lighting matches - hiro -

Sa moto en bas de l’immeuble, déjà prête à repartir jusqu’à l’entrepôt où sa voiture se trouve, elle se permet une pause Baozi. Monte les escaliers quatre à quatre, le premier étage déjà en vue. Des gestes automatiques, elle laisse ses clefs sur le meuble de l’entrée, constate qu’elle est seule dans l’appartement, en tout cas dans le salon, et le temps de se débarrasser de ses chaussures, sa musique résonne dans l’appartement, ses écouteurs enlevés de son téléphone. Objet cher à ses yeux, elle le garde même jusqu’à son bain, où elle envoie des messages. Savoir s’ils sortent ce soir. S’ils vont aller courir, leurs moteurs ronronnant sous la vitesse. Deux réponses négatives et elle boude. Bats des jambes dans son bain, presque déçue de ne pouvoir occuper ses nuits d’insomnie. Mais une nouvelle notification lui rend le sourire, et elle s’échappe de son bain, sans pudeur, une serviette dans ses cheveux, boxer féminin qui laisse ses cuisses et le reste de son corps à la vue de tous. Elle slalome entre les vêtements qui traine sur le sol de sa chambre, se pose devant sa coiffure, applique son maquillage avant même de penser à s’habiller, fredonnant sur la musique qui passait dans son domaine. Les yeux perdus dans le vague, elle n’avait pas vu le temps passer, sursautant quand quelqu’un toqua à sa porte. « Entre, je suis presque prête. » Elle se doutait que c’était Hiro de l’autre côté de la porte. Le seule à avoir répondu positivement à son envie de rouler de nuit, prêt à l’accompagner dans la mélancolie nocturne. La porte qui s’ouvre, le sourire un peu tordu sur ses lèvres, ses tâches de rousseur visibles sous la lumière. « Hiro ! » Il y aurait du avoir un oppa qui suivait son nom, appellation douce. Mais Baozi elle a du mal avec les marques de respect. Surtout avec les gens de son entourage. Ceux qui l’ont vu dans tous ses états. De ses éclats de rire à ses sanglots les plus lourds.

Il y a certains soirs où il ne veut rien faire, se poser sur le canapé et mater une quelconque chaîne télé. Il y a des jours où il préfère composer, créer ses chorés au rythme de ses chansons préférées — puis il y a ces soirées vide de sens où la solitude le pousse un peu trop vers la réflexion, les remises en questions et des réponses absentes aux « pourquoi. » Pourquoi ne pas chercher la future mère de ses gosses, acheter une maison et adopter deux huskys ? Pourquoi ne pas chercher la reconnaissance derrière son boulot de prof, se résigner à gâcher son talent dans une salle de danse plutôt que sur scène ? A cette question il aurait sa réponse ; parce qu'il aime partager son expérience, apprendre et voir ses élèves réussir ; parce que lui n'a pas les mêmes rêves, ni de grandes ambitions folkloriques. Lui, il veut seulement vivre libre, entouré de ses proches qu'il essaie toujours de faire sourire, car seul le bonheur compte pour lui. Hiro est ainsi, il pense plus aux autres qu'il ne le montre, par souci de fierté ou juste par oubli, la nonchalance faisant partie de lui. Aujourd'hui est un de ces soirs solitaires et ennuyeux où il voudrait prendre l'air, mais pas seul ni pour rien, alors il a répondu à l'une de ses meilleures amies, Baozi l'intrépide, envers qui les deux autres ont décliné – lâcheurs. Un jean, une veste en cuir et un quart d'heure plus tard, Hiro est à la porte du numéro d117 et c'est une jeune femme en tenue légère qui lui ouvre la porte, son propre regard la scannant de bas en haut avec un sourcil haussé. « Salut, mais c'est sérieux ? T'es bien une fille – petite pause, le coin de ses lèvres relevé – et ça m'étonne, d'ailleurs. » Quand on dit qu'elles mettent toujours plus d'une heure.. L'habitude d'être entourée de mecs lui a retiré sa pudeur, peut-être et Hiro y est habitué, il hausse les épaules, mais le souvenir qu'elle ne vit pas seule ici le frappe aussitôt. « Tu te balades comme ça devant tes colocs ? Je t'ai dit d'faire gaffe, Baobei. » Baobei, ça lui est venu par hasard sur une simple intention de la taquiner, mais désormais le surnom glisse avec douceur sur sa langue, comme sa petite marque d'affection à lui.

