all i have to give to you is my love + hwansuk

il se tient devant la porte, dansant d’un pied sur l’autre autant par hésitation que parce qu’il ne sait pas tenir en place. il se demande s’il ne devrait pas sonner une seconde fois. pas question, en tout cas, de faire demi-tour. il ne repartira pas tant qu’il ne l’aura pas vu. cela fait plusieurs jours, peut-être une semaine qu’il ne croise plus hwansuk et il a dû questionner toutes leurs connaissances communes pour finir par apprendre que le jeune homme était malade et c’est pour cela qu’il ne sortait pas. seulement kai s’en fiche bien que son ami ne veuille voir personne, il est inquiet et il tient au moins à s’assurer qu’il est vivant. il aurait pu juste lui envoyer un message, il y a pensé d’ailleurs, mais ce n’est pas la même chose que de voir quelqu’un en face, et puis vous savez kai et la technologie - ça fait deux.

alors il est là, il attend avec un peu d’appréhension que quelqu’un vienne lui ouvrir (il espère que ce sera hwansuk parce qu’il ne connaît pas ses colocataires et il ne sait absolument pas ce qu’il dira s’il se retrouve face à l’un deux) et bien sûr quand la porte finit par s’ouvrir il sursaute parce qu’il commençait doucement à se perdre dans ses pensées. et puis un sourire se dessine sur son visage.

hwan ! tu vas bien ? tes amis m’ont dit que tu étais malade, alors-

il tend les bras pour lui mettre sous le nez un sac en papier contenant des tupperwares remplis.

je t’ai ramené à manger ! ça vient du resto, sauf les cookies, c’est moi qui les ai faits.

un instant de silence, pendant lequel il se rend compte qu’il a peut-être parlé un peu trop et surtout un peu trop vite, mais bon, hwansuk doit avoir l’habitude maintenant. après tout, ça fait plusieurs mois qu’ils se connaissent et kai passe souvent lui rendre visite comme ça, à l’improviste.

je peux entrer ?

il a l’air timide tout à coup, alors que la seconde d’avant il semblait prêt à lui sauter dessus. c’est drôle comme il passe d’un extrême à l’autre sans transition. il n’y a vraiment que les enfants pour faire ce genre de choses. mais il finira par grandir, un jour. on suppose. pas aujourd’hui, c’est sûr. pas avec hwansuk. c’est vrai que parfois il se comporte presque comme un parent inquiet vis à vis du jeune homme, mais ce n’est pas ça qui l’empêche de lui confier ses affaires pour grimper à un arbre l’instant suivant, par exemple.

Cela s’était passé lundi soir. Ou plutôt entre lundi et mardi, au milieu de la nuit. Hwansuk travaillait - autant que l’on pouvait appeler ce qu’il faisait un travail. Cela aurait dû se passer comme d’habitude, il n’y avait rien de spécial, rien de nouveau, à part le client peut-être, il ne l’avait jamais vu dans le coin. Mais Hwansuk ne s’attardait pas sur ce genre de détail, il ne s’attardait pas sur grand chose de manière générale. Le client lui laisse finir sa clope, peut-être moins chiant que d’habitude, se dit Hwansuk, mais il ne sait pas encore à quel point il se trompe.

Le client repart de l'hôtel en premier, et Hwansuk se traîne plus qu’il ne marche jusqu’à la salle de bain. Il a mal partout et quand il croise son reflet dans le minuscule miroir de cet hôtel de passe, il est surpris par la couleur des hématomes sur son derme pourtant déjà foncé par le soleil. Il grimace lorsqu’il les touche du bout du doigt, puis soupire, et se glisse dans cette douche minuscule. Peut-être qu’il pleure mais les larmes se mélangent à l’eau tiède et il les ignore. Il a toujours mal lorsqu’il quitte la chambre d'hôtel à son tour, faisant bien attention de cacher ses bleus aux yeux du personnel, comme il cache ses émotions au fond de sa poitrine.

