us against the world - sian

« Shina reviens ici ! Shina !! » Il s’échappe le modèle. Des promesses entre ses lèvres de revenir au plus vite. Et on s’indigne sur son passage. Son manageur est à rien de la crise. Sauf que Shina il s’en moque. Il a son téléphone serré dans sa main, et il envoie encore des sms. Encore. Encore. L’inquiétude au ventre. La crainte pour Sian. Sian, petite princesse qu’il protège depuis toujours ou presque. Sa descente aux enfers comme une erreur personnelle qu’il n’a jamais pu éviter. Le cœur serré à chaque fois qu’il pense à elle, et l’envie de vouloir faire plus sans qu’il n’y ait plus à faire. Promesse de la trouver quoi qu’il arrive et adresse du bar rentrée dans le GPS de ses doigts tremblants. Et lorsqu’il démarre, il a son manageur en haut parole, lui explique qu’il a sa sœur, celle qu’il considère comme telle et tellement plus, toute seule quelque part dans Séoul et qu’il ne peut pas la laisser. Pas quand elle a besoin de lui. Des promesses de revenir le lendemain pour finir, des promesses de travailler plus, des excuses entre ses lèvres à peine pensées. Et il roule vite le japonais, trop sans doute, appréciant la nuit pour le calme apparent. Il roule vite jusqu’à ce fameux bar, voiture garée sur le trottoir, signaux de détresse allumés. Comme sa détresse à lui. Souffle erratique, il finit vite par la retrouver dans ce bar. Dans un coin. Trop petite. Trop fragile. Et c’est les yeux tristes qu’il va s’asseoir à côté d’elle. « Sian. Princesse. » Sa main sur son épaule pour ne pas la faire sursauter. Un moment à la regarder dans les yeux tandis qu’il voit des larmes dans les siens. « Oh non … » Et dans une douceur infinie, nostalgie de ces vieilles années, il la prend dans ses bras. Douceur absolue, il la prend dans ses bras, parce que Sian elle mérite le monde et tellement plus encore.

C’était sa dernière chance, le médecin l’avait dit. Fine pointe de la technologie, si cet appareil n’arrivait pas à rendre l’ouïe à l’enfant lunaire, rien ne le pourrait. Le déchet de ferraille et de fils qui nargue l’enfant au monde redevenu silencieux. Elle le lance contre le mur dans un excès de rage, les injures qui tournent rapidement en sanglots. Les cris qui tournent en pleurs, les sons résonnant dans l’appartement vide, affreusement audible par tous sauf elle. Gamine déchue, les yeux bouffis, la gorge rêche d’avoir trop crié, elle erre les rues de la capitale. Soif d’oublier, soif de se perdre, d’engourdir les sentiments pour toujours. Elle entre dans le premier bar qu’elle trouve, s’échoue sur le comptoir et commande un verre. Puis un deuxième. Un troisième. Les verres qui s’empilent devant elle et la douleur qui lui serre toujours le palpitant. La noirceur de son esprit qui commence à la consumer, des idées de rejoindre un ailleurs, de mettre fin au désespoir, d’enfin libérer son âme de cette coquille vide qui lui sert de corps. Y’a qu’une personne qui lui vient à l’esprit, une seule personne à qui elle doit dire adieu. Le téléphone lui glisse des mains quelques fois, ses doigts tapent n’importe où, mais les mots sont là, empreints de ses émotions. Un énième verre vide vient rejoindre le tas, les yeux de l’enfant lunaire qui se ferment tout seul. Une main qui se pose sur son épaule, la voix familière qui la tire d’un sommeil. Ses lèvres qui s’étirent dans un sourire illusoire, effluve de l’alcool qui contraste les larmes séchées le long de ses pommettes. « aaah ! Chii-n… » Les mots perdus dans l’épaule du garçon. La chaleur de son corps contre le sien, la familiarité de l’étreinte et les larmes qui reviennent, la gamine qui braille, toute la tristesse du monde qui semble se déverser de ses yeux déjà rougis par le désespoir. Sa voix qui tente d’expliquer, mais les mots qui ne font aucun sens.