On toque à la porte, et elle s’envole Baozi. S’en prendre le temps de se passer une chemise, elle s’envole, déverrouille l’entrée, lui annonce d’entrer certains que derrière le battant se trouve Hiro. Ça ne manque pas. La présence du garçon lui arrache un sourire, un peu tordu, mais grand comme le monde. Son nom scandé sans suffixe de politesse, sur ses pommettes ses taches de rousseur qu’elle n’a pas encore masquées d’un couche de fond de teint, ses cheveux encore humides lui collant dans le dos. Elle s’écarte, le laisse rentrer, refermant derrière elle. Et si quelqu’un passait dans le couloir, alors ce quelqu’un aurait été étonné de la voir accueillir un homme chez elle un simple boxer pour tenue, mais elle s’en moque, bien à l’aise dans sa peau, son corps n’a rien pour la gêner. Commentaire sur sa condition féminine, un sourire quelque peu railleur et c’est son petit poing qui va finir contre son épaule, la cause perdue pour rappeler vraiment qu’elle est une fille, qu’elle a tout l’attirail pour même. Hiro est une cause perdue, c’est dit. « Ils ne sont pas là ! Puis Ari’ est jalouse de mon corps, la dernière fois elle m’a couru après dans l’appartement pour toucher ma poitrine. » Moue boudeuse, charmante vraiment, et elle hausse les épaules dans un rire léger. « Je fais plus attention avec Micha quand même. Promis. » Nouveau sourire, elle l’enjoint à le suivre dans sa chambre, se penchant pour ramasser ses vêtements sur le sol, avant qu’Hiro ne trouve un moyen de ne l’embêter encore. Tas de vêtements finissant dans un coin, elle est bonne pour aller faire sa lessive bientôt, elle va jusqu’à son armoire, extirpe un débardeur, passe un porte-jarretelles pour retenir ses bas, et bientôt se dandine pour passer son short. « J’ai cru que tout le monde allait m’abandonner. J’avais juste envie de sortir. » Elle commente aérienne, tandis qu’elle continue de se préparer, ses cheveux attachés en queue haute, tandis qu’elle se maquille, légèrement, tandis qu’elle appose les dernières touches à sa tenue, son éternel rouge à lèvres sur ses lèvres, un baiser laissé sur la joue d’Hiro avec la trace de ses lèvres en souvenir. « On prend ta moto ? » Sourire. La flemme évidente dans ses traits.

Il y a quelque chose de fascinant chez Baozi, ces deux facettes de femme forte et adorable qui ne le surprennent plus avec le temps, mais qui le rendent toujours plus conscient de sa belle personne. Il y a cette fragilité que beaucoup ne voient pas parce qu'elle a toujours le rire haut et les yeux brillants, mais il l'a connu avec des regards plus tristes et des tâches bleus sur les bras. Baozi l'enfant, celle qu'il pourrait compter comme une deuxième sœur et sur qui il veille peut-être un peu trop, le regard dur sur tous les hommes qui daignent lui parler mal et ça arrive bien souvent, lorsqu'il fréquente leur petit monde à part, le soir. A chaque fois elle lui prouve qu'elle n'a besoin de personne pour se défendre et c'est aussi ce qu'il admire, ce qu'il aime tant chez elle, sa force de caractère et sa douceur bien dosées. « Micha.. ce n'est pas un gosse lui ? » Se moque-t-il gentiment, mais il rit à ses remarques plus qu'il ne s'offense, car il est plutôt content de voir qu'elle s'entend bien avec ses colocataires. Il espère juste qu'elle ne sort pas ainsi pour aller chercher son courrier, c'est tout. Il la suit mais reste devant la chambre, appuyé contre l'embrasure de la porte et les bras croisés en l'observant. Il soupire devant le désordre mais s'abstient, il y a pire tout de même et son sourire revient vite. « Ça m'a démangé, mais j'ai eu d'la peine. » Taquin, il avait envie de prendre l'air aussi donc ses messages sont juste bien tombés. Elle est jolie Baozi, même s'il ne la regarde pas comme une femme.