Quand il se glisse dans son lit finalement, la matinée de mardi est déjà bien avancé, et Hwansuk envoie un message à ses camarades de classe. Je ne pourrais pas venir aujourd’hui ni demain. Je suis malade. Il évite de croiser ses colocataires lorsqu’il va se chercher de quoi manger dans le frigidaire commun, mais il arrive à peine à avaler. Il repasse dans la salle de bain, il a envie de se laver, encore, comme à chaque fois, il veut se laver plusieurs fois. Il s’arrête net devant le miroir cette fois, parce que c’est son oeil qui est rouge et le contour violacé. Hwansuk soupire et attrape un peu de fond de teint. Il ne sait pas qui il essaye de berner, sans doute lui-même. Il passe le reste de la journée dans son lit.

Hwansuk décide de ne pas aller en cours jeudi non plus, parce que son oeil commence seulement à retrouver une teinte normale, et qu’il n’a pas envie d’expliquer cela à qui que ce soit. Le vendredi il voit finalement ses amis et récupère les cours qu’il a loupé, on lui demande s’il va mieux, s’il s’est soigné, alors il répond poliment, sourit, les rassure, et repart avant qu’ils ne posent plus de questions. Il n’a pas cours le samedi. Il va mieux, cela dit : son oeil est plus ou moins guéri (suffisamment pour qu’il réussisse à le cacher avec du fond de teint). Il a encore des bleus, mais le bas de son corps ne le fait plus autant souffrir. Il va ouvrir lorsque quelqu’un sonne, s’attendant à une livraison, peut-être un publicitaire.

Il est honnêtement surpris de voir le visage de Kai devant lui. Encore plus surpris par le sachet qu’il lui tend. Kai est surprenant, et surtout incroyablement gentil, il n’a pas fallu beaucoup de temps à Hwansuk pour s’en rendre compte. Il lui sourit doucement et accepte la nourriture en s’inclinant poliment. “Merci,” souffle-t-il, “C’est gentil d’avoir pensé à moi.” Il le fait entrer, l’amène dans la cuisine commune (sa chambre n’est pas rangée, comme d’habitude). “Je vais bien,” il ment, “Juste un peu fatigué.” Peut-être qu’il tremble un peu sur ses jambes mais il s’assoit vite alors tout va bien. Il sort les plats du sachet que lui a donné Kai, et il a un nouveau sourire : l’odeur qui en émane est déjà savoureuse. “Ca sent bon,” commente-t-il. “Tu n’étais pas obligé de faire ça,” rajoute-t-il du bout des lèvres sans oser regarder Kai dans les yeux. “Je serai revenu en cours lundi, tu n’avais pas à t’inquiéter pour moi.” Il déguste les plats du regard quelques secondes, puis lève les yeux vers Kai. Il lui sourit légèrement, de ces sourires tristes qu’il est bien incapable de rendre heureux.

“On partage ? Tu m’en as ramené beaucoup pour moi tout seul.” Hwansuk pousse un peu les plats vers Kai et lui confie deux baguettes sans lui laisser le temps de protester. Peut-être que si Kai est occupé à manger, il ne remarquera pas son état.

il ne s'aperçoit pas aussitôt que quelque chose ne va pas, trop heureux de voir son ami pour faire vraiment attention. il accepte en souriant ses remerciements et le suit à l'intérieur d'un pas léger, presque sautillant - il manque de se cogner dans le mobilier tellement il est distrait, mais tout va bien.

et puis ils se retrouvent tous les deux dans la cuisine (pas de trace des colocataires jusqu'ici, ouf) et hwan a cette phrase qui le fait tiquer. juste un peu fatigué. c'est ce que kai disait quand il ne voulait pas inquiéter ses parents, qu'il était juste fatigué. que ça allait passer. à partir de là, tous les petits détails lui sautent aux yeux, comme la façon dont hwansuk se tient ou la fatigue sur son visage, la tristesse qui transpire de ses sourires. celui de kai vacille et s'éteint doucement, comme une flamme de bougie soufflée par le vent, alors qu'une certitude désagréable s'installe en lui; quelque chose ne va pas. et hwan a beau lui dire de ne pas s'inquiéter, c'est exactement ce qu'il est en train de faire.

