b l a c k o u t + baozi

Plaie béante dans son cœur qui peinait à réaliser l’absence malgré les nuits passées à pleurer. Yeux rougis, cernes béantes, cheveux en pagaille…elle n’avait plus rien de ce qu’on lui connaissait, recroquevillée dans un coin de sa chambre d’hôtel à pleurer, à se sentir plus vulnérable qu’un animal pris au piège. Nash n’était plus là et elle ne savait plus ce qu’elle était censée faire à présent, serrant douloureusement la chaine qui entourait autrefois le cou de son frère entre ses doigts, refusant de s’en séparer ne serait-ce qu’une seule seconde. La chanteuse n’a pas bougé de cette chambre depuis trois jours où elle refusait de croiser le regard de ceux qu’elle avait accusé de lui avoir volé son grand frère. La colère, la douleur, lui faisait tourner sa haine vers les précieux amis de son frère, vers ses propres amis qu’elle aimait toujours derrière son désarroi. Son cœur est bien trop secoué pour qu’elle songe à tout ça, se noyant dans ses propres souvenirs qui ne faisaient qu’alourdir son chagrin. Il lui manquait déjà tellement. Elle avait tellement peur, sans lui. Elle ne savait plus ce qu’elle était censée faire, ne savait pas si elle aurait un jour la force de monter sur scène à nouveau s’il n’était plus là pour elle. Nash…elle le détestait tellement pour l’avoir abandonnée, pour être mort lui qu’elle avait toujours considéré supérieur au point de ne jamais être touché par la mort. Idiotie inconsciente qui lui avait volé ce qu’elle avait de plus cher en ce monde…et maintenant les regrets affluaient, l’étouffaient. La porte de la chambre s’ouvre. Rain penche la tête de l’autre direction afin de cacher son visage, ne souhaitant même pas savoir qui venait la voir. Au fond, elle le savait déjà, rien qu’à la légèreté des pas qui s’approchaient et de son cœur amoureux. Une présence qui aurait dû la réconforter mais qui lui donnait ce frisson d’amertume et elle ne voulait pas faire face à cette situation. Ce qu’elle aimerait simplement se loger dans ses bras, ne pas se poser de questions, ignorer tout le reste…mais ça n’était plus possible et elle ne veut même plus la regarder, prononçant dans un ton qu’on ne lui connaissait pas, faible et sur la défensive. « Ne reste pas si tu es juste venue pour me regarder. » Affaiblie, brisée, elle n’avait pas le courage de prononcer ces douloureuses paroles qui pourtant ne voulaient plus dire grand-chose pour elle, son deuil prenant le dessus sur tout le reste.

Cœur ouvert. Cœur arraché. Son absence qui crie sa douleur. Son absence. Son absence. Et les mots qui ne viennent pas. Son absence. Et la douleur qui s’impose au lieu de la compréhension. Le choc encore. Le choc. L’accident. Des images qu’elle maudit. Des images qu’elle voit toujours Baozi. Et elle suffoque. Et elle suffoque, s’étouffe. S’étouffe. Nash est mort. Nash est mort. Mort. Mort … Et elle retient ses sanglots, l’impression qu’elle n’a pas le droit de pleurer. Et elle retient ses larmes, s’étouffe un peu plus avec. Un deuil qu’elle ne veut pas faire. Même pas accepter. Mais les rues pleurent aujourd’hui. Les rues pleurent depuis trois jours des larmes qu’elle se refuse à verser. Les rues saluent l’homme, saluent la légende mais dans le grondement des moteurs celui de la chinoise est absent. Elle regarde sa moto d’un regard qui vacille, et sa voiture lui donne l’effet d’un cercueil. Nash est mort. Il ne passera plus jamais la porte en souriant, son rire n’égaiera plus jamais les jours. Nuits ternes en prévision, nuits sombres, l’impression que le soleil ne se lèvera plus. Mais Baozi cruelle. De ne pouvoir accepter. De ne pouvoir lui faire face, à elle. Tendre demoiselle, sa main qui s’est accrochée à la sienne, sa main qu’elle aurait voulu garder. Pourtant incapable de lui faire face, la bile au ventre de retracer sur son visage les traits de son frère. Il lui faudra trois jours. Trois jours pour se ramasser, les morceaux de son cœur, pour les recoller tant bien que mal. Mais le puzzle est mauvais. Incomplet des morceaux de son être dans la tombe, comme l’assurance qu’il ait un dernier voyage moins pénible. Et lorsqu’elle pousse la porte Baozi, elle a les yeux humides, kaléidoscopes de sentiments, émotions vives, à vif. Elle a les yeux qui brillent mais les étoiles sont ternes, étincelles qui portent le deuil. Et elle a ses lèvres qui tremblent, absence de ce rouge sur celles-ci dont elle aime se farder avec. Baozi en deuil, ses mains qui se serrent, ses ongles qui rentrent dans sa peau, et le besoin de la prendre dans ses bras sans arriver à esquisser le geste. Et ses actes restent avortés, ses mains qui retombent le long de son corps, compagnie reniée. « Ne me rejette pas Xiǎoyǔ … » Y’a sa voix qui tangue, vacille, le surnom affectueux qui se perd dans un silence entre ses lèvres. Elle sait pas quoi dire Baozi. Elle sait pas quoi faire. Parce que Nash est mort, que les mots lui manquent. Parce que Nash est mort, et si elle perd un ami, un modèle, un soutien, une partie de son monde, Rain elle perd le monde entier, elle perd son frère, elle perd son univers. Et elle a pas les mots. Pour la sauver de cette douleur amère. Elle a pas les mots pour les sauver de cette tristesse dévorante.