La main sur son épaule pour ne pas la faire sursauter, mais pourtant il a l’impression de faire face à un animal apeuré. Effrayé. Et sans doute qu’elle doit l’être Sian, par la vie. Sans doute. C’est quelque chose qu’il ne saurait dit. Des mots qui passent toujours difficilement ses lèvres, difficulté d’être un soutien auguste, surtout face à la vie. Mais c’était Sian, et il ne pouvait pas prendre peur face aux difficultés, non, il se voulait présence forte à ses côtés, prêt à la soutenir si besoin et ce jusqu’à la fin. Mais les yeux humides de la jeune femme le détruisait. Si fort. L’impression qu’on lui arrachait le cœur. Sian comme la petite sœur qu’il n’avait jamais eu. Enfin unique, choyé autant que possible avant que maman ne s’épuise, avant qu’elle ne se fatigue, avant qu’elle ne se brise. La peur presque égoïste que Sian ne se brise aussi. Alors, c’est naturellement qu’il la prend dans ses bras Shina. Naturellement qu’il l’amène contre lui, conscient que ces yeux remplis d’étoiles en berne qu’elle avait posés sur lui allaient se remplir de larmes. Petit corps secoué de sanglots, et il la serre Shina. La serre, lui offrant tout ce qu’il peut lui offrir. Une épaule pour pleurer, ses bras pour la consoler. Et sa main qui caresse tendrement sa chevelure, murmures entre ses lèvres pour la calmer un tant soit peu. Les pleurs de Sian lui rendant ses mots incompréhensibles. « Chut, ça va aller princesse. » Et il redoublerait d’affection pour elle si nécessaire, ses doigts cajolant ses cheveux pour se perdre à sa nuque en des caresses douces. Son autre main frottant son dos avec toute la délicatesse possible. Et lorsque les sanglots se calment enfin, lorsque le petit corps de Sian cesse enfin de trembler, c’est sa voix à Shina qui tremble, tandis qu’il questionne la peur au ventre. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Et les mots se bousculent presque sur la fin de sa phrase, comme un blocage dans sa gorge, comme s’il craignait de savoir. « Tu veux en parler ? » Et il ne la force pas, jamais. Princesse qui à toute son attention, sa patience mise en avant.

Pauvre enfant, orpheline si tôt. Pauvres parents, sacrifiés pour leur enfant. Les voix qui se contredisent dans sa tête. Son inconscient qui se rebelle, la logique qui disparaît happée par les émotions viscérales. Culpabilité écrasante ; c’était son concours, c’était elle qui avait voulu y aller, c’était parce que la préparation avait été longue qu’ils étaient en retard, parce qu’ils se dépêchaient trop qu’ils ont roulé sur la fin de jaune, alors que la verte s’allumait de l’autre côté, qu’un conducteur tout aussi distrait s’élançait à toute vitesse. Tristesse à en broyer le palpitant ; l’enfant lunaire qui se retrouve seule et brisée, physiquement comme mentalement. Et la vie qui continue de s’acharner, d’empiler les obstacles trop haut pour la poupée. L’espoir vain qui dure, des années durant. La dernière étoile qui s’éteint finalement dans la vie de la princesse. Alors elle se raccroche à ce qui lui reste, à cette étreinte si forte qu’elle menace de la briser. L’infini désespoir qui s’échappe en larmes cristallines venant s’éteindre dans le haut de l’ainé. Les sanglots qui se calment après une éternité, le corps déshydraté qui se dessèche. L’enfant qui a encore des pleurs à verser, mais dont le corps n’arrive plus à fournir. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tu veux en parler ? Non, jamais. Je veux tout oublier. La gamine céleste qui veut que s’échapper ; s’échapper de cette réalité, de cette vie de misère. La gamine qui sait que ce n’est pas possible, que ce n’est plus possible avec Shina dans le coin. Peut-être que c’est pour ça qu’elle lui a écrit, peut-être qu’une partie d’elle n’est pas encore prête à mourir. Princesse refuse de briser l’étreinte ; la chaleur de son aîné servant de protection, de vague réconfort. Elle n’ose pas regarder dans ses yeux pleins d’appréhension et d’inquiétude. « L’appareil marche plus. » Les mots difficiles à trouver, encore plus difficiles à prononcer. L’alcool qui rend la bouche de l’enfant pâteuse mais qui n’arrive plus à engourdir la peine. « Y'a rien qui puisse me rendre mon ouïe. » La sentence tombe, la gravité des mots qui semble peser dans l'air du bar ; les autres clients qui tentent de ne pas réagir, qui tentent de cacher leur intérêt.