Il acquiesce et tous deux sortent de l'appartement, puis de la résidence direction le parking à deux roues. Il fait démarrer l'engin et la laisse monter derrière lui, puis leurs casques bien attachés et les bras de Han verrouillés autour de son buste, il n'attend pas plus avant d'y aller. Responsable quand il y a quelqu'un avec lui, Hiro roule moins vite qu'à l'accoutumée, mais ça reste toujours au-dessus des limites autorisées. Pourtant, il a cette envie de l'impressionner dans certains virages ou en zigzaguant entre les voitures, mais ses mouvements toujours contrôlés, maîtrisés. C'est en arrivant dans un coin qu'il connaît assez bien qu'il décide de s'arrêter, un peu reculé des rues chics de gangnam et aux commerces plus clandestins. Il laisse sa moto dans un emplacement prévu, y attache son antivol et rejoint Baozi. « Tu veux aller où ? » Les mains dans les poches, il la laisse choisir une direction et ils pourront toujours improviser après.

Baozi l’enfant. Des sourires grands comme le monde, et ses angoisses bien cachées derrière pour ne pas inquiéter. Baozi, libre, vivante, naturelle. Tornade en miniature. Elle vit à sa façon et on ne peut que suivre son rythme ou se perdre. Elle fait des efforts pourtant essaye. Toujours. Baozi seule femme de leur groupe, leur bande, et forcément un peu choyée, protégée même quand elle montre les dents, serre les poings. Jamais du genre à se cacher. Même pas derrière son meilleur ami, même pas derrière Hiro. Elle pourrait pourtant. Mais elle se pose sur le même pied, égalité certaine. Et elle apprécie vraiment. Les regards qu’Hiro lance à ceux qui lui veulent du mal. Elle apprécie. Tout comme elle aime le fait qu’il ne la traite jamais comme une poupée de porcelaine. De toute façon même brisée, elle finit par se relever. Certains ont failli l’avoir pourtant. Un surtout. Et Nash. Souvenir encore trop triste, une mélancolie qu’elle se refuse à aborder ce soir là tandis qu’elle se pose devant sa coiffeuse pour finir de se préparer. Mais Nash, elle sait qu’il veille sur eux. Même si son grand départ pour les étoiles l’a lancée bancale sur la route, laissée bancale, encore plus qu’avant. Rire qui s’échappe, clochettes dans les airs qui sonnent tandis qu’Hiro parle de Micha, et elle hausse les épaules. Elle se permet même de lui faire les gros yeux, petits poings serrés contre ses hanche quand il prétend avoir pitié de lui, et en vengeance il y a les lèvres de Baozi qui se pose sur la joue d’Hiro, trace carmine qu’elle espère voir pour la soirée, et même le lendemain si possible.

