wonderful moment + lena

« Ils font ça pour ton bien, tu sais. » Ils ne me font que du mal. « Regarde ce que je suis devenu, je ne fais plus attention aux critiques ; au contraire, ce sont en soulignant tes défauts que tu pourras les corriger, c'est pas en te complimentant que tu vas pouvoir avancer. » Visiblement, cette technique ne fonctionne pas.

Elle était toute seule chez elle ce soir, alors que ses parents et son grand frère fêtaient le diplôme de ce dernier. Elle n'avait pas eu envie, simulant un mal de tête, sachant très bien que la soirée tournerait juste en louanges pour ce dernier, lui qui était si parfait, si brillant, si admirable, un exemple à prendre pour tous. Surtout pour elle. Pourtant, elle était pas si terrible, non ? Elle avait de bonnes notes et n'était pas si méchante. Enfin, elle se faisait juste marcher sur les pieds en cours, petite intello que tout le monde victimise car elle ne sait pas se défendre, car elle pleure tout le temps, car elle n'a pas vraiment d'amis.

… Bon c'est vrai qu'elle n'était pas si parfaite à côté de son grand frère, mais ce n'était pas une raison pour oublier son anniversaire et ne penser qu'à fêter le diplôme de l'aînée, si ?

Elle était sans cesse comparée à lui, et plus on la rabaissait, en lui disant que, lui, il avait confiance en lui, lui, il était autoritaire et se faisait entendre, et plus elle se renfermait sur elle. Le fruit d'une éducation trop stricte et sans soutien. Pourtant, elle les aimait. Mais elle n'avait juste personne d'autre à aimer.


« Il te faudra beaucoup travailler pour reprendre mon entreprise. Je te la léguerai, après que tu aies fait cette école. »

Ce n'était même pas la peine de négocier pour qu'elle choisisse elle-même son avenir, elle savait déjà que ce serait peine perdue. Elle pouvait s'estimer heureuse, elle reprendrait l'agence de divertissement de son père tandis que son frère se lancera dans de la politique. Ca, ça aurait été chiant. Alors elle travailla dur, non pas par ambition, mais juste car elle se laissait couler dans le flot de la vie. Sans but, sans choix, quitte à vivre un enfer et une vie non choisie par elle, autant bien le faire.

Même s'il y a eu cet événement.

La chaleur de son corps, les caresses sur la peau, les lèvres qui se touchent et se retouchent, son odeur d'alcool, un « arrête » qui n'a comme réponse que « tu m'as dit vouloir t'amuser ce soir », la douleur. Elle se calme, lui faisant confiance et se disant que oui, c'était l'occasion ou jamais pour s'amuser un peu, d'essayer de nouveaux jeux, ce soir. Mais se disant également que ce serait bien la dernière soirée, car ces jeux ne l'amusaient pas, finalement.


« Quelle vie de merde. »

C'était en pleurs qu'ils se passèrent la bague au doigt. Il était hors de question pour la famille Yang d'avoir une fille avec un enfant hors mariage, de procéder à un avortement, alors avec un peu de chantage, en promettant une jolie récompense de fortune sur le long terme, ils avaient réussi à forcer l'homme de se marier avec elle. Tout le monde était plutôt gagnant – l'honneur de la famille était plus ou moins sauvé, en plus les parents voyaient leur fille déjà mariée, le garçon se retrouvait projeté dans une vie où l'argent ne manquerait pas, et Lena… n'avait pas son mot à dire. Ses parents la persuadèrent que c'était une bonne solution, qu'en plus c'était un bel homme, alors ça la suffit à accepter l'idée. Et puis, elle l'aimait bien. Pensait l'aimer. Car on avait réussi à la persuader là aussi. On avait même réussi à la persuader qu'elle avait été consentante, car elle avait arrêté de se débattre. Menteurs.

Cette soirée, c'était peut-être la seule fois où elle s'était dévergondée, où elle avait osé sortir du droit chemin des études pour tomber dans les bras d'un homme lors d'une soirée étudiante, mais pourtant même là, cela la ramenait sur le chemin du sérieux, de l'obligation et d'un destin non choisi, désormais mère bien trop tôt et mariée à un homme qu'elle n'avait pas spécialement choisi.