Il l’avait connue avec des sourires grands comme le monde. Il l’avait connue heureuse, joyeuse. Il l’avait connue solaire, alors qu’elle était lunaire maintenant. Sian princesse de son cœur, il l’avait choyée autant que possible, sa main toujours dans la sienne même quand la jeune femme était au plus bas. Il avait été là, l’avion n’ayant jamais été aussi long alors qu’il apprenait l’horreur. Là à attendre qu’elle se réveille, qu’elle accepte de le voir. Il avait été là Shina, essuyant ses larmes, acceptant ses décisions. Il avait toujours été là. Encore maintenant. Surtout maintenant. Maintenant tandis qu’elle s’agrippait à lui, le cœur en morceaux, des larmes qui ne se tarissaient pas. Et celui de Shina en berne, cœur en berne, larmes retenues tandis qu’il se montrait cajoleur avec elle, l’espoir presque vain de pouvoir lui faire oublier ce qui la brisait ainsi. Mais les pleurs tarissent et Shina ose, question presque trouble, ténue dans le silence fort. Il la garde contre elle, ses doigts glissant dans sa chevelure, geste qu’il espère assez doux pour calmer son cœur. Mais c’est la sentence qui s’abat. C’est le bras du japonais qui se resserre machinalement autour de la jeune femme tandis qu’il accuse. L’idée. L’idée infâme que sa princesse ne pourra jamais plus récupérer son ouïe. L’idée ignoble vraiment. Et pourtant réelle. Sian perdait son ouïe. Et la médecine ne pouvait plus rien faire. Abandonnée par le monde. Mais Shina qui refuse de l’abandonner, tandis qu’il la cale dans ses bras un peu mieux, la demoiselle passant sur ses genoux. Shina qui refuse de l’abandonner, tandis qu’il la serre plus fort contre lui, son visage dans sa chevelure. « Ah … » Et il ne sait pas quoi dire le mannequin. Ne sait pas quoi dire pour lui enlever cette douleur. Pas quoi dire. Pas de miracles à donner. Plus grand chose. « On va trouver quelque chose … Je te jure, on va trouver. Sian … Baisse pas les bras. » Et y’a sa voix qui tremble, à la pensée qu’elle puisse lui échapper, lui glisser entre ses doigts, disparaître. Y’a sa voix qui tremble, des pleurs qu’il retient pour ne pas l’accabler, le cœur lourd de ne pouvoir lui trouver une solution. « Je te laisserai pas tomber. On va trouver, d’accord ? On va trouver … » Et y’a sa voix qui se brise sur la fin de ses mots. La peur vraiment, qu’elle n’y croie plus.

Elle rêve de s’effacé, de disparaître dans la nuit, de s’évaporer en un nuage de bulles. La gamine a atteint sa limite, elle sent les dernières pièces de son être qui s’effritent. Il n’y a que cette étreinte qui l’empêche de s’éteindre. Ces bras qu’elle ne connait que trop bien, qui l’ont soutenu dans les hauts comme dans les bas, qui ont toujours été là lorsque la sonnerie résonnait comme les pleurs de la gamine. L’étreinte de Chiaki qui sentait comme la maison, qui arrivait à apaiser son cœur dans les pires situations. Chiaki qui ravivait les souvenirs de la famille perdue, dont les sourires mémorisés avaient le pouvoir d’éloigner les démons. Mais ce soir, ça ne semblait pas être assez. Le monde de la poupée était plongé dans une noirceur profonde qui semblait la noyer, serrer son palpitant jusqu’à le broyer. Et il n’y a rien à faire, rien à dire, la banque de miracle épuisée, plus qu’à faire face à la réalité et espérer qu’elle ne la brise pas. On va trouver quelque chose … Je te jure, on va trouver. Sian … Baisse pas les bras. Les mots qui sonnent creux, mensonges évidents aux oreilles défectueuses. C’est le tremblement derrière qui arrive à l’atteindre au fond de son océan. La gamine y détecte de la peur, de la panique. Le palpitant qui se serre à nouveau alors qu’elle réalise la peine, l’inquiétude qu’elle lui cause. « j’m’excuse chi-nii. » les mots marmonnés au creux de son oreille, en boucle, comme un disque brisé. L’énergie semble avoir quitté la princesse, les pleurs ne résonnent plus dans le bar, mais les larmes continuent de couler sans bruit. La gamine épuisée, son esprit s’est réfugié dans un sommeil comatant.