Y’a sa moto non loin de celle d’Hiro dans le parking, mais elle dénigre l’engin violet pour monter à califourchon derrière le garçon, casque bien vissé sur sa tête, ses bras autour de sa taille. Habitude qu’elle a prise, presque un caprice. Elle aime comment le plus âgé roule. C’est relaxant. Enivrant aussi. Doses d’adrénaline dans ses veines à intervalles réguliers. Elle suit ses mouvements, légère sur la moto, un sourire aux lèvres en le voyant parfois se pencher trop près du sol, le défi, le danger comme des amis fidèles. Elle les connaît bien elle aussi. Elle est de celle qui vole comme lui dirait Hiro. La prise est lâche, une tendance à trop faire confiance à l’engin sous ses cuisses. Mais Baozi elle est vivante aussi. Se tient par les cuisses, les bras ouverts derrière le garçon, et rit la gorge déployée. Juste heureuse du moment. Saoulée de vie, et brillante. Jusqu’à ce que ses bras viennent se reposer contre le torse d’Hiro, jusqu’à Gangnam, une ruelle sombre, mais pas inconnue. Elle descend, enlève son casque, un sourire d’excuses pour des remarques assassines sur son comportement qui pourraient venir. « Et bien tout dépend ? Tu veux rouler ce soir ? Ou juste profiter de l’ambiance ? » Les deux lui vont à Baozi. Elle aime les courses, le volant de sa voiture entre ses mains, maîtrise un peu fou du bolide. Mais juste l’ambiance aussi lui va. Celle des créatures nocturnes, de ceux qui t’offrent un verre sans demander ton nom, l’impression d’être les mêmes sous le regard de la lune.

Que veut-il ce soir ? Il garde le silence plus de temps qu'il ne lui en faut d'habitude pour sauter sur l'occasion de rouler, mais l'hésitation le bloque. Il n'y a pas les garçons avec eux ce soir et bien que ce ne soit pas rare de sortir séparément ainsi, un soir avec baozi et un autre avec kuan ti, il aimerait profiter de la présence de la jeune fille aussi. Elle est comme lui, peur de rien, ni de la vitesse ni des blessures – ou est-ce lui qui est devenu comme elle ? Dernier de la bande, traité de gamin plus souvent que sa cadette et son renfrognement est depuis longtemps devenu affectif. Il aime cette vie qu'il mène à vive allure, incontrôlable et pourtant contrôlée, lorsqu'il roule à cent quatre-vingts sur les boulevards avec les astres pour compagnes d'où il mise toute sa chance. Elles ne lui ont jamais fait défaut jusqu'à maintenant et la confiance augmente avec les années, alors on se sent invincible. « On peut profiter de l'ambiance ? Aller jeter un œil tu vois et si tu veux courir, je serai ton pompon boy. » Sourire un peu moqueur, mais il l'encouragera vraiment si jamais. « Allons boire un coup, par-là ! » Il suit les cris et les ronronnements de moteurs, signes d’une rue plus animée que les autres où la clientèle n’est pas aussi jeune qu’à Hongdae – les motos se succèdent et avec elles, des groupes auxquels on aimerait peu se frotter. Il remarque les regards de certains hommes en devinant leur cible, et naturellement, il vient se coller à la jeune femme sans sortir les mains de ses poches. Il n’en revient pas que le danger se situe pourtant ailleurs pour Baozi et même chez un salaud de millionnaire. Il devrait la traiter comme une princesse et tout ce qu’il lui offre, sont des séquelles. Artiste à deux balles qui ne sait que tâcher sa dulcinée et appeler ça de l’amour. Il lui lance un regard un peu trop sérieux tandis qu’elle, sourit largement. « La vie est courte Han, tu sais. » Il les arrête devant un bar assez petit pour que le comptoir soit proche de l’extérieur et commande deux bouteilles de soju ; rien de très élégant, en soi. « Un peu plus pour nous. » Il soupire, conscient qu’ils jouent tous avec le feu et surtout leur vie, à chaque fois. Elle mériterait mieux, même s’il n’osera sûrement pas lui dire clairement.

