bang chae rin - is be more like me and be less than you

Ses doigts glissent entre les lourds rideaux sombres pour laisser découvrir son petit œil curieux. La pièce pourtant gigantesque est noire de monde. Ces messieurs ont sortis leurs plus beaux costumes tandis que ces mesdames leurs plus belles robes.  Certains discutent entre eux, d'autres rient dans le brouhaha intense que produit cette foule impressionnante tandis que le reste gardent un visage grave comme si ils étaient bien incapables de sourire. Ils ne sont pas là pour la voir, pourtant du haut de ses cinq ans la scène est si impressionnante que sa gorge se nouent. Et si on la voyait ? Et si ils ne la trouvaient pas jolie dans sa douce robe blanche ? Et si soudainement elle perdait l'équilibre et venait à chuter face à tous ? La crainte fait sursauter son cœur innocent. Elle lâche vivement le rideau comme si ce dernier était soudainement devenu électrique avant de se mettre à fuir. Entre les tutus et les grandes jambes en collants elle navigue vigoureusement au plus loin de la scène. La voix des membres de l'équipe technique qui la somme de ne pas courir se font entendre mais ne l'intéresse guère. Pourtant dans son élan, des bras parvinrent à l'agripper.  Toute agitée, elle lève son visage à moitié caché par des mèches échappées de son chignon tiré. Derrière ses cheveux sombres, elle reconnaît le sourire de sa mère. Il n'en faut pas davantage pour que son cœur se réchauffe et que ses bras se resserrent autour de son cou. « Où est-ce que tu t'en allais comme ça ? » Sa mère était de ces femmes à la voix apaisante, de celles qui peuvent vous séduire qu'avec quelques mots.  Elle était d'une gentillesse incroyable, d'une bienveillance sans précédent. Elle avait le don de la rassurer avec sa seule présence. Même envahie par le stress qu'elle devait éprouver avant de monter sur scène, elle était là pour la réconforter. Elles étaient proches toutes les deux, n'ayant chacune que l'autre à vrai dire mais peu importait à l'époque. Toutes les deux contre le monde. Enfin, c'est ce que Chae Rin pensait à l'époque.

Elle entend encore son cœur se briser, les miettes de ce dernier tomber dans sa cage thoracique. Elle sent encore la main de sa poupée de porcelaine qui glisse hors de la sienne pour s'écraser au sol. Elle goûte encore la peur, le goût de ses premières larmes qui coulent sur son visage. Elle sent encore l'odeur de sa mère transporté par le vent derrière cette dernière. Elle se souvient avoir eu du mal à respirer, elle ressent encore sa gorge se nouer, incapable de crier. Elle se rappelle de ne plus rien avoir entendu et quelques secondes plus tard, de ne plus rien voir. Mais il était trop tard, son cerveau avait déjà enregistré l'image.

Cela passait en boucle à la télévision, ils parlent de dépression, de médicaments, d'alcool et puis de cette corde et de ce tabouret balancé dans le coin de la pièce lorsqu'elle a retrouvé sa mère. Des officiers de polices l'ont interrogés, obligée de ressasser des images douloureuses qu'elle avait dû mal à oublier. Des personnes qu'elle ne connaît pas lui ont dit qu'elle était devenue millionnaire mais du haut de ses huit ans cela ne l'intéressait guère. « Ce n'est pas ça qui va ramener maman. »

C'est timidement qu'elle entre pour la première fois dans cette maison. Sa main imposante derrière son dos la force à s'avancer davantage. Devant elle, une dame bien moins jolie que maman dont le tailleur bien que sûrement coûteux ne lui semble pas flatteur la regarde, un sourire faux gravé sur les lèvres. A ses côtés deux enfants, un garçon puis une fille, l'un légèrement plus âgé qu'elle, la seconde un peu moins. Ils ont l'air indifférent, à vrai dire, elle n'était pas certaine qu'elle comprenne vraiment. Les yeux de Chae Rin se lève vers l'homme derrière lui. Ses cartes et  cadeaux d'anniversaires signés « ton père » ont enfin un visage en relief. Jusqu'alors, elle n'avait eu que des photos, des posters, des pages sur des magazines. Sa mère lui parlait toujours de lui comme étant un homme admirable, beaux, courageux. Beau il l'était. Courageux, sûrement pas assez pour divorcer de cette femme qu'il n'aimait plus pour celle qu'il avait aimé. Admirable, sûrement pas au point d'être un minimum présent pour sa fille. La petite fille ne disait rien mais son cœur débordait de tristesse pour sa mère et de rancœur pour son père. S'il avait été là, peut-être que cela ne se serait pas terminé comme ça.

