tu sais mes hanches non mentiLes bains publics se vident et se remplissent par vagues successives de clients qui vaquent et s’éloignent de leurs occupations. A l’entrée, le regard libidineux du propriétaire les salue quelques crans en dessous des yeux et leur remet une clé pour un casier. Alessa, petite blonde parmi un monde de grands bruns, espère passer facilement inaperçue. C’est le cas - le propriétaire balance une clé sur le comptoir sans daigner croiser son regard (ou ses seins) et la jeune femme s’en sentirait presque vexée. Du coup, elle noue sa serviette comme les autres, maillot de bains deux pièces pour contrer la nudité de ses voisins, et elle rejoint un banc en bois humide à côté des bains.
Il n’y a pas grande excuse à sa présence ici. L’été se fait long, la Corée ne trouve plus grâce à ses yeux, son cercle d’amis s’est amenuisé avec ses innombrables conneries et son appartement l’ennuie. Une collection de bonnes raisons qu’elle s’est faite pour justifier son envie de rencontrer des nouvelles têtes, et surtout, de s’inscrire sur Tinder avec un profil libertin et un peu kinky, avec la bénédiction d’une Gaeul hilare. Il n’est pas question de profiter de ces rencontres pour coucher ; c’est même tout l’inverse, et cette velléité de rencontres n’a pour objectif final que de la dégoûter davantage de l’humanité, si telle manoeuvre est encore possible dans son état d’esprit présent.
Ainsi, armytiddies69 de son pseudonyme internet, ex-agent du KGB, Elizaveta Volobuev de son faux vrai nom (ça, c’était au cas où on lui demande), attendait son date du jour avec une suspicion croissante - après tout, ça pouvait être n’importe qui, du vieux chauve qui sautillait dans l’eau au prépubère qui reniflait ses aisselles. Et avec la vapeur présente dans la pièce, il pouvait se passer bien des choses qu’une jeune femme anémique de 25 ans ne pouvait contrer avec ses forces maigrelettes. Après tout, tous deux avaient banni les photos sur leur profil (ce qui avait rendu la rencontre, pour Alessa, intéressante au premier abord), si ce n’était la photo de genou que l’homme avait consenti à lui envoyer après quelques “allez s’te plaît” bien sentis.
Mais,
« oh merde », murmure une voix pas loin de son oreille, et la Péruvienne ne prend qu’une demi-seconde à reconnaître le code qu’ils ont défini avant de se rencontrer. Elle se retourne, anxieuse, tombe nez à nez avec un garçon d’à peu près son âge, yeux écarquillés pour miroiter les siens, et elle ignore si la surprise est positive. En tout cas, elle, elle est soulagée qu’il ne s’agisse pas de l’ado qui tresse désormais ses poils plus loin.
« fatbikerballs ? » lui répond-elle, encore sous le choc. Immédiatement, il lui vient la présence d’esprit de répondre à leur mot de passe.
« Show me how those tiddies fart », voilà la confirmation qui passe entre les deux amants.
Immédiatement, Alessa réalise que fatbikerballs n’est ni un quinquagénaire portant un mulet fringant, ni (du moins, elle l’imagine) un évaluateur d’haleine pour Colgate Optimal.
« Je te cherchais », laisse-t-elle échapper en tentant de masquer sa déception. A sa charge, armytiddies69 n’est pas non plus une belle russe à la chevelure auburn qui a quitté le KGB pour se consacrer à la sculpture sur coton-tiges. Elle imagine que cela les rend quittes.
« Du coup on reste sur les fausses identités ou tu veux te présenter ? J’imagine que tu t’appelles pas vraiment Charlie Kirk ? »