Le monde de la nuit la transforme. Comme une créature nocturne, elle se sent vivante sous les lumières blanches des lampadaires et le bruit des rires des autres êtres qui se ressentent vivre là sous la vigilance des étoiles. La bienveillance de la lune qui veille aussi, lui permettant de devenir ce qu’elle est, la peur de rien, sinon si ce n’est de ne pas vivre assez. La peur de rien, sinon de se noyer, bien à l’abri les cuisses sur sa moto. Bien à l’abri derrière un volant. Bien à l’abri sous l’attention de ce petit groupe. Bien à l’abris sous l’attention d’Hiro, un sourire, tandis qu’elle s’agite. Funambule sur une corde invisible, elle écarte les bras Baozi, avance dans la rue, des sourires à qui en veut, son attention pourtant toujours vers Hiro, amie fidèle, elle s’espère attentive, lui demandant ce qu’il veut faire. Elle veut courir elle. Elle veut oublier les jours dérangeants. Elle veut tellement. Mais elle rit quand Hiro lui propose de l’encourager, presque éthérée, elle rit, un commentaire à la commissure de ses lèvres carmines. « Tu me prêterais ton bolide ? Pour de vrai ?!! » Elle s’amuse. Le titille, avant d’accepter d’aller boire, démarche sautillante comme une danseuse rêvant de pouvoir s’envoler. Son regard se perd pourtant sur les motos qui les frôleraient presque, plus intéressé par les moteurs que par les hommes qui les chevauchent. Presque ingénue sur les regards qu’on peut lui lancer. Presque innocente pour ne pas comprendre pourquoi Hiro est si proche. Elle sait pourtant. Que les hommes sont des loups. Mais elle les dresse ceux-là. Elle les maîtrise. Ombres dans son monde. Pas comme Kikwang. Mais elle ne veut pas penser à lui. Pas penser à ces traces qui ne partiront plus jamais de sa peau, indélébiles. Ne veut pas se perdre dans ses propres questions pour savoir quand tout avait dérapé au final. fini hors de son contrôle. Dresseuse d’hommes dépassée. Pause, bar de rue, trop petit pour qu’on ne le remarque vraiment, pertinent pour eux. Bouteille de soju acceptée d’un sourire tandis qu’elle hume à sa remarque, consciente que la vie est courte. Incapable de se projeter dans l’avenir. Incapable de voir plus loin que demain. Leurs bouteilles claquent l’une contre l’autre, et elle pose ses lèvres au goulot, descend une partie de celle-ci comme une pro, s’attirant les sifflements d’un groupe plus loin à qui elle glisse un clin d’œil. « Yup, la vie est courte. Trop pour ne pas en profiter. J’ai envie de vivre pleinement Hiro. Sans regret. Sans devoir me retourner avec des ‘et si’ …. » La remarque est fière dans sa bouche, ses yeux qui brillent dans la pénombre de l’endroit. « Comme Nash. » Et le nom a toujours un goût amer dans sa bouche, Nash qui l’a foutue par terre en les abandonnant pour les étoiles. Nash qui lui a donné la force de continuer aussi. Nash comme une présence immuable. Dont l’absence fait encore frémir leurs cœurs. « J’m’en fous si on se souvient pas de moi. J’veux juste que ceux qui me connaissent se disent que j’ai vécu ma vie comme je voulais. C’est tout. »

La légèreté, ne plus penser, ne plus se demander l’instant d’une soirée. Des sourires instinctifs et une allégresse naturelle, non il ne pense plus à rien ce soir. Autre qu’avec elle, il ne le ressent pas souvent. Malgré sa nonchalance, il a bien plus de recul sur sa vie qu’on ne pourrait le penser et dernièrement, ses conclusions ne volent pas haut. Peut-être qu’il voudrait plus, peut-être pas. Cette vie-là lui correspond autant qu’elle lui convient, mais la lassitude est sa plus grande ennemie et elle a réussi à se faufiler dans son quotidien, plus qu’il ne veut l’admettre. Pas ce soir, cependant. Ce soir, une certaine compagnie le garde bien trop en alerte pour que son ennemie vienne le titiller, il acquiesce fermement. « Bien sûr, j’te fais confiance. » Et à qui le dit-il, franchement. Il lui fait plus confiance que Kuanti pour conduire sa moto – parce que le chinois lui ressemble un peu trop et qu’il ne veut pas retrouver son bébé en pièces détachées. Il rigole pour lui-même, des regards sévères