(if you love me) don't you say something — ft. huan

Ses yeux brûlent. Il a sommeil.

Des voix divagues dont l’écho résonne soit trop fort, soit trop bas l’irritent ; il a du mal à distinguer chaque mot à travers les grésillements de l’ampoule qui illumine le hall. Le sol, crasse et humide, l’accueillit comme un vieil ami qui retourne enfin à la maison.

—Pauvre garçon. Il a recommencé à boire ?
 —C’était pas parce que sa femme l’a quitté ? Le pauvre.
 —Oui, je pense. On l’aide à rentrer chez lui ?
 —Non… c’est peut-être un ivre agressif.
 —T’as raison.

Au cœur de ce tumulte, Geon n’a pas la force de composer une réponse en sa défense – dire qu’il n’a jamais, jamais, jamais voulu faire de mal à personne. En fait, il n’a même plus la force de se relever ou de garder sa tête droite ou même d’ouvrir les yeux. Les clefs de sa maison restent empoignées dans sa main. Son dos reste collé à la porte derrière lui.

C’est comme si le temps s’était étiré infiniment long – stagne.

Entre inconscience et conscience il bafouille.

Geon ne ressent rien en particulier, ses sens assourdis par l’alcool – il ne se sent pas apaisé par le goût de scotche qui persiste sous sa langue, il ne se sent pas déçu d’avoir cédé à la tentation démon, il ne ressent rien, rien, rien. Il avait misé sur cet engourdissement échappatoire toute son âme. Hua lui manque comme la lune au soleil, comme de la braise sous son cœur, comme jamais. Terriblement parfois, horriblement d’autres – non même une minute de répit, seulement un pansement imaginaire aux sourires de Huan qui s’use deux secondes après. Cette situation lui ronge les os de l’intérieur, en silence, en solitude. Il avait misé sur cet engourdissement échappatoire toute son âme, et il l’espère constant. Chaque verre, une promesse qu’il soit celui de trop.

Geon s’était retrouvé à prier pour un effacement total de sa personne.
Il ne veut pas que Hua pleure pour lui une larme de plus.

Une seconde devient une minute, et une minute se mue en une heure. Il est là à moitié endormi lorsqu’il sent la présence d’un autre engloutir la sienne, soudain. Geon ouvre les yeux et hisse un grognement à l’assaut de lumière. Sa gorge brûle. Il a sommeil.

« Huan ? » Qui d’autre s’intéresserais à toi, sinon. « Hua ? » Imbécile. « J-j’ai pas envie d’être s-seul. » Les mots explosent dans sa gorge, étranglés par la main qu’il ramène contre sa bouche. Une deuxième larme succède la première, et il suffoque sous le poids de la réalisation. Il n’a pas envie d’être sans Hua. Il n’a plus envie d’être. « Hua... »

Les mêmes visages ; il s’y attarde si peu qu’ils finissent par tous se ressembler, plus aucun n’attise sa curiosité quand ses pensées s’entêtent ailleurs. La prise sur son stylo est nonchalante, les fines courbes de son écriture presque incompréhensibles tandis qu’il prescrit des médicaments à son patient. Le dernier de la journée, il l’espère.

Dehors, il fait noir.

Son attention revient au roman policier qu’il avait acquériez il y’a quelques jours seulement, il n’a pas eu le temps de plus s’y plonger, pas plus loin que les vingt premières pages qui ont pourtant suffit à le tenir en haleine. Il n’a plus pour hâte que de rentrer dans son appartement et dévorer chaque ligne autour d’une bouteille de whisky pour ces deux prochains jours libres. Il avait naturellement pensé à passer ce temps en compagnie de sa cadette puisqu’il lui était rare de se réussir à se libérer si longtemps, mais le souvenir du visage de Hua l’en a rapidement dissuadé. Il a su lire ses signaux – elle a besoin d’être seule, réellement seule. Il compte obéir, pour le moment du moins.
Il informe son assistante de son départ, troque l’uniforme blanc contre la veste de son costume bordeaux - petit éclat de couleur qu’il s’est permis aujourd’hui, loin des éternels gris et noirs. Le chemin est rapide et il se décide à garer sa voiture plus loin de sa résidence.

Un prétexte pour marcher. Un prétexte pour passer devant l’appartement de Geon.