il ne dit rien sur le moment. il ne sait pas quoi dire (il est tellement maladroit, il serait capable d'empirer les choses en voulant bien faire, il le sait) alors il se contente de prendre les baguettes et de secouer la tête en souriant.

d'accord, mais s'il y a des restes, tu les gardes pour demain. il faut que tu manges pour reprendre des forces ! c'est ce que ma mère dit toujours quand on est malade, à la maison.

et si c'est maman qui le dit, alors c'est forcément vrai. il s'assoit à côté de son lui et ils mangent en silence pendant un petit moment, ce qui est un peu inhabituel pour kai. il est plus calme que d'habitude - en fait, il réfléchit. parce que oui, ça lui arrive de réfléchir, et même si le résultat n'est pas toujours brillant, il y met vraiment du sien. lorsqu'ils terminent tous les deux de manger, il repose ses baguettes et se tourne vers hwansuk. il a l'air nerveux, mais déterminé.

hwan. je suis ton ami, d'accord ? t'es pas obligé de me mentir.

il baisse les yeux, tout à coup embarrassé. c'est terrible comme la présence de hwansuk le met si facilement mal à l'aise sans qu'il ne le veuille. sans doute que son crush sur lui n'est pas tout à fait passé, finalement.

je veux dire. tu peux me dire ce qui ne va pas. je t'aiderais.

il a parlé d'une petite voix qui ne correspond pas du tout à sa carrure - comment quelqu'un de si grand peut être aussi facilement intimidé ? mystère, mais en tout cas, c'est mignon... d'une certaine façon.

Hwansuk acquiesce. Il apprécie vraiment l’attention de Kai, elle n’est jamais mal placée, peut-être parfois un peu envahissante (en tout cas au début), mais il s’était habitué, et cela ne le dérange plus désormais. Ils mangent en silence, Hwansuk ne pense à rien, il ne fait pas attention à ce que Kai est en train de penser, trop perdu dans ses pensées - ou plutôt dans sa tête qu’il s’efforce de garder vide, et ça l’occupe tellement qu’il ne fait attention à rien d’autre. C’est tranquille. Il ne finit pas son plat - il n’a pas vraiment faim. Il sait que Kai va lui faire la remarque, alors il prend soin de refermer la boîte avant que l’autre ne puisse faire de commentaire, et la pousse sur le côté. Comme il l’a dit, de toute façon, ça lui fera des restes pour un autre jour. Ce n’est pas perdu, et Hwansuk n’allait pas cracher sur un ou deux repas gratuits.

La reprise de parole de Kai le surprend un peu. Il lui jette un regard plein d’incompréhension, mais hausser le sourcil lui fait encore un peu mal alors il cligne des yeux rapidement - il ne veut rien montre à Kai, ce n’était pas la peine, Kai n’avait pas besoin de s’occuper de ça. Hwansuk sourit doucement. “C’est gentil.” Se contente-t-il de répondre. Il a bien entendu la remarque de Kai, il a bien compris qu’il se doutait de quelque chose, mais c’est plus fort que lui, il ne peut pas lui dire, il ne veut pas. “Mais je vais bien je t’assure.” Il ne sait même pas s’il lui ment, en réalité, tellement habitué à le faire qu’il ne se rend même plus compte lorsqu’il altère sa propre réalité - et sans doute qu’une part de lui se ment déjà à lui-même et que c’est pour ça qu’il est incapable de dire la vérité à autre chose. “Enfin, je vais mieux,” une petite nuance qu’il rajoute à mi-voix, détournant le regard. “Le début de semaine était pas facile avec la maladie tu sais…” Toujours ce même prétexte et tout à coup cela sonne complètement faux à ses oreilles mais il fait comme s’il ne le remarquait pas.

