i dreamed a dream (王黎娜)

L'enfer. Voilà un concept largement exploité que ce soit par la littérature, les religions, ou même la culture populaire. L'enfer. C'était une notion que je connaissais bien, vu que je considérais souvent que j'y étais née. Oh, je n'ai rien contre Rome, loin de là, c'est plus contre ma famille que j'ai toujours eu des griefs. Aaaah! les Wang! En voilà une sacrée famille. Père ambassadeur, déjà, ça donne le ton. Toujours au téléphone, jamais une minute pour sa famille. Je me souviens encore du jour où j'ai renversé du yaourt sur son costume, et où il m'a adressé le pire regard de mépris de toute ma vie. J'avais cinq ans. Puis, ma mère. Issue de la noblesse chinoise, autant vous dire que sa famille et leur pognon ont mis les voiles dès qu'un certain Mao a pointé le bout de son nez. Direction les USA, où ils ont continué de prospérer, si bien que ma maternelle a fini par rencontré un jeune et riche ambassadeur. Ne croyez pas que ce fut un conte de fée ; t'es riche ? cool, moi aussi, viens on se marie pour être encore plus riche. Ouais, l'amour n'a jamais vraiment fait partie de la famille. Voilà donc l'enfer dans lequel je suis née. Je suis pas là pour vous faire pleurer, et je vous mentirais si je vous disais que j'ai eu la pire enfance du monde. Après tout, je n'ai jamais manqué de rien, sinon de parents. J'avais de l'argent, des jouets à foison, des vêtements toujours dernier cris, et je rendais jalouse mes petites camarades à l'époque. Bien sûr, je reçu l'éducation qu'il sied à une enfant Wang ; polyglotte dès mes sept ans, musicienne à mes dix ans, et aussi à l'aiser avec un pinceau qu'un métier à broder. Il faut dire qu'à ma connaissance, ma gouvernante était la personne la plus stricte de cette planète. Vous devinez ce que ça a donné ? Une jeune fille sage et obéissante ? Raté.

Quelle ironie pour mes parents de m'avoir comme fille. Très tôt, j'ai développé une profonde haine à l'encontre des règles. Ces foutus codes qui me contraignaient à rester enfermée chez moi pendant que les autres enfants de mon âge jouaient dehors. Autant vous dire qu'à l'adolescence sonna le glas de l'apocalypse. Inutile de s'épancher en détail : j'ai fais les quatre-cent coups. J'ai commencé à sortir jeune, j'ai commencé à boire jeune, j'ai commencé à coucher jeune. Tout ce qui m'était interdit, je le faisais avec un sourire de défi. Le prof a dit qu'on ne pouvait pas escalader les grilles ? Watch me. Le gérant du magasin a dit qu'on ne pouvait pas acheter d'alcool ? Trop tard, je l'avais volé. Les parents ont dit qu'ils me garderaient enfermée jusqu'à ma majorité ? Try me. Avec le recul, on ne peut pas vraiment dire que je sois fière de mon parcours. Des regrets, j'en ai à la pelle. Je crois que je peux facilement en ressortir un pour chaque occasion. Mais sur le moment, le futur, je m'en foutais. Je voyais pas plus loin que le bout de mon nez, ce qui est déjà pas mal vu tout l'alcool que j'ingurgitais. Puis, comme souvent, il y a eu la bourde de trop, celle qui m'a foutue à la porte pour avoir apporté le déshonneur sur ma famille et sur ma vache.

Aujourd'hui, cette connerie a huit ans, et ses grands-parents persistent à la coiffer d'horribles couettes. Cette connerie, je l'aime plus que tout au monde. Et pourtant, si c'était à refaire, je ferais les choses différemment. Ainsi, à dix huit ans, je suis tombée enceinte. Je connaissais à peine le père, et il a disparu après qu'on ait partagé une nuit ensemble. Il ne me fallut pas longtemps avant de comprendre que j'étais enceinte, et il avait suffit d'un test de grossesse dans les toilettes du lycée pour confirmer mes craintes. J'avais alors espéré pouvoir cacher la grossesse jusqu'à terme, et puis quoi ? Arrive le môme dans les bras à la maison, un noeud sur la tête et crier "surprise" à mes parents ? Ils découvrirent le pot-aux-roses après le cinquième mois, et la sentence fut sans équivoque ; ils me répudièrent de la maison pour m'envoyer vivre chez mes grands-parents paternels, en Corée. Initialement, je devais accoucher sous x, et laisser des étrangers s'occuper de mon enfant. Je refusai catégoriquement, et ils ne purent lutter quand, au moment de l'accouchement, je donnai mon nom, et toutes les informations qu'il me fut possible de donner. C'est dans ce contexte navrant que naquit ma douce Sara. Je me jurai alors de lui donner tout ce que je n'avais jamais eu : de l'amour. Bien sûr, les belles promesses différent toujours des faits. Car à dix-huit, sans ma famille, je n'étais rien sinon une gamine écervelée qui n'avait rien fait de bon, sinon un enfant, durant son adolescence. Je tentais dans un premier temps d'aller à la faculté ; si suivre des études prestigieuses pouvait me rendre les bonnes grâces de ma famille, alors pourquoi pas ? Mais les cours me lassaient, et les distractions étaient si nombreuses. Même avec la plus belle motivation du monde, je n'y parvenais pas. Je me maudissais, je maudissais les Wang, je maudissais la terre tout entière pour cet enfer qu'elle m'avait octroyé. Mais puisqu'il me fallait vivre dans les flammes, alors j'en serais reine, pour ma fille.

Puisque mes frasques m'avaient rendue populaire auprès de la presse à scandale, pourquoi ne pas s'en servir ? Je suis donc devenue mannequin, ce qui était alors la carrière la plus facile à approcher pour moi à l'époque. Le motto : soit belle et tais-toi, la deuxième partie de la maxime étant la plus difficile à appliquer. Heureusement, être belle, je savais faire. Sourire à la caméra, me déhancher, mettre en valeur les habits, rien de bien compliqué. Sauf que c'était loin d'être suffisant pour moi ; je ne voulais pas être une simple potiche mettant en avant le travail de quelqu'un d'autre. Dans un monde de Hadid, je voulais être une Edna Mode. C'est ainsi que me vint l'idée de me lancer dans le stylisme. Au début, ce ne fut que pour quelques collabs, des marques se servant de mon nom pour attirer les pré-ados, mais cela me donna suffisamment d'expérience que pour voir grand ; ainsi, après une collaboration des plus fructueuses avec le géant H&M, j'annonçai la création de ma propre marque, Adhara. Une marque luxueuse et élégante, loin de l'image que le monde s'était fait de moi jusqu'à lors. Mon héritage pour ma fille, en quelque sorte.

Me suis-je pour autant assagie ? Par la force des choses, oui. Je veux être une mère exemplaire, quand bien même Sara vit toujours chez ses grands parents. Je veux lui offrir un avenir stable, dans lequel je pourrai être présente. Bien sûr, je la vois autant que je le peux, plusieurs fois par semaine, ce qui est déjà davantage que ce à quoi j'étais habituée à son âge. Cependant, ce n'est pas suffisant, et j'espère un jour pouvoir lui offrir une vie à l'ombre des projecteurs, dans une grande maison, avec une famille douce et aimante. Un rêve bien plus dur à réaliser qu'il n'y parait ... hélas.