Il ne s’attend pas à grand-chose, le plus jeune est surement endormi ou absent. Huan ne compte même pas toquer à sa porte.

Dehors, il fait froid.

Il ferme doucement les deux boutons de sa veste ; le soupir las et le regret sur le bout des lèvres. Parfois, ses propres agissements le dépassent et c’est agaçant. Son roman est fermement pressé sous le bras et ses pas se font plus rapides, il ne se sent pas dans son élément finalement, le luxe absent de ces quartiers le gêne profondément. Puis il le voit. Silhouette recroquevillée face à une porte – il s’approche. Un réverbère grésille au-dessus de lui et la faible clarté lui offre la vision d’un visage ravagé. Son prénom et celui de sa sœur sont prononcés dans la confusion. « Hua and I aren’t that much of a lookalikes for you to get confused. » murmure-t-il légèrement avant qu’un sanglot ne sonne l’alerte chez lui. « Geon ? »

Soudain, l’odeur de l’alcool afflige ses sens. « You’re drunk ! » Et il est déçu, tellement déçu, de ne pas avoir assisté à sa chute, de ne pas avoir été là pour le voir faiblir face au premier verre. Il s’accroupi face à lui et tend la main vers son visage, tentant vainement d’essuyer quelques larmes. « Let’s go inside, tu ne ressembles vraiment à rien. » Il attrape Geon par le bras et le forcer à se relever et appuyer sur lui de toute son poids. Il attrape ses clefs et ouvre la porte, espérant que l’endroit soit vide.

À l’armée, on lui a appris que face à la torture, on se réfugie dans un recoin de l’esprit pour survivre. C’est assez romantique, comme concept, Geon a toujours trouvé ça trop beau pour être une stratégie militaire complexe. On parle alors d’un exile mental, d’un souvenir et d’un souhait réconfortant ; on parle de se noyer dans une image si détaillée, si affectionnée qu’on croirait y être.
Il se voit dans le bar où il a connu Hua pour la toute première fois. Il se reconnait dans son sourire, dans son rire, dans ses gestes et dans ses dires. Ils étaient au soleil, à cette époque-là, ils étaient heureux et le futur semblait tout autant ensoleillé.

C’est cet homme-là, qu’il veut être. C’est cet homme-là qu’il veut redevenir. Plutôt, il n’en est même plus un cliché.

Geon… il n’a pas envie de réessayer.

La voix de Huan est une ancre qui le fait sombrer plus bas plutôt que de le ramener à la réalité. Plus dure que le sol sous ses pieds, plus froide que la mélancolie qui l’extirpe de toute sa lucidité. « you’re drunk ! » Huan n’a pas l’air choqué, ou contrarié – au contraire, on aurait dit qu’il en est réjoui. Geon devrait en être content ; il a tout le temps peur de décevoir la seule personne qui veut toujours bien de lui. Pourtant, ça lui fait plus peur qu’autre chose. « let’s go inside, tu ne ressembles vraiment à rien. » Il peine à se remettre sur pieds, mais il n’ose pas discuter l’ordre et s’exécute quand même. L’ordre : parce que c’est tout ce que c’est, et c’est tout ce que Huan a pour lui. Ni de pitié, ni d’affection – juste l’illusion d’affection et l’indulgence qui le mènera à sa perte.

Il sait.
à présent, il sait pourquoi Huan ne l’a toujours pas abandonné. Il sait aussi qu’il n’a pas envie d’être seul.

Geon manque presque de trébucher à l’entrée sur une chaussure abandonné, mais les doigts creusés dans son bras l’aident à reprendre balance tantôt. Il a toujours les larmes aux yeux lorsqu’il lâche un rire sans humour, laissant l’aîné les naviguer à travers l’appartement. « t’es pas là pour moi, hm, hyung ? » il le regarde d’à travers ses cils, un sourire dangereusement sombre aux lèvres. Il s’arrête de marcher un instant pour obliger le psychiatre à le regarder dans les yeux ; Huan est un bel homme, Geon trouve, un dieu grecque, sûrement celui de la guerre et de la destruction. « tu as menti. Si tu me laisses pas me tuer, c’est pas parce que tu m’aimes. » Tête penchée vers sa gauche, le plus jeune homme a l’air d’un enfant curieux. Ils sont assez proches pour que chaque souffle se sent et s’entend. « Hyung, est-ce que ça va te suffire un jour de me voir triste ? » Est-ce qu’il sera un jour pardonné d’avoir brisé le cœur de Hua ? Ses yeux se referment, et il est tellement fatigué que même des réponses ne lui importent plus. De toute façon, « tu sais que j’arrêterai jamais de l’aimer, hein ? »

Pas une seule fois les remords ne sont invités dans son cœur. Il ne s’est pas passé un jour où Huan a remis en questions ses actes.

