KARMA SUCKS

Ielle a le cœur qui se serre. presque dégoutée par la lourde odeur de désinfectant qui s’accroche à ses cheveux. résidu olfactif d’une matinée passée à l’hôpital. et malgré son parfum l’odeur s’obstine. rentre vicieusement dans ses narines. même lorsqu’elle est dans le métro. lui rappelant sournoisement les résultats d’analyse d’ilhoon. elle aurait préféré ne pas les voir. ne pas savoir. vilaine curiosité qui l’avait poussé à jeter un œil au dossier du garçon. et elle avait vu. rien ne va pour l’enfant qu’elle souhaite protéger. soupire. elle ne peut rien dire. se promet de rester muette aujourd’hui. d’attendre le prochain rendez-vous médical. que ce soit un médecin qui s’occupe de lui annoncer. de ne pas outrepasser plus de règles avec ilhoon. aussi parce que rio ne veut pas avoir à le faire. lui dire la vérité. ça va pas ilhoon. tu ne vas pas bien. elle se mord les doigts à cause de son égoïsme. mais c’est trop compliqué. quelle idée aussi. regarder les résultats – que seul un miracle aurait pu rendre positif, alors qu’ils se sont donné rendez-vous. ah. comme elle s’en veut. se blâme de tous les mots. soupire encore en faisant tomber sa tête en avant. infirmière n’est pas un métier pour elle. elle aurait du reprendre son ancien job alimentaire de serveuse. incapable de supporter la charge émotionnelle qu’implique sa situation actuelle. revenue à la surface de la terre, elle plaque vivement ses deux mains sur ses joues. courage. si tu ne le fais pas pour toi. fais le pour ilhoon. à la recherche de cette énergie solaire qui l’anime. pour que le mensonge soit parfait. et faire disparaitre les derniers nuages noirs qui pèsent sur sa conscience. s’arme d’un sourire discret. s’obstinant à ne penser qu’au jeune homme délicat qui l’attend. à cet ami avec qui passer un peu de temps. ça passe un temps. elle marche d’un pas plus ou moins assuré jusqu’à la résidence où ils doivent se rejoindre. mais lorsqu’elle le voit au loin en train de l’attendre son cœur se sert de nouveau. les genoux flageolants elle prend une pause. tu as promis rio. pour ilhoon. « hello. » dit-elle d’une voix guillerette malgré tout ce qui lui pèse. « bonne journée ? » elle stresse. regrette déjà.

Il a le cœur serré. Au bord des lèvres aussi. Et ses doigts tremblent tandis qu’il range ses cachets dans les boites prévues à cet effet. Et il tente de ne pas pleurer face aux derniers résultats. Le docteur veut qu’il revienne et vite à l’hôpital. C’est alarmant. Il ne peut pas juste ne rien faire. Mais une dialyse ça effraie. Ça l’effraie. Et il ne sait même pas s’il a de quoi payer. Il ne sait pas. Plus. Et c’est difficile de garder le secret. Difficile de sourire. Le plus dur c’est quand il est au studio. Seul face à ces grands miroirs. Seul face à son corps qui l’abandonne et son rêve qui se fait de plus en plus lointain. Ilhoon étoile montante du ballet il y a quoi, deux, trois ans. Trois ans. Et maintenant une étoile oubliée, il a cessé de briller. Il a même été contre les interdictions. Si peu raisonnable. S’est lancé sur les planches pour intégrer le ballet national. Mais son corps n’a pas suivi et il a fini à l’hôpital. Encore. Dans le plus grand des silences cette fois-ci. Une nuit sous surveillance avant d’être relâché. Et lorsqu’il était rentré chez lui, il avait du rassurer Yuna, lui assurer qu’avec le stress des auditions il avait voulu relâcher tout ça, il s’était endormi au studio. Trois jours plus tard c’était une réponse du ballet national. Un échec sans surprise. Un échec écrit noir sur blanc. Et derrière l’inquiétude dans les yeux du jury, dans les yeux du personnel médical. L’idée qu’il ne passera pas l’année à ce rythme. Deux crises en l’espace de deux mois, c’est trop. Trop. Corps défaillant. Mais le sourire qui reste. Il ne veut pas inquiéter. Corps défaillant et les pilules qu’il avale dans le secret de sa chambre. Baiser sur la joue de Yuna, il va aller travailler au café comme d’habitude. Et pourtant lorsqu’il referme la porte derrière lui c’est les remords qui serrent son cœur, tout autant que la maladie. Mais il ne veut pas l’accabler non. Les heures passent/ Service court. Son médecin lui a conseillé d’arrêter de travailler, de prendre moins d’heure, mais comment payer les consultations, les médicaments … La dialyse qui s’annonce