Hwansuk se redresse finalement et va pour débarrasser un peu la table. Son pull retombe un peu sur ses épaules, découvre la peau de sa nuque et la tâche jaune brune du bleu presque guéri au creux de son épaule. Il ne le voit pas tout de suite, s’occupe de ranger les plats au frigo, de nettoyer les baguettes et la table, puis il fait un simple sourire à Kai. “Merci beaucoup d’être venu, ça me fait vraiment plaisir. Qu’est-ce que je peux faire pour te remercier ?” Il n’a pas grand chose, et il sait que Kai ne voudra pas de son argent, mais il tente quand même, autant par politesse que parce qu’il n’est même être redevable, mais à Kai.

les mots de hwansuk résonnent dans la cuisine silencieuse et kai les trouve terriblement creux. terriblement faux. il écoute silencieusement, se mordant la lèvre pour contenir le sentiment brûlant qui monte en lui petit à petit. c'est pas tout à fait de la colère, non, c'est plutôt de la frustration. c'est ça, il est frustré, frustré de voir quelqu'un à qui il tient souffrir et de ne rien pouvoir y faire. il n'a pas su trouver les bons mots, ou alors peut-être que hwansuk ne lui fait pas assez confiance pour lui dire la vérité. il se sent impuissant et il déteste ça. mais il ne sait pas quoi faire de plus pour l'instant, alors à défaut de son aide, il lui offre un sourire qu'il s'efforce de rendre rassurant.

okay. si tu vas bien, tout va bien.

et il espère sincèrement qu'il se fait du souci pour rien, qu'il voit des signes là où il n'y a que du vent et que hwansuk va vraiment bien. mais il n'arrive pas à y croire (peut-être parce que la dernière fois qu'il y a cru, ça ne s'est pas très bien terminé).

attends- je vais t'aider.

il sait que ce n'est pas son rôle en tant qu'invité, mais il ne veut pas le laisser se débrouiller seul, alors il se lève pour débarrasser avec lui. et en lui passant un plat entamé pour qu'il le range dans le frigo, il aperçoit cette marque foncée sur sa peau. ça lui fait l'effet d'un coup de poing dans l'estomac, le laissant incapable de parler pendant quelques secondes - et il devrait sans doute faire comme s'il n'avait rien vu, parce que si hwansuk ne veut pas lui parler de tout ça il y a bien une raison, et ça ne se fait pas de se mêler des problèmes des autres quand de toute évidence, ils ne veulent pas d'aide. mais kai s'en fiche bien de tout ça, il ne réfléchit pas aux conséquences. il réagit à l'instinct, c'est tout. il secoue la tête.

t'as pas besoin de me remercier. mais…

la colère ne suffit pas à effacer sa timidité; hwansuk l'a intimidé dès la première fois où il l'a vu, avec ses silences et ses mots acérés, et puis ses sourires tristes qui lui rappelaient quelqu'un, un peu. kai ne savait pas trop comment l'aborder, au début, et pourtant il avait inexplicablement envie de le protéger. c'est aussi ce qu'il ressent à ce moment-là, alors que ses lèvres tremblent un peu et qu'il tend une main hésitante, pour la poser doucement, très doucement sur l'épaule de hwansuk.

s'il te plaît, juste… dis-moi ce qui t'es arrivé. dis-moi qui t'as fait ça.

et il y a quelque chose de presque suppliant dans le regard qu'il lui lance, quelque chose de désespéré. il refuse de perdre un autre ami parce qu'il n'aura pas su, pas pu intervenir avant qu'il ne soit trop tard. il ne laissera pas ça se reproduire. plus jamais.

Hwansuk perçoit le changement dans l’atmosphère avant même de voir le regard de Kai. Il relève les yeux vers lui, et lorsqu’il aperçoit son expression choquée et déroutée, quelque chose en lui se serre. C’était exactement le regard qu’il ne voulait jamais voir sur le visage de Kai, le regard de la pitié et de l’interrogation, le regard de l’outrage (parce que Hwansuk n’a rien de décent, parce que ce qu’il fait est détestable, et qu’il sait qu’il peut être jugé pour ça - mais par Kai… il n’est pas sûr de savoir pourquoi, mais cela fait plus mal qu’avec n’importe qui d’autre.) Hwansuk s’empresse de remettre son pull en place, couvrant ses épaules et baissant la tête, se détournant de Kai et ignorant sa main sur son épaule (qui ne fait pas mal physiquement, mais qui le dérange, d’une certaine manière, qui le met mal à l’aise, qui le met face à quelque chose qu’il ne veut pas voir, encore.)

