she's like cold coffee in the morning [n i n a]

Si Nina avait su comment sa vie allait tourner, aurait-elle fait les mêmes choix? Serait-elle partie pour Séoul une fois le lycée fini? Aurait-elle décidé de faire des études pour devenir infirmière? Aurait-elle quitté sa famille pour vivre sa vie? Aurait-elle prit cet appartement-là? Et ce job dans ce café-ci? Aurait-elle évité tous ces déboires et ces galères? Où serait-elle aujourd’hui, si elle avait fait d’autres choix? Serait-elle heureuse? Aurait-elle eu une vie plus simple? Plus solitaire peut-être? Aurait-elle fait plus la fête? Se serait-elle plus amusée? Fait plus de choses de son âge? Aurait-elle de quoi être fière? Aurait-elle rencontré des personnes plus incroyables? Aimantes? Détestables? Qui serait dans sa vie aujourd'hui, si elle avait choisi autre chose? Elle ignore la réponse, mais elle sait qui n'en ferait pas partie.

Si son déménagement à Séoul pour ses études fut le début d'une succession de pièges dans lesquels elle tomba tête la première à chaque fois, sa vie n'avait pourtant pas toujours été aussi catastrophique. Née de parents commerçants, aînée d'une petite sœur qu'elle adorait, Nina avait eu une vie plutôt facile et banale jusqu'à ses vingt ans. Elle n'était pas la fille la plus populaire à l'école, ni l'intello de service, ou l'outsider. Elle était comme tout le monde, avec ses amis, ses amourettes, ses hauts, et ses bas. Une jeune fille comme il y en avait tant. Avec ses rêves et ses craintes. Cent fois elle avait imaginé ce que serait sa vie quand elle serait plus grande. Mais jamais elle n'aurait pu croire que ça tournerait ainsi.

Tomber enceinte à vingt ans, ce n'était pas prévu. Que le père s'enfuit lâchement, elle ne s'y attendait pas non plus. Mais Nina ne se laissa pas abattre. Si elle devait être seule, ainsi soit-il. Cet enfant, elle s'en occuperait seule. Appeler ses parents? Hors de question. Une honte inévitable s'emparait d'elle à cette seule idée. Alors elle arrêta ses études. Tant pis pour ses rêves. Elle en trouverait d'autres, ou du moins, elle ferait en sorte que ce petit être qui venait d'entrer dans sa vie puisse réaliser les siens. Elle enchaîna les petits boulots tant qu'elle put, entama ses réserves et ses économies quand elle se trouva incapable de travailler. Accueillir un enfant dans ce monde, c'est déjà impressionnant, et le faire seule ça en devient presque terrifiant. Alors ça demande une force incommensurable pour tenir bon, et garder la tête haute.

Mais le destin aime jouer des tours, et pas des plus agréables ou innocents. Elle ne sait plus vraiment comment elle en était arrivée là, à se vendre pour offrir une vie à son fils. Au fond, il suffit d'un rien, juste un pas, une résignation de plus, et c'était tout. Il est simple et rapide de tomber dans les ténèbres du monde de la nuit, et si ardu d'en sortir une fois qu'on y a sombré. Elle aurait pu se faire engloutir, et sa douce lumière aurait disparu totalement, s'il n'y avait pas eu Min Seok, son plus grand trésor, son fils qui était maintenant toute sa vie. C'est pour lui qu'elle garda la tête hors de l'eau, et qu'elle ne se laissa pas aller à ces travers auxquels les autres cédaient pour pouvoir s'échapper dans un imaginaire embrumé, une illusion d'échappatoire.