adressés aux curieux qui louchent sur eux ou plutôt, sur Baozi. Il ne peut plus les comprendre aujourd’hui, ces hommes. Il a cessé de la voir canon à l’extérieur pour mieux la trouver merveilleuse, toute entière. Un brin trop protecteur ou par habitude, il ne supporte pas leurs sourires fiers qu’il ferait bien disparaître, s’il était de ce genre-là. La tension sur son visage se relâche cependant lorsqu’ils trinquent avec leur soju en main. « Mmm des ‘et si’ … » répète-il inconsciemment, le regard perdu sur des visages étrangers, plus amicaux ou juste lui, qui laisse son hostilité de côté. Il ne descend pas plus du quart de la bouteille. Il ne dit rien à la mention de Nash, les sourcils froncés durant les mots qui suivent et il comble le silence en avalant quelques gorgées de plus. L’alcool lui brûle la gorge et il grimace, bien qu’habitué, il ne s’y fait jamais. Il leur laisse quelques secondes encore, un peu de répit avant qu’il ne creuse vers un sujet sensible. Comme une réalisation sur le long terme, des mots qu’il n’ose pas toujours prononcer à voix haute et ses nombreuses inquiétudes transmises à travers son affection. « Et tu la vis comme tu veux ? » Il se tourne légèrement pour la regarder, autant d’innocence que de sérieux dans le ton de sa voix. La question est sincère et chaleureuse, sur le moment. « Je ne parle pas… de ce qu’on fait, parce que j’suis d’accord avec toi tu le sais bien. » Il met plus souvent sa vie en danger qu’il ne pourrait le compter, l’adrénaline comme l’air, vital pour survivre et sans ça, il se serait certainement perdu dans un monde de routine et d’ennui. Non, il ne parle pas de leurs activités douteuses, de leurs escapades amicales toujours plus folles, ses sourires qu’il adore admirer, mais de ses regards parfois plus tristes. Et de grands sourires ne cachent pas toujours si bien les choses. « C’est vraiment ce que tu veux ? Avec lui ? » Il est frustré, en un sens. Frustré en sachant qu’elle prend parfois des risques inutiles après ses rencontres avec lui. Cet autre à qui il ferait bien goûter ses poings, mais pour elle, il n’en fait rien. Pour le moment, il accepte de rester en arrière. « Aucun regret, si tu le dis. » Lui en a déjà qui se forment au fond de son être, de son cœur alourdi et il en a aussi, des ‘et si’. Quelques-uns qui s’effacent et reviennent, de temps en temps. Son rire est sarcastique lorsqu’il s’éloigne un peu, des centilitres de soju à finir et un mélange de voix autour de lui, le tout accélérant sa montée d’adrénaline et sa confiance, sa franchise au rendez-vous.

Dans leurs étreintes, elle a grandi protégée. Choyée. Dans leurs étreintes elle est devenue précieuse, joyau. Sans pour autant se briser de leurs protections à eux tous. De l’ami d’enfance à Hiro. De la présence de Nash à qui elle aurait tout confié. Elle avait grandi Baozi. Créature de fierté et de rêves. Créature qui avance la tête levée, se prétendant immortelle. Et son rire s’échappe de ses lèvres lorsqu’il avoue lui faire confiance. Éclats sur son visage, la lumière de la rue qui la rend un instant éthéré. Mais la discussion se pose, après le tintement de leurs bouteilles. La discussion se pose, et elle s’épanche Baozi. Annonce qu’elle ne veut rien regretter. Clame qu’elle veut juste vivre pleinement. Sans regret. Terrain glissant. La comparaison à Nash est maladroite, elle connaît sa finalité. Mais elle se veut vraie la jeune femme. Elle se veut honnête. Annonce qu’elle veut vivre la vie qu’elle veut. Et la question en retour ne manque pas. Elle dodeline la tête sur le côté, sans le sujet arriver sans vouloir le voir. Pas si honnête que ça la poupée de Shanghai. Elle ferme toujours les yeux sur Kikwang. Lui offre plus de deuxième chance qu’il n’en mérite. Lui offre sans doute plus qu’il ne faudrait. Baozi au cœur enchainé. Qui ne veut pas y penser. Qui le fait pourtant le matin lorsqu’elle est plantée devant un miroir et qu’il faut cacher les dégâts de cet amour malheureux. Et elle pourrait se briser à sa question. En sanglots, en regrets. Parce que ce n’est sans doute pas