i dreamt we spoke again (hyunmin)

Sungyoon ne laisse pas ses doigts tranquilles ; il les triture, pianote avec sur la surface cirée de la table et ronge ses ongles incessamment. Il ne devrait pas se sentir si nerveux et il le sait, mais il ne peut pas en faire autrement. Sungyoon n’a pas l’habitude des confrontations pareilles et, bien qu’il est sûr que celle-ci ne soit pas aussi intense que la première, il a l’impression qu’elle requerra la même quantité d’efforts de sa part. Tant pis, il est trop tard pour reculer et, de toute façon, il ne regrette pas son choix – tout l’inverse, au contraire, lorsqu’il prend le temps de respirer, il réalise que les palpitations anxieuses de son cœur trahissent aussi l’enthousiasme de faire un pas dans la bonne direction, et l’impatience de retourner à zéro. Un long soupir quitte ses lèvres et il puise du réconfort dans le thé glacé qu’il s’est permis de commander en attendant que son ami arrive. Peut-être que si Sungyoon n’était pas arrivé avec autant d’avance, il n’aurait pas eu le temps de cogiter sur tout ce qui pourrait mal se passer et se rendre encore plus nerveux. Ou peut-être que ce serait arrivé dans les deux cas, il ne peut jamais échapper aux pièges de ses esprits.

Lassé de son téléphone qu’il scroll depuis des minutes pour se distraire, Sungyoon finit par se tourner vers son appareil photo qu’il traîne toujours avec lui – c’est son objet fétiche, porte-bonheur et, qui sait quand il en aura besoin. Il se met à regarder à travers ses dernières photos, se laissant happer par les souvenirs qu’elles évoquent et oubliant ses angoisses lorsqu’une ombre se trace près de lui. Sungyoon lève la tête et son cœur tressaille tout comme le reste de son corps, ses mains manquent d’ailleurs de faire tomber l’appareil mais il le rattrape à la dernière minute et pose une paume sur sa poitrine pour calmer son battant affolé.  « Oh, tu m’as fait peur, » soupire-t-il. Il rit, enfin, à sa maladresse et son ridicule, chose qui ne fait qu’empirer lorsqu’il se lève pour saluer Hyunmin. L’enlacer, lui faire la bise, lui serrer simplement la main ? Il y a réfléchi des centaines de fois mais dans la panique, tout se précipite et se mélange, et il hésite quelques instants avant de l’entourer de ses bras en une étreinte ample. Sungyoon lui tape doucement dans le dos puis lui presse les épaules, tout sourire malgré l’anxiété qui fait tiquer les commissures de ses lèvres. « Ça fait longtemps. »

Il relit le message, encore et encore. Des centaines de fois sans se lasser, le sourire impatient sur les lèvres. Hyun Min est content, mais la nervosité l'emporte sur lui. L'heure ne bouge plus que de microsecondes en microsecondes dans sa tête, jusqu'à le rendre fou ; de quoi triturer son esprit un peu plus de mille inquiétudes supplémentaires … Comme s'il n'en avait pas suffisamment sur le dos. Pourtant habitué à la chose, il ne sait plus comment vivre de ces émotions. De ces tracas de la vie, Sungyoon n'en est rien. Il n'est qu'un « plus » parmi tant d'autres, mais d'une importance capitale. Quelqu'un qui compte malgré la distance imposée, celle des adieux qui n'en ai pas, et de ces rayons lumineux qu'il a installés dans sa vie. Les souvenirs se déposent des baisers délicats. Il se souvient de chaque moment.

Ses yeux cherchent son corps. Les pupilles presque humides, déjà. Il se mordille la lèvre inférieur, peu rassuré, et pourtant certain de la bonté. La bienveillance est un mot qui les aura défini du début à la fin. Aujourd'hui dans le renouveau de cette relation flamboyante … Concentré, Hyun Min se contente de sourire un peu plus, s'approchant discrètement. Au sursaut, à la surprise. Toujours. « Désolé, ce n'était pas intentionnel. Je ne voulais pas te perturber, tu sais comme j'aime chacune de tes photographies. » De cette passion qui les avait réunies la toute première fois. La rencontre en puissance qu'il n'avait jamais cessé d'aimer un peu plus à chaque moment … L'homme le surprend à l'enlacer, comme ils en avaient tant l'habitude autrefois, mais la surprise n'est en rien dérangeante. Hyun Min aime cette simplicité qui a toujours régné entre eux – jusqu'à son épuisement, aujourd'hui revigoré d'énergie. Alors il le presse un peu plus à son tour, ses bras entourant sa taille, les narines amoureuses de son parfum. « Je suis content. » chuchote-t-il discrètement. Il se sent coupable de bien des choses, mais ne cesse d'approuver ces retrouvailles tant rêvées. A l'image de ce qu'ils ont été.