En vérité, Nina trouva bien mieux pour se souvenir de la beauté du monde. Hwansuk. Quoique, pour être honnête, c'est lui qui l'avait trouvée. Elle ignore encore pourquoi ce gamin s'était autant accroché à elle. Parce qu'il n'était qu'un adolescent rêveur, si doux et attendrissant. Elle qui avait voulu lui dire de fuir loin pour l'épargner, elle n'en n'avait pas eu la force ni le courage. C'est grâce à lui qu'elle put s'évader de son monde si noir et terrible, l'espace de quelques heures, deux années durant. C'est lui qui lui réapprit à aimer ce monde et les choses qu'il pouvait offrir. Et c'est lui encore qui lui rappela qu'elle avait le droit d'aimer, et d'être aimée, et cela peu importe ce qu'elle faisait pour survivre. Sans lui, elle n'aurait pas la vie qu'elle a aujourd'hui. Sans lui, elle n'aurait jamais laissé cet étudiant en droit s'approcher si près d'elle.

Tae Hyun. Jamais elle n'avait vu de personne aussi entêtée et déterminée. Ou alors peut-être elle-même? Une rencontre improbable, un sac de courses renversé, des mains qui s'affairent pour tout ramasser, des regards qui se croisent, et c'était tout. Un rien suffit pour qu'une connexion se crée instantanément. Nina était restée farouche, pourtant ça ne le découragea pas le moins du monde. Il ne s'offusqua pas en apprenant ses activités illégales et obscures. Il lui promit même de l'aider, de la sortir de cet enfer. Elle lui aurait ri au nez et serait partie, méfiante, si elle n'avait pas vu cette sincérité dans ses yeux. Elle l'avait cru sans mal, et ça la surprit elle-même.

Un an, ce fut le temps qu'il lui fallut attendre avant de faire ses adieux à cet affreux cauchemar. Pourtant ce ne fut pas aussi facile qu'on pourrait le croire. Car elle dû dire au revoir à ce garçon à qui elle s'était tant attachée. Elle-même n'était pas sûre de comprendre tout ce qu'elle ressentait à ce moment-là. Et ce fut après une unique nuit passée à ses côtés qu'elle disparut définitivement de sa vie. Elle qui pensait prendre la bonne décision, elle qui s'était persuadée que c'était mieux ainsi, et qu'il se devait de vivre sa vie sans avoir à porter un tel poids sur ses épaules si jeunes, lui qui avait encore tant de choses à vivre avec insouciance.

Ce qu'elle réalisa plus tard, c'est qu'il lui avait fait un dernier cadeau, lui qui lui avait déjà tellement offert. Un deuxième trésor à chérir. Une petite princesse. Suk Hee. Personne ne savait que son père était un tout jeune homme au sourire contagieux, un sourire que la petite lui avait volé sans honte. Un secret que Nina garda pour elle. Nouvellement mariée à cet homme si têtu, et amoureux. Elle se demande encore parfois s'il n'avait pas été aveuglé, craignant qu'un jour il ouvre les yeux et regrette amèrement sa décision d'avoir volé à son secours. Trop heureuse pour y croire. Elle s'était mise à l'aimer aussi, sans trop comprendre depuis quand, ni comment. Tout semblait tellement surréaliste. Et aujourd'hui encore, même après trois ans, il lui arrive encore de fixer son époux et de croire qu'elle rêve, effrayée à l'idée que tout s'envole d'un seul coup, et que ce bonheur ne soit qu'une bulle de savon prête à éclater d'une seconde à l'autre.

Alors chaque matin, elle se pince, se jette de l'eau froide au visage pour être bien sûre qu'elle ne dort pas, et que tout cela est bel et bien réel. Que oui, elle est mariée à un homme adorable et aimant, qui a même adopté son fils de douze ans. Oui, ils ont tous deux quitté cette vie misérable, et qu'ils n'avaient plus rien à craindre. Oui, elle vivait dans ce quartier si chic qu'elle n'osait à peine y jeter un regard auparavant. Oui, elle a deux incroyables enfants qu'elle aime plus que tout au monde, et qu'ils ne manqueront plus jamais de quoi que ce soit. Oui, elle a survécu à un véritable ouragan, et elle peut à présent profiter de tout ce qu'il lui a été interdit pendant des années.



Sois heureuse Nina.
Souris Nina.
Vis Nina.