La douleur est si intense, si forte que la chanteuse agit comme un animal sur le point de mourir, logée contre les murs, si bien qu’on pouvait à peine la remarquer lorsque l’on entrait dans la chambre. Rain se sent en danger tandis que son espace personnel est envahi d’une présence qui pourtant avait été réconfortante de nombreux soirs. Ce n’était plus pareil à présent et elle peinait à faire face à ce qu’elles étaient, à ce qu’elles avaient été. Des paroles finalement prononcées, une réponse qui ne fait qu’alourdir cette pointe dans son cœur. Rain ne sait pas comment elle trouve le courage de redresser la tête pour croiser le regard de Baozi. Elle la regarde et y lit toute la peine du monde, bien que son propre regard ne devait pas être plus beau à voir, elle qui avait tout perdu. Lentement, doucement, Rain se relève. Elle tient à peine sur ses jambes et pourtant elle amoindrit l’espace entre elle pour venir poser une main sur la joue de la jeune femme, retenant ses sanglots tant bien que mal. « I’m…I’m going to leave. » Pour le Japon, pour retrouver la mère qui venait de perdre son fils. Les prochains jours ne promettaient que plus de souffrances encore et elle ne voulait pas que Baozi s’occupe d’elle, soit celle qui l’aide à se relever. Souvent, les gens pensent que ce genre de situation renforçait un couple : en réalité, il n’en était rien de plus que des inepties aux yeux de la moitié japonaise. Probablement était-ce son orgueil ou bien le fait qu’elle avait toujours su mettre un terme à ses relations avant qu’elles ne dérapent pour éviter de trop souffrir. « You don’t have to wait for me anymore. » Rain caresse la joue humide de larmes et essaye de sourire. Elle sait que cette envie de rompre est partagée, elle le sent, elle y fait face tant bien que mal. Son cœur en souffre mais Baozi n’a pas à se sentir en tort. La vie en a décidé ainsi, à un moment où Rain avait le plus besoin d’être soutenue, elle perdait celle qui avait réussi à apaiser ses maux, celle qui avait fait palpiter son cœur. Elle ne veut pas la perdre entièrement, espère qu’un jour, elles se croiseront à nouveau et seront capables de se souvenir de ces beaux moments passés ensemble. « Let’s end all of this, okay ? » à ces paroles, elle vient déposer un dernier baiser sur les lèvres de sa tendre avant de serrer à nouveau la chaîne entre ses doigts, allant s’installer sur le lit défait de la chambre. Le vide. La peine. Le trou béant dans son cœur qui ne réalise toujours pas.

Elle a pas les mots Baozi. Pour la retenir. Douleur qu’elle peine à partager. Incapable de la comparer à la sienne. Elle regarde Rain qui vacille, s’effrite, disparaît sous son regard. Elle regarde la vie qu’elle aime mourir à petits feux. Entrainée dans le sillon de son frère. Entrainée vers le royaume des morts. Et Baozi, elle ne sait pas la rattraper. Elle a pas les mots. Des sanglots qui bloquent sa gorge sans jamais passer ses lèvres. Son cœur également en lambeaux, en morceaux. Tristesses en disharmonie. Elles ne se comprennent plus. Et la réalisation est douloureuse. Elles ne peuvent être là pour l’autre. Incapable de se sauver. Incapable de pouvoir retenir la deuxième de cette chute indéniable. Trop pleins d’émotions, et y’a quelque chose qui se brise dans la chinoise quand Rain pose sa main sur sa joue. Trop pleins d’émotions et ce qu’il reste de son cœur qui se serre tandis qu’elle lui annonce son départ. Et elle s’imagine. Juste un instant. Se montrer égoïste. La supplier de rester. Mais elle peut pas. Non. Elle sait. Et ça fait juste mal de l’admettre. Pour la préserver, elle doit la laisser partir. Elle doit la détacher d’elle. Et elle ne peut que sourire, tandis que ses larmes coulent. Enfin. Elle ne peut que sourire tandis que l’eau perle sur son visage silencieusement. Même si elle voudrait hurler. Qu’elle pourrait l’attendre. La supplier. De venir la retrouver. Ça ne sert à rien. Nash en mourant a emporté avec lui cet amour qui les liait. Il ne reste que le chagrin de ce lien qu’elles pensaient presque incassable. Lypémanie sombre. Il ne reste plus rien d’eux. Plus rien. Parce que l’immortalité d’un être s’est finie dans une tombe. Parce qu’il est parti. À jamais. Et qu’elle ne peut la retenir à cet enfer qu’elle doit vivre. Alors elle hoche la tête Baozi. Gorge prise de sanglots douloureux qu’elle retient encore, elle hoche la tête, accepte. Comprend. Et les lèvres de Rain contre les siennes sont si froides qu’elle lui rappelle ces nuits sans sommeil. Et ses lèvres sont si tristes qu’elle sonne un glas immuable. « I’m sorry. I … » Elle s’excuse. Mots qui s’entrechoquent contre ses dents, ses lèvres, sortent comme des râles étranglés tandis que son regard se pose sur Rain, si fragile sur ce lit. Cassable. Cassée. Brisée. « I … couldn’t. » Elle n’a pas pu. Elle n’a pas su. Le sauver. Et ça la ronge. De ne pas avoir pu arrêté ce drame. De ne pas avoir pu rien faire. De ne pas pouvoir la sauver. Culpabilité qui la ronge, culpabilité qui la détruit de l’intérieur. Et elle se laisse tomber accroupie. Mains devant son visage pour retenir des pleurs déchirants. Elle n’a aucun droit d’hurler sa douleur ici. Mains devant son visage pour cacher le drame. L’impression qu’en partant Nash leur a pris une partie d’elles également.