Ses nerfs se détendent à mesure qu’il regarde ses anciens clichés, les sentiments heureux que recèle chaque moment chassant tout soupçon d’anxiété – pour mieux lui exploser au visage. Ça ne dure qu’une fraction de seconde, mais l’impact est suffisant pour lui faire frôler l’arrêt cardiaque et il s’empresse de plaquer la paume sur son battant affolé pour le calmer lorsqu’il réalise enfin qu’il n’y a rien de grave. Juste Hyunmin, là devant lui, le sourire aux lèvres s’amusant sûrement de son sursaut. « C’est gentil… Merci. » Des années dans le milieu et il ne sait toujours pas comment accepter les compliments. C’est d’autant plus difficile lorsqu’ils sont si personnels, évoquent une époque à laquelle Sungyoon s’est efforcé d’arrêter de penser il y a bien longtemps. Ses joues se teintent de rose et il sourit timidement avant de le prendre dans ses bras, le geste à la fois un automatisme auquel il ne réfléchit même pas et un parfait prétexte pour ne pas croiser le regard de l’autre tant que son visage n’aura pas retrouvé sa couleur normale.

L’étreinte lui est rendue, bras entourant sa taille et il s’y laisse aller l’espace d’un instant, son sourire renouvelé à la confession de Hyunmin. « Moi aussi, » murmure-t-il entre eux. Sentiment partagé, réel, malgré ce qui les a séparés. Sungyoon ne pense plus au passé, juste au bonheur de pouvoir se retrouver dans le présent. Il retourne à sa place et tente de ne pas trop gigoter d’enthousiasme alors qu’il pousse discrètement le menu vers le jeune homme, sa propre commande déjà mémorisée par cœur et répétée plusieurs fois dans sa tête. D’un geste rapide de la main il appelle un serveur passer leurs commandes, après quoi il se permet enfin de reporter toute son attention sur Hyunmin, ses mains croisées sur la table et le regard fixé sur lui. « Alors, tu racontes quoi depuis ? » Question vague et énormément bateau mais l’intérêt est sincère, il veut savoir : ce que le temps a fait d’eux.

Il est curieux. Hyun Min joue de ses dents, mordillant alors dans un élan nerveux sa lèvre inférieure. Il ne sait plus combien de temps s’est écoulé depuis la dernière fois qu’ils se sont rencontré. Entrevue l’un face à l’un, posé simplement dans un de ces restaurants qu’ils aiment tant. Enlacé avec douceur, non sans le regard des souvenirs mêlés aux actes incongrus ; empli des regrets, le regard vide de sens, la nostalgie du silence qui marque les esprits, se joue d’eux. Rien n’a jamais été plus simple qu’en cet instant peut-être – ou lorsque leurs regards se sont croisés pour la première fois, il y a de ça quelques années : il n’a plus la notion du temps. Se perd dans les songes, il est heureux.

Commande passé, rapidité, efficacité. La conversation reprend, les questions dignes de banalités, pourtant curieux du présent. Digne d’intérêt, marque de politesse. « Je reviens de deux années de service militaire. » répondit-il tout de même. Nombreuses choses ont eu lieu depuis qu’ils se sont quittés, amicalement, amoureusement. Tout son monde s’est écoulé, et aujourd’hui encore, il tente de le reconstruire … Derrière les sourires vagues, la nostalgie épuise son âme. « C’est un peu compliqué, je suis parti précipitamment. » Partir ou fuir, il ne le sait pas lui-même. Mais il ne veut pas embêter Sungyoon avec ses histoires dès leurs retrouvailles, pas quand elles concernent un de ces sujets sensibles qui ont fait éclater ce qu’ils ont autrefois été.

« Et toi ? Toujours passionné à ce que je vois. » Ses doigts pointent l’objectif de l’appareil, le sourire aux lèvres. « Tu me montres ? » demande-t-il chaleureusement.