“Personne. C’est rien.” Le mensonge passe ses lèvres avec le naturel de l’habitude, mais cette fois il le regrette, parce que le regard de Kai est suppliant, et Hwansuk ne sait pas quoi faire face à ça. Il recule un peu, comme pour fuir, comme pour échapper à toutes ces accusations et ces craintes que Kai laisse transparaître sur son visage et que Hwansuk s’est déjà assez répété en boucle pour ne pas vouloir les repérer autre part, chez les autres. Les autres n’ont pas besoin de le regarder comme ça, surtout pas Kai, surtout pas Kai.

Hwansuk a les doigts qui tremblent et il ne s’en rend pas compte. Il a la tête baissée et devant Kai déjà si grand, il se sent encore plus petit. Il marmonne des bribes d’explications inventées qui n’ont aucun sens, et puis des excuses, parce qu’il ne sait plus quoi dire pour se sortir de ça, parce que Kai n’aurait vraiment pas dû voir ça. Hwansuk soupire, se mord la lèvre, croise les bras et serre peut-être un peu trop fort ses membres contre son corps, comme pour se protéger. Il balbutie deux trois mots à mi-voix, des aveux échappés dans un souffle. “Juste un client un peu… différent de d’habitude.” Il déglutit, puis il rectifie. “Un peu violent.” Il relève des yeux noirs et profondément tristes vers Kai, mais il se force à sourire. “Désolé, je voulais pas que tu vois ça.” Il se frotte un oeil, et puis il termine de ranger la table, comme si de rien n’était.

Il a l’impression que son corps lui fait soudain beaucoup plus mal, il veut retourner dans son lit et se cacher sous les couvertures, dormir et attendre que le mal passe

bien sûr que non, ce n'est pas personne, et bien sûr que ce n'est pas rien. ils le savent très bien, tous les deux, et ça lui fait mal de constater que hwansuk continue de lui mentir même lorsque l'évidence est là, sous ses yeux. ça lui fait encore plus mal de le voir fuir, éviter son regard, comme s'il avait peur de quelque chose. ce n'est pas ce qu'il voulait du tout.

il fronce les sourcils d'un air peiné.

je ne te crois pas.

c'est plus un constat un peu triste, un peu déçu qu'un reproche ou une accusation. il aimerait seulement que son ami laisse un peu tomber ses barrières, au moins avec lui, parce qu'il n'a pas l'intention de lui faire du mal. il veut seulement l'aider. mais comment lui faire comprendre ça ? hwansuk a l'air perdu et vulnérable, bredouillant des excuses incohérentes, et kai se dit que c'est un peu de sa faute s'il est dans cet état. il a insisté et voilà le résultat. sa détermination vacille et l'espace d'un instant il envisage de le laisser tranquille, puisqu'il semble lui faire plus de mal que de bien, finalement.

et puis hwansuk lui dit enfin la vérité. un client. kai devine aussitôt qu'il ne parle pas de son travail de barman, et revoilà ce même sentiment d'impuissance qui monte en lui, mêlé à une colère sourde et aveugle. il s'en veut à lui-même de ne rien pouvoir faire pour hwan et puis surtout il en veut terriblement à tous ceux qui lui ont fait du mal. il se rend compte qu'il a serré les poings inconsciemment. il essaie de les défaire, de décrisper ses muscles tendus. il voudrait parler, dire quelque chose de rassurant et réconfortant, seulement ça refuse de sortir. ça reste coincé.  

alors il fait ce que son cœur lui crie (ce qu'il lui murmurait déjà quand hwansuk a ouvert la porte pour le laisser entrer tout à l'heure) ; il efface la distance qui les sépare et il l'enlace. il l'entoure de ses bras sans lui laisser le temps de protester, pose sa tête sur son épaule et l'étreint sans rien dire, pas trop fort pour ne pas lui faire mal. il le trouve si frêle, si fragile contre lui, et il éprouve un désir farouche de le protéger du monde entier.

sois pas désolé, marmonne-t-il au bout de quelques secondes.

il hésite, cherche un peu ses mots. il a encore la gorge serrée et cela l'agace - il voudrait être fort et imperturbable mais il est tellement sensible.

c'est pas ta faute.