ce qu’elle veut. Ce qu’on veut pour elle. Mais le cœur domine chez elle. Trop plein de sentiments, et son affection, affliction qui gagne toujours. Ce n’est pas ce qu’elle veut. Elle voudrait un futur. Où les promesses de Kikwang ne seraient pas vaines. Elle voudrait un futur. Où elle pourrait être fièrement à son bras. Où elle ne craindrait pas ses excès, son insécurité. Mais elle se sait trop gourmande. Elle sait qu’elle le pousse à bout. Consciente d’être responsable, un peu, trop, de sa propre situation. « C’est difficile de ne pas avoir de regrets. Mais … C’est difficile aussi de trahir son cœur. J’peux pas faire ça Hiro. » Les mots qui s’envolent comme des murmures tandis qu’elle descend le reste de sa bouteille. La conversation qu’elle veut clore alors qu’elle vient à peine de naître. Des mots qu’elle avorte au bord de ses lèvres, des explications qui ne feraient sens que pour elle. « J’ai envie de tenter le diable un peu ce soir. Il est trop calme. » Clin d’œil ? Elle sait qu’elle risque de le décevoir, que c’est sans doute le cas. Mais son cœur est fermé sur Kikwang, et il n’y a que lui au final qui peut prétendre avoir son amour. Pas d’autre avenir. « Chiche ? » Elle ne lui laisse pas le temps de répondre Baozi, déjà debout, déjà loin. Près du groupe de motards qui l’avait sifflée. « Mon pote là-bas pense que clairement sa bécane est mieux que vos tas de ferrailles. Il vous prend en un contre un quand vous voulez. » Signe de main vers Hiro, baisé soufflé. Elle veut que les idées changent. Elle veut oublier. Simplement.

Il est conscient de trop lui en demander, lorsqu’il laisse les sous-entendus s’échapper. Il ne peut pas vraiment la comprendre cependant, car il n’a pas tellement connu ces sentiments. Il n’a jamais fait confiance à son coeur pour l’écouter ou le laisser s’accrocher à quelqu’un. En est-il plus malheureux ? Il a beau retourner la question dans tous les sens, la réponse est toujours non. Il tient à sa famille, à ses amis et c’est déjà assez d’amour à donner et recevoir. Il choisit de ne pas répondre, car Baozi a raison et il serait mal de la forcer à penser ce qu’il veut ; il fera confiance à son coeur à elle, mais il continuera de veiller peu importe combien de fois elle lui répète qu’elle peut se débrouiller seule. Parfois, il aimerait que leur fierté jette les armes et qu’ils viennent vers l’autre lorsqu’on les blesse. Elle ne le laisse pas voir ses blessures et ça va, parce qu’elle est forte Baozi, mais il craint de plus en plus qu’elle ne s’effondre et il n’aura rien fait pour l’empêcher. Il ne lui en veut pas de changer le sujet et même de l’attirer avec un défi, parce que son regard s’illumine et son sourire revient. « Chiche. » Il la regarde s’éloigner et ne la suit qu’un peu plus tard, assez vite pour l’entendre et secouer la tête face à son assurance. Il n’aurait pas mieux dit et les grimaces qu’il récolte en dise assez sur la suite. « Aller j’suis généreux, j’vous défie à deux contre un. » Il  a une main dans la poche et l’autre prise avec sa bouteille. Les hommes ne tardent pas à accepter et Hiro finit son soju sur le chemin. Une fois revenu avec sa bécane, il laisse les coureurs le guider vers des rues plus praticables, Baozi à l’arrière. « Ton tour vient après ? J’veux te voir leur mettre une raclée aussi. » Lorsqu’ils arrivent et que la belle descend, non sans lui laisser un baiser sur la joue, il rejoint ses rivaux sur la ligne de départ. Ça siffle encore et il espère que leurs gestes suffiront à les dissuader d’approcher son amie, parce qu’une fois le coup lancé, Hiro disparaît plusieurs minutes – le temps de faire le tour du quartier. Un peu d’argent a été mis en jeu et lorsqu’il arrive premier, il fait crisser les pneus pour se la jouer. « On double la mise, si c’est elle qui court. T’en dis quoi ? » Ils n’ont pas l’air de leur laisser le choix, sûrement vexés d’avoir perdu, mais Hiro hausse les épaules. « Yeah sure. You ready, Baobei ? » Clin d’oeil et il lui donne l’occasion de se changer les idées aussi. C’est pour ça qu’ils sont sortis après tout.