Pas même avec Geon.

Surtout pas avec Geon.

Il l’observe le garçon accroupi au sol, le toise presque de son regard dénué d’émotions. Geon est si faible face à lui, un atome insignifiant. Il parait presque inoffensif, mais il ne l’est pas. Coupable, c’est que crient les voix à chaque fois qu’il pose les yeux sur le plus jeune. Il a brisé le cœur de sa sœur, a ôté l’éclat chéri dans ses yeux et cet unique fait le rend coupable de tous les maux. Il ne ressent aucune compassion pour Geon – il en est persuadé. Il n’a pas le battant lourd face à la vision triste du garçon ivre et esseulé. Il refuse ces pensées-là ; indésirables.

Il ne contemple que sa faiblesse, à quel point il sera facile à manier entre ses doigts et de ses mots ainsi. Ses lèvres se fondent en paroles mielleuses tandis qu’il énumère l’évident, relève Geon dont il supporte le poids de son corps. Geon titube à l’entrée et l’aide à préserver son équilibre, la paume lovée au bas de son dos, bien que la pensée de le laisser se vautrer au sol ait été tout autant séduisante. Huan n’a jamais été charmé par les sévices physiques, et si ses doigts ont souvent tremble à l’idée de les enfoncer autour de la gorge de Geon, la perspective de le transformer en une coque humaine docile et vide de tout a toujours été plus excitante.

T’es pas là pour moi hyung.

Les mots le figent, forcent un pli confus au milieu de son front. Il n’a pas le temps de parler ou tenter le moindre mouvement, Geon s’arrête et le fixe. « Geon… » qu’il souffle, las, fatigué. La possibilité que Geon ait assez de perspicacité pour le réaliser le surprend, elle n’a jamais été une variable de ses plans. Il le laisse parler, les rouages de son cerveau en marche, prêt à contrer cette indésirable lucide-ivresse. Il n’aime pas les imprévus, ça ne le force qu’à détester davantage Geon. Ce dernier avait un rôle dans cette pièce de théâtre et Huan ne supporte pas voir ses marionnettes tenter de s’offrir une conscience propre. Leurs souffles s’emmêlent presque, celui de Geon est empli d’alcool tandis que le sien est un mélange de menthe et de tabac froid. « Je pourrais te laisser te tuer pour prouver que je tiens à toi, mais alors tu ne seras plus là pour le voir. » soupire-t-il alors que sa main quitte le dos du jeune homme pour venir se loger sur l’arrondi de sa joue. Geon a les yeux fermés mais il se pense si clairvoyant. Il le hait. « Tu ne comprends vraiment pas ? » Il penche le visage vers lui, sait que chaque souffle qui s’extirpe de ses lèvres s’échoue encore plus proche contre le visage du cadet.

Les mots tremblent dans son gosier, simulation parfaite de tristesse, d’hésitation et de résignation à la fois. Prêt à confesser ce qui aurait dû tarder, mais les doutes de Geon l’accule à un mur contre lequel il n’est pas prêt à abandonner. « Je veux t’éloigner d’elle, mais ce n’est pas pour les raisons que tu penses. » Il caresse sa joue de la pulpe de son doigt ; geste qu’il exècre. « You can’t imagine how much i care about you. » sa voix se fait plus basse, plus intime, pour ces faux secrets que sa langue délie. « Je ne suis pas elle…Et je ne devrais même espérer pouvoir la remplacer, un jour… » Il s’écarte, body language maîtrisé pour simuler la timidité et la gêne, son regard est fuyard, ses bras croisés contre son corps dans un geste défensif alors qu’il offre à Geon cette confession d’amour interdit d’un frère.