Hwansuk reste immobile, figé, tétanisé même. Il sent le corps de Kai contre le sien, ses bras enroulés autour de lui, son menton sur son épaule, son souffle près de son oreille. Il écoute ses mots, sans vraiment les entendre, les doigts crispés, les membres lourds et l’esprit confus, puis une espèce de sirène, dans sa tête, qui hurle à tue-tête, qui lui fait mal, qui ne le laisse pas tranquille et qui le prévient du danger autant qu’elle l’empêche de le fuir, l’angoisse qui monte, les poings qui se serrent.

“Kai-” Il lève les mains, veut le repousser, à cause de cette alarme qui lui crie de fuir, encore, d’échapper à cette étreinte indésirable, cette attention trop proche, trop intime, son corps qui panique, et ses doigts qui viennent serrer le tissu du haut de Kai, le tirer presque. Il se rapproche de lui, instinctivement, alors que dans sa tête les sons deviennent insupportables, il ferme les yeux, baisse la tête, fronce les sourcils et il se retrouve le visage plongé dans son cou, la respiration rauque, irrégulière alors qu’il essaye de garder le contrôle sur son corps.

Une part de lui veut s’échapper, loin, partir, fuir, ne jamais revenir, rejeter cette étreinte qu’il n’a pas demandé, que son corps ne supporte pas - toujours cette sensation de ne pas vouloir être touché, cette sensation d’être attaqué. Mais Hwansuk a aussi un côté rationnel, sa raison qui le rassure tant bien que mal, qui lui répète en boucle que Kai ne lui fera rien, qu’il ne le blessera pas, qu’il n’est pas là pour lui faire mal. Et son corps de hurler que si, et sa conscience de prier que non.

Et il a envie de lui dire que si, bien sûr que si, c’est sa faute. C’est lui qui a décidé de faire ça, c’est lui qui a accepté ce client, c’est lui qui s’est laissé faire sans protester, c’est lui qui s’est abandonné comme si ça pouvait le sauver, alors qu’il n’a fait que sombrer depuis. Hwansuk a envie de crier qu’il n’a que ce qu’il mérite, au fond, et ses doigts se serrent un peu plus sur le t-shirt de Kai et il sait qu’il est en train de le froisser. Il veut s’excuser aussi, il ne veut pas que Kai s’inquiète, il ne veut pas que Kai le voit comme ça : fragile, au bord du gouffre, au bord des larmes, abîmer, salis. Hwansuk veut lui dire tout ça, il veut vraiment.

A la place il se contente de souffler un “Merci,” du bout des lèvres, et il sait que ce ne sera pas suffisant pour exprimer tout ce qu’il ressent, mais il ne sait pas comment faire autrement. L’alarme dans sa tête sonne toujours, il ne peut pas tenir cette étreinte plus longtemps, alors il serre Kai un peu plus fort, quelques secondes, et puis il le relâche, et vite, vite il s’écarte, il fuit presque, s’éloigne d’un bon mètre, les doigts toujours tremblants, le regard ailleurs. Il cherche quelque chose à faire, n’importe quoi, pour occuper son esprit et ses mains avant que les tremblements ne deviennent incontrôlables, l’alarme baisse de volume, lentement, Hwansuk est encore hagard de l’étreinte, il évite soigneusement de croiser le regard de Kai.

“Je vais aux toilettes,” qu’il lâche sans même y réfléchir, et il disparaît presque aussitôt, s’enferme à double-tour dans la salle de bain, et se précipite sur le lavabo pour se passer l’eau froide salvatrice sur le visage. Le fond de teint coule au-dessus de son oeil, la couleur mauve réapparaît dans son cou, il n’y fait pas attention. Il prend de grandes respirations. Il retient ses larmes. “T’es un grand garçon, Hwan, les grands garçons ne pleurent pas,” avait dit Ace un jour en le voyant les larmes aux yeux, “Tu es fort, tu te battras toujours, tu n’as pas besoin de pleurer.” Si elle le voyait maintenant, surement qu’elle se moquerait de lui. Hwan a envie de balancer son poing dans le miroir face à lui, pour le briser, pour ne pas avoir cette image pathétique de lui dans la glace. Il n’a pas envie de penser à Ace maintenant, ni plus jamais d’ailleurs, et pourtant elle continue de le hanter, et ça l’énerve, désormais, après le désarroi et l’angoisse, Hwan sent la colère monter. “J’ai pas besoin de toi,” et il ne sait pas vraiment à qui il parle, “Je n’ai jamais eu besoin de toi. Je te déteste.” Il renifle et il se détourne de ce miroir, glisse le long du meuble et s’assoit par terre. “C’est faux, tu m’aimes. Mais tu n’aimes pas que moi.”