Après le suicide de sa mère et l'emménagement chez son père, Chae Rin a mal tourné. Elle qui était pourtant une bonne élève n'a plus daigné faire le moindre effort en classe.  Elle assimilait bien les leçons certes, mais répondre aux questions semblait être trop lui demander. Les règles n'étaient plus que foutaises. A sa nouvelle famille, elle n'adressait pas un mot ou du moins, si peu que même la politesse était passé à la trappe. Indirectement encouragée par une psychologue qui bien qu'essayant de la faire se livrer qualifiait son comportement de « normal », que « cela passera avec le temps ». Cela s'avérait réel avec les autres certes mais elle n'offrait qu'un silence royal aux autres membres de la famille.

Très déterminée à prendre les sombres chemins plutôt que les pavés éclairés de la vie qui lui étaient destinés, ses fréquentations changeaient. Les personnes biens ont été remplacées par d'autres plus malveillantes mais bien plus en adéquation avec son comportement de l'époque. Eux, ils ne la regardaient pas avec des yeux remplis de pitiés, ils ne se voulaient pas compatissant. A vrai dire, ils se moquaient un peu de ce qu'elle avait vu, de ce qu'elle avait vécu.

Ses yeux d'enfants avaient disparus, en partie par ce qu'elle a vécu mais également par les tonnes de saloperies qu'elle s'est mise à ingurgité peu après son seizième anniversaire. Au début ce n'était pas grande chose, des « drogues douces » comme on dit. Puis les choses sont montés crescendo au fur et à mesure des années. Son héritage accessible sur son compte en banque s'est rapidement vu vidé, son argent de poche ne suffisait plus à subvenir à ses nouveaux. Alors elle s'est joué sugar baby pendant quelques temps, secrètement, n'offrant cependant aucun plaisir charnel en échange. Malgré tout ce qu'elle pouvait faire, il lui restait au moins une poussière d'amour propre.

Noyée dans la mer sombre dans laquelle elle avait volontairement plongée sa vie, elle ne voyait aucun repère pour se rattraper. Dans toute cette obscurité, elle en avait oublié son premier amour : la danse. C'est à tout hasard qu'elle était retombée sur cette vidéo, cette dernière prenant la poussière sur l'étagère de sa chambre tellement délaissé. Sur cette dernière, sa mère lui apprenait les bases du ballet. Elle n'était pas douée pour ça, elle se trouve même un peu lamentable lorsqu'elle y repense. Pourtant, revoir son visage d'enfant, découvrir à nouveau les traits de sa mère eurent l'effet d'une gifle, une gifle qu'elle méritait totalement. Elle se rendit finalement compte qu'elle était fatiguée des vieux croulants, fatiguée de sourire faux à s'en décrocher la mâchoire, fatiguée d'être esclave de ces substances qui la rongeaient jusqu'à l'os. Elle ne voulait plus de tout cela, elle voulait reprendre sa vie en main, cela durait depuis beaucoup trop longtemps. Alors pour la première fois de sa vie, transportée par la flamme de l'espoir, elle se confiait à son père, balançant tout le mal qu'elle pensait de lui et hurlant à ce dernier qu'il devait l'aider. L'orage grondait depuis bien trop longtemps, elle entrait dans un centre de désintoxication sous la pluie le jour de ses dix-huit ans.

Elle est fort loin d'en être fière aujourd'hui, à vrai dire elle n'en a jamais parlé à personne. Que diraient-ils ? Qui voudraient d'une ancienne demie prostituée, ancienne toxicomane comme petite amie, amie ou que sais-je ? Personne. Elle ne souhaiterai même pas que son pire ennemi se retrouve avec une personne comme elle.

Un an, 365 jours, 8760 heures, 525600 minutes : Bien des manières de quantifier le temps qu'elle y est restée. Il serait mentir que de dire que ce fut facile mais il le serait également de dire que cela n'en valait pas la chandelle. Tel un phœnix, Chae Rin avait repris vie de ses propres cendres. Le changement était frappant. Elle sourit désormais de toutes ses dents, elle rit aux éclats à qui veut entendre son rire de dinde. Bien que leurs rapports soient toujours un peu instable, elle adresse plus de deux mots à sa famille. Elle ne se laisse toujours pas faire mais elle tente désormais de réfléchir avant de partir au quart de tour. Sa franchise reste toujours des plus tranchantes mais ce n'est plus de mauvaises intentions qui sont cachées derrière celle-ci. Elle a su reconstruire sa vie, prenant son indépendance et trouvant un travail qu'elle aime par dessus tout. Les routes sombres du destin sont derrière elle, la jeune femme a su retrouver sa place sur la route ensoleillée.