Il la garde sur ses genoux. Étreinte forte mais remplie de désespoir. Il la garde sur ses genoux, la berce dans ses bras. Pour être sûr qu’elle ne s’en va pas. Pour être sûr qu’elle ne disparaisse pas. Sans pour autant s’imposer, l’envie d’être pour elle un repère. Sian qui pleure. Et son cœur qui se serre à Shina tandis qu’il se refuse à accepter cette horrible vérité. C’est dur d’accepter. Tellement. Dur. Parce que c’était cet espoir qui l’avait forcé à avancer. À ne jamais baisser les bras. Mais il n’y avait plus d’espoir. Et Shina le sentait. Qu’il n’était pas assez fort, suffisant. Pour la retenir. Pour ne pas qu’elle flanche. Il ne pouvait rien faire le modèle, malgré ses paroles, il ne pouvait rien faire. Et même tout l’argent du monde ne pourrait la sauver si les médecins avaient baissé les bras. Mais il ne peut pas l’accepter. Alors entre ses lèvres c’est des promesses désespérées, de trouver quelque chose, des supplications, qu’elle n’abandonne pas. Mais elle s’excuse Sian. Sa tendre princesse. Elle s’excuse et il ne peut que la serrer un peu plus contre lui, qu’elle ait quelqu’un contre qui s’appuyer. Quelqu’un pour essuyer ses pleurs, ses larmes. Et il la sent s’endormir. Il la sent s’affaler contre lui, et il ne peut que s’appuyer contre le mur, un signe de la main au serveur pour qu’il lui amène de quoi boire. De quoi accuser l’impensable. Et c’est de murmures tendres qu’il la berce. C’est de promesses miraculeuses qu’il la laisse s’assoupir contre lui, ses doigts se serrant sur le verre qu’il s’est servi. Pour ne pas trembler. Totalement dépassé. Totalement perdu. « J’peux pas te perdre Sian. » Il lui murmure dans ses cheveux, la voix fragile, la vérité qui brise sa voix comme du verre. « J’pourrai pas le supporter … » Et c’est sans doute égoïste de sa part, murmures qu’il laisse dans l’étreinte de Morphée, mais c’est le désespoir qui parle chez Shina. C’est le désespoir et la crainte. Que Sian ne soit plus là demain. Qu’elle disparaisse. Non.

Les prières du prince l’emportent dans les limbes. De son état semi-conscient, l’enfant céleste comprend sa peine, accepte ses demandes, mais n’a point la force de le consoler, de le rassurer. Leurs deux cœurs semblent se briser sous la lueur indifférente des néons. Tout l’alcool du monde n’arrivant pas à engourdir la douleur des enfants lunaires, l’étreinte de l’autre comme seul soulagement.

Le corps en agonie ; yeux bouffis, bouche asséchée, le crane qui menace de se casser. La gamine qui se force à revenir à la réalité, à quitter le néant confortable de l’inconscient. Le cœur lourd, les souvenirs flous après le énième verre, mais la mauvaise nouvelle brûlée dans son esprit. Elle aurait voulu oublier, que tout soit un rêve comme dans les films… sauf que la réalité était brutalement honnête, indifférente aux souhaits et prières de ses prisonniers. Le décor lui est inconnu, mais le corps allongé à ses côtés est plus que familier ; il arrive à calmer la détresse naissante du palpitant. La gamine reste couchée, les prunelles chocolat fixées sur le plafond aussi blanc et vide que son esprit. Il n’y a que le vrombissement de sa migraine qui subsiste. Elle ne saurait dire combien de temps a passé lorsque son compagnon commence enfin à émerger. « Désolée… » de t’avoir fait peur, de t’avoir montré un état aussi pitoyable, de t’avoir déçu, de t’avoir dérangé. La voix rauque, la gorge encore à vif d’avoir tant pleurer la vieille. « et merci… » d’avoir été là malgré tout, de ne pas m’avoir abandonné, de toujours être là. Deux mots simples, mais chargés, lourds de sentiments.