Tais-toi, tais-toi, tais-toi, laisse moi tranquille, tais-toi, “La ferme !” Ace disparaît, Hwansuk rouvre les yeux. Il a pleuré, il sent ses joues humides, les essuie aussitôt. Il prend une grande inspiration et se redresse. Combien de temps s’est-il enfermé là-dedans ? Il pense à Kai, resté dehors, il s’en veut aussitôt et sort en oubliant de remettre du maquillage sur ses bleus.

Il déboule presque dans la cuisine. “Est-ce que tu veux rester ici ce soir ?” Il n’a pas réfléchi, le regard alerte, et une pointe de soulagement dans la poitrine en voyant que Kai n’est pas encore parti.

s'il s'écoutait, kai ne lâcherait plus jamais hwansuk. il le garderait juste là, dans ses bras, pour l'éternité. mais ce n'est pas possible, malheureusement, et de toute façon il ne le mériterait pas, pas plus qu'il ne mérite le remerciement qu'il entend son ami chuchoter. il voudrait le serrer un peu plus fort, mais il n'ose pas de peur de lui faire peur, alors il se contente de lui tapoter le dos maladroitement. et quand hwansuk le lâche sans prévenir pour reculer brusquement, il a l'impression de sentir une déchirure au milieu de son cœur qui bat fort dans sa poitrine. il aurait voulu que l'étreinte dure plus longtemps, au moins quelques instants car c'était si court ! trop court.

hwan, je-

il n'a pas le temps de dire un mot de plus ; hwansuk a déjà disparu, parti sans lui jeter un regard, et kai reste planté là, bouche ouverte, bras ballants, incapable de réagir. est-ce qu'il a fait quelque chose de mal ? il n'aurait peut-être pas dû le prendre dans ses bras. mais il en avait très envie, et il pensait que cela aiderait. c'était censé le réconforter, pas le faire fuir.

pendant les minutes interminables qui s'ensuivent, il s'appuie contre le mur, se redresse, fait le tour de la pièce, range de la vaisselle qui était restée sur l'égouttoir, s'assoit sur une chaise, résiste à l'envie de se balancer, se relève. il ne tient pas en place. il a déjà du mal à rester immobile en temps normal, mais là, avec l'inquiétude, c'est pire. il n'a pas vraiment la notion du temps qui passe et il ne pense pas à regarder son téléphone. ce n'est pas vraiment son premier réflexe. enfin, hwansuk revient de la salle de bain, et kai fait presque un bond de joie en le voyant. et puis il remarque les bleus que le fond de teint ne cache plus et une lueur alarmée apparaît dans ses yeux noisette. il n'enregistre qu'à moitié la question qui lui est posée.

il est à deux doigts de lui faire remarquer, de lui demander si c'est aussi la même personne qui est responsable de ça même si cela semble évident. finalement, il se ravise au dernier moment. il ne veut pas le forcer à parler de ça plus longtemps. c'est injuste, c'est terriblement injuste que hwansuk souffre de cette façon alors qu'il n'a rien fait de mal. kai déteste ça et intérieurement, il se jure de faire tout son possible pour le sortir de cette vie. mais c'est pas en insistant là-dessus qu'il va changer quoi que ce soit. il ravale ses questions, tout ce qu'il voulait dire, et il se contente de le remercier d'un signe de tête pour son invitation.

ouais, bien sûr. si je t'embête pas.