Il lui a donné de quoi parler Hiro. Calmement, tendrement, il lui a donné une porte de sortie. Une issue de secours à son amour assassin. Il lui a donné les clefs pour s’en sortir. Mais son cœur a déjà tranché. Elle restera dans ces bras aux étreintes étouffantes. Elle ternira sous le joug de cet amour violent que Kikwang lui porte. Fierté ou non, elle n’en sait rien. Sait juste qu’elle est faible face à son amour. Baozi si faible malgré les coups qu’il lui porte. Au corps, au cœur, à l’âme. Trop faible. En espérant qu’elle ne se brise pas sous le poids de cet amour macabre. Sourire, espiègle, elle enterre le sujet, clamant qu’elle veut réveiller le diable, jouer avec. Et pour ça rien de mieux que d’aller tenter d’autres coureurs. De ceux qui l’ont sifflée. De ceux qui ne la prenne pas au sérieux. Elle est bien au dessus de ça Baozi. Regard sur leurs motos, le commentaire qui passe ses lèvres, assurance en guise d’aura. Et Hiro toujours derrière elle, ami sans faille. Le pari est lancé, la course ne va pas tarder. Baozi elle a des airs de bimbo qu’on voit dans leur milieu. De celle qui se dénude pour rien et s’accroche au bras du vainqueur. Mais c’est elle qui passe ses bras autour du cou d’Hiro avant qu’il ne monte sur sa bécane, baiser sur sa joue qu’elle lui rend sans surprise, trace carmine en guise de porte bonheur. « Je verrai s’ils ont encore du courage après. Lamine-les. » Elle annonce le départ, les motos qui la frôlent comme une dose d’adrénaline qu’on lui injecte dans ses veines. Et appuyée contre le mur elle attend. Les yeux fermés elle attend. Connaissant déjà le résultat, toute confiance en Hiro, et le bruit du moteur qu’elle entend la fait sourire. Presque autant que leur demande. Elle ne perd pas. Jamais. Elle a une couronne sur la tête. Reine de la nuit. Hiro au sol, elle enfourne le bolide, le métal chaud contre ses cuisses comme une vieille habitude. Ce n’est pas sa moto, mais elle sait y faire, a déjà couru avec. « Always Hiro. Always. » Et lorsqu’elle démarre, son casque est encore aux pieds d’Hiro. Lorsqu’elle démarre, c’est rapidement, sans laisser une chance à personne. Pourtant ils tentent. De la faire dérailler. De la faire tomber. Ses pneus qui crissent sur l’asphalte, et la ligne d’arrivée qu’elle passe première malgré tout. Béquille enclenchée, elle est déjà au sol, son poing qui finit dans la mâchoire d’un de ses deux adversaires. « You fucking little shit ! Tu crois que c’est drôle ?! Putain t’as de la chance que cette moto tienne la route. Asshole. Tu mériterais que je te foute la gueule dans le premier mur. » Et il faudra surement qu’Hiro la retienne. Parce que la colère fait bouillir son sang. Et que les paroles de Baozi ne sont jamais des mots jetés dans l’air.