Petit à petit, il retrouve ses aises. L'esprit qui retrouve le confort autrefois ressenti en compagnie de Hyunmin, et il se laisse aller à la conversation sans trop y réfléchir. « AH. » Il prend un air choqué, bien qu'il sache que ce soit exigé de la part de chaque citoyen coréen. Sungyoon ne devrait sûrement pas avoir l'air aussi surpris, mais il ne s'attendait pas à ce que ça arrive aussi tôt après leur séparation. « Ah bah, tu m'étonnes. » Tout s'explique, au final. On ne décide pas d'aller à l'armée du jour au lendemain et il aurait été vexé d'apprendre qu'il y pensait lorsqu'ils étaient toujours ensemble sans rien lui dire, même s'il ne ressent plus de rancœur à son égard. Une question trotte dans son esprit, sans doute trop indiscrète pour qu'il se permette de la poser, mais ça lui démange l'esprit et il se mordille la lèvre inférieure en pensant à une façon plus délicate.


Hyunmin ne lui laisse pas le temps qu'il tourne la conversation vers lui et il exhibe toutes ses dents en un sourire flatté, presque timide. « Ouais, 'fin encore heureux vu que c'est mon métier. » Sungyoon ne s'imagine pas exercer une profession qui ne le passionne pas. Son plus grand cauchemar a toujours été de devoir occuper un poste médiocre et vivre une vie médiocre juste pour pouvoir joindre les deux bouts. Il sera éternellement reconnaissant à l'univers de lui avoir évité ça. « J'ai fait ma première expo récemment, d'ailleurs. J'ai du travailler comme un dingue mais ça en valait tellement la peine. » Il prend place près de l'aîné et s'empresse de lui montrer autant de clichés qu'il peut avant que leurs commandes n'arrivent. Des photos de paysages et d'animaux, des portraits qui en disent long sur l'histoire de ceux qu'ils capturent. Ses yeux brillent d'enthousiasme et il contrôle à peine le volume de sa voix lorsqu'il se lance dans des explications sur l'histoire derrière chaque photo ou les anecdotes qui ont pu se produire lorsqu'il les prenait.

Seul le retour du serveur met fin à son enthousiasme et il range avec regret sa caméra qu'il cale confortablement sur ses cuisses. Son attention est reportée sur sa boisson comme s'il y cherchait le réconfort et il le trouve bel et bien dans la gorgée de chocolat qu'il prend. « Du coup, c'était comment l'armée ? » finit-il par demander, à la fois sincèrement curieux et simplement désireux de revenir à ce sujet.

Étrange de lire en eux la page ouverte des lignes laissées en suspend pendant longtemps. Tant aujourd’hui elles s’écrivent de sourire sur les visages, loin des larmes d’autrefois. De ces moments d’ivresses tendresses qu’ils ont pu partager, la passion qui unissaient les âmes déchirées par la vie. En tracas de morceaux inachevés, cette journée offre un nouveau regard envers ce même livre. Pleins de joie et d’amitié. Alors les questions se posent, tentant de rattraper le temps perdu. Reconstruire petit bout par petit bout les morceaux d’eux. Comme la promesse d’autrefois – différente, mais intense. Une pierre précieuse pour l’un, bouée de l’autre. Une énième respiration dans cette fâcheuse vie retrouvée ; retour à la normal, le cœur plus brisé que jamais.

Son regard contemple chacune des photos expliquées avec passion. Cette même passion qui le surprend parfois, tant l’amour porté aux photographies est similaire. Et si on le lui demande, la flamme sera la même. Il critique le point de vue, bienveillamment. Sourit aux moments comiques capturés par l’autre, ressent l’émoi des émotions nostalgiques devant d’autres clichés moins joyeux. Et Dieu qu’il aime ! De cette folie. « Dis-moi … Je suis à la recherche d’un travail, même petit tu sais … Y aurais pas quelque chose que je pourrais faire pour toi, dans une prochaine exposition ou … » Il n’a pas tant réfléchi à la demande. Arrivée comme le fruit d’un parfait hasard. Mais si la réponse est positive, sa joie n’en serait que plus grande. Et auquel cas le négatif l’emporte, son sourire ne s’effacerait en rien – il est déjà gêné de lui avoir demandé.

Il attrape sa boisson chaude dans le creux de ses mains. La paume réchauffant le corps glacé par le froid hivernal. « C’était … Enrichissant. » Pour le corps et l’esprit. « Intéressant en tout cas, j’ai beaucoup appris là-bas. Tu ne vas pas tarder à être appelé à ton tour, n’est-ce pas ? » Qu’il demande. Deux années vides.