Elle alla en cours autant qu'elle le pouvait, et quand elle fut à un stade de grossesse vraiment trop grand, elle arrêta pour suivre des cours à domicile, allongée dans son lit. Pas question de perdre une année de ses études, sinon papa et maman seraient mécontents. Et la petite puce vint au monde ; Ye Rin, une fille, qu'elle se promettrait de chérir de tout son coeur. Elle rêva d'abandonner ses études pour s'occuper pleinement de son enfant, mais l'idée de fuir la terrifiait encore bien trop. Alors elle ne fit rien. Encore.


« Il fut un homme sérieux, un homme toujours présent pour sa famille, avec une grande bonté, mais c'était également un mari… doux avec s… ses… sa fille... »

Ce fut le moment le plus gênant de toute la vie de Lena, alors qu'elle entendait des messes basses. Quelle humiliation. Son mari, mort d'une crise cardiaque, alors qu'il était occupé chez sa maîtresse. Elle savait déjà qu'il la trompait, mais n'avait jamais divorcé ou autre, voulant le bien de leur enfant et… Se disant simplement qu'elle ne réussira jamais à se trouver quelqu'un d'autre, que c'était pas si terrible et qu'au pire, c'était normal de finir sa vie avec un homme qui trompait sa femme. Papa a dit que les femmes n'étaient là que pour satisfaire les envies de son mari de toute façon, et que ce dernier avait tous les droits (ça sentait le vécu). Ce mari, qui fut infâme jusqu'au bout, pas même capable d'emporter ses secrets dans sa tombe. Sa famille n'avait même pas été capable de lui apporter de l'aide dans son deuil, humiliés, eux aussi, à l'idée d'avoir un membre de leur famille cocu, où tout le monde en parlait et les rumeurs ne faisaient qu'augmenter de jour en jour, pas même capable de garder son mari en laisse. Mais Lena était tellement gênée qu'elle le comprenait, au final, ce manque de soutien. De toute façon, elle était habituée à ce que sa famille ne se montre que pour fêter les victoires – jamais fêter les défaites.

Elle vécut le décès plutôt seule, sans le soutien de sa famille, et sans trop d'amis à ses côtés.

Ce furent les petits yeux brillants, de cet enfant, Jae Won, qu'il avait eu avec une autre mais qu'il avait élevé seul, qui donna envie à Lena de le prendre avec elle. C'est ce qu'il aurait voulu, ne pas le laisser dans le monde horrible de l'orphelinat. Pourtant, à chaque fois qu'elle se rappelait de comment il est né, qu'elle disait être sa maman, qu'elle disaitt que sa fille est entièrement sa sœur, elle a des envies de nausée. Sa sœur jumelle même, ayant réussi à convaincre le juge lors de l'adoption pour changer la date de naissance du petit garçon, afin de les faire passer pour des jumeaux. Elle ne voulait pas qu'il grandisse avec l'idée d'être un bâtard, un enfant qui n'était pas de la bonne union, et sa date de naissance étant éloignée de celle de Ye Rin de trois mois, leur donner la même fut la meilleure solution pour ne pas trop changer leur âge, tout en lui offrant une vie dans le mensonge certes, mais loin des moqueries. Et ça valait pour la mère aussi, l'empêchant de se traîner l'image de la mère élevant le fruit de l'infidélité de son mari. Avec le temps, ça s'arrangea, elle s'attacha à ce petit bout et savait très bien qu'il n'avait rien demandé, qu'il devrait vivre sans ses deux parents de sang et qu'un jour elle devra lui dire qu'il était un enfant caché, d'un homme infidèle et d'une maîtresse – dont elle ne sait rien de la mère, juste qu'elle n'avait même pas voulu de lui et l'avait refilé à son amant. Qui avait bien caché son jeu, Lena ne s'était jamais doutée de rien. Mais malgré tout, elle manquait de neutralité quand elle doit privilégier l'un des deux enfants.


« En souhaitant beaucoup de réussite à notre fille adorée. »

Lena fêtait la reprise de l'agence de son père sans vraiment savoir si ça la rendait heureuse ou non, partagée entre le fait qu'au fond elle avait toujours travaillé pour ça et qu'elle était enfin à la tête de quelque chose, et le fait qu'à côté elle avait deux enfants qui avaient juste besoin de leur mère, et surtout, une mère qui se passionnait pour autre chose. À défaut de réussir à s'amuser elle-même, elle s'évadait dans l'écriture, rêvant plus qu'autre chose de sortir son propre drama. Mais passion qu'elle n'oserait jamais dévoiler, gardant juste tout ça caché au fond de son ordinateur.