kai enfonce ses poings dans ses poches et sourit comme si de rien n'était, même si ça paraît un peu tendu, un peu faux.

on devrait faire quelque chose pour te changer les idées. jouer à un jeu ou regarder un film, ça te dit ?

il fait de son mieux pour avoir l'air souriant et décontracté, mais très franchement, c'est tout le contraire. il peut presque sentir son sang bouillir dans ses veines dès qu'il pose le regard sur le visage marqué de hwansuk. il n'a qu'une envie: retrouver le type qui a fait ça et lui casser la figure, même s'il sait bien que c'est complètement déraisonnable. c'est pas bien de se battre ; maman n'aimerait pas ça du tout.

Il y a cette pointe de soulagement au creux de sa poitrine lorsque Kai accepte sa proposition. Hwansuk ose un sourire, discret, du bout des lèvres, et puis il acquiesce. Il ignore le regard de Kai qui agrippe certaines parties de son visage, d’abord, et puis il fait soudain le rapprochement, ses doigts glissent dans son cou et il grimace. “Ah…” il se rend-compte que le maquillage est parti, il se sent stupide, il veut de nouveau disparaître, il veut fuir le regard de Kai, s’échapper. Mais c’est trop tard maintenant, alors il se contente de se mordre la lèvre, de tirer un peu sur le col de son pull, et d’adresser un regard triste à Kai. “Je vais bien, ne t’inquiète pas.” C’est déjà moins un mensonge que plus tôt. Il se sent mieux. Hwan sait que Kai n’y est pas étranger, d’ailleurs, mais il ne saurait pas comment le lui avouer. Il se contente de l’inviter dans sa chambre, un peu moins en bazar que d’habitude, il a eu le temps de ranger pendant qu’il séchait l’université.

“Je veux bien regarder un film,” finit-il par dire alors qu’il se laisse tomber assis sur le lit. Il tapote la place à côté de lui distraitement pour intimer à Kai de venir, alors qu’il récupère son ordinateur au sol. C’est un vieil appareil, il l’a depuis qu’il est entré à la fac, mais il fonctionne toujours et de toute façon Hwan n’a pas les moyens de changer tous les ans comme les plus riches de la faculté.

Hwan a envie de passer un moment avec Kai comme un jeune adulte normal. Il a envie d’oublier l’angoisse qui lui triture le ventre par habitude, et la douleur de ses membres lorsqu’il s’appuie sur la mauvaise main ou le mauvais pied. Il ne veut pas faire attention à la manière dont Kai le regarde, avec tant de pitié qu’il pourrait s’y noyer. Il veut juste s’oublier un peu - et si d’habitude il pioche dans l’illégal pour se procurer certaines drogues, la présence de Kai l’en empêche et le préserve en même temps. Pour ça aussi, il devrait le remercier, il le sait. Mais il ne le fera pas - il ne sait pas comment faire, et il ne veut pas susciter plus de questions qu’il en subit déjà.

Hwan finit par s’installer juste à côté de Kai, des coussins derrière leurs dos pour les caler confortablement contre le mur, l’ordinateur sur un de leurs genoux à chacun - Hwan tire un peu son drapa pour mettre ses jambes dedans, machinalement. “Ca te va Nausicäa de la Vallée du Vent ? J’aime beaucoup les films des studios Ghiblis.” Pour ne pas dire qu’il les adore. Sans doute ses films d’animation préférés parmi tous les autres, Disney n’ayant que très peu d’influence sur lui. Il n’avait pas les moyens d’aller souvent au cinéma, mais les quelques fois où son père l’avait emmené lorsqu’il était enfant, cela avait toujours été pour ceux de Hayao Miyazaki, et depuis Hwan était bercé par cet univers.

Lorsque le film est lancé et qu’il se réinstalle contre le mur, il se rapproche instinctivement de Kai, sa tête presque sur son épaule à cause de leur différence de taille. Il n’y fait pas attention, il se tient encore les bras dans une posture très défensive, et il n’est pas collé à lui pour autant, une petite distance de sécurité semble les séparer. Hwan décide qu’il peut se laisser entraîner par le film pour oublier un peu le reste et c’est ce qu’il fait.