuk, aimerait tant que tout le monde soit heureux. « J’suis sûr qu’on peut te trouver autre chose qui te donne l’impression d’être sur un nuage ! » Nouveau sourire, hochement de tête sérieux comme pour approuver ses paroles – gamin qui a trouvé sa propre manière de voler, par les boîtiers de jeux entreposés sur sa commode, les parties endiablées quand il peine à quitter la manette, obnubilé par l’écran sur lequel s’invente ses vis parallèle. Enfant enfermé dans son monde virtuel, aurait aimé l’y convier pour lui montrer ne serait-ce qu’un instant qu’il y a de la beauté ici aussi.  

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Gamin qui comprends pas, gamin aux prunelles teintées de rose, mais qui essaie, qui tente de la rassurer. Spectacle qui arrive à réchauffer ne serait-ce qu’un peu le palpitant souffrant de la belle. Sian qui l’apprécie, qui aime bien son enthousiasme débordant, qui souhaite ne jamais le voir tomber aussi bas qu’elle. L’envie de protéger le gamin émerge, remerciement discret pour le support qu’il lui apporte. Sourire triste sur les lèvres, la musicienne vient poser sa main sur les cheveux du gamin, et flatte légèrement, comme elle le faisait si souvent avec son chien. « Merci Kisuk. » Tant de choses pour lesquelles le remercier ; l’avoir sauvé, le remonter le moral, toujours l’avoir supporté. Mais aussi tant de choses pour lesquelles s’excuser. Les joues de la poupée s’empourprent alors qu’elle continue. « Et je suis désolée… Tu sais, de t’avoir fuie tout ce temps. » Embarrassée de sa façon d’agir puérile, et qui aujourd’hui, avec le recul, lui semble tellement blessante. L’enfant lunaire ne sait plus comment agir, elle s’occupe en arrachant l’herbe sous son fessier, les années de vie qui ne se reflètent pas dans sa façon d’agir. Gamine immature dans un corps d’adulte, enfant protégée qui ne sait rien faire toute seule. « Tu... Tu veux aller promener les chiens quand on peut ré-entrer ? » fin de la discussion, l’enfant céleste ne veut plus penser à son ouïe, à ses parents, à sa vie. Elle veut retourner à la routine, mécanique, automatique. Veut cesser de ressentir et de penser pour un moment, l’épuisement émotionnel caché sous ses traits poupins.

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Et il est heureux, Kisuk, de pouvoir enfin lui parler ; entendre cette voix qu’il n’a jamais perçu qu’au travers de vidéos lointaines, écho d’un passé dont elle semble si loin maintenant. Mais il est content, pourtant, gamin naïf rencontre enfin cette idole qui a bercé ses nuits, enchanté ses journées quand la concentration venait à manquer. Alors il sourit, de toutes ses dents, secoue la tête quand elle s’excuse ;  et se réjouit quand elle reprend la parole. Leurs chiens, amitié inattendue, union des animaux quand les maîtres ne parvenaient pas à se comprendre. « Ouiii ! Faut que je sorte Godzi en plus, il doit s’ennuyer le pauvre. » Prunelles s’éclaircissent, quand le sourire se fait plus lumineux. « Il va être trop content de revoir son ami. » Insouciance enfantine du gamin un peu simplet, perçoit son chien comme un camarade, un être à part doué de souffrance et de sensibilité, dont la séparation quotidienne lui brise le cœur, lui obligé de sortir pour étudier ou faire des courses. « On pourra aller au parc ? J’prendrai sa balle ! » Et l’impatience fait fourmiller ses membres quand il se relève soudainement, observe aux alentours pour tenter de comprendre la situation ; et finit par la regarder de nouveau, sourire toujours aux lèvres, quand il la salue d’un geste de la main, quelques minutes plus tard, alors que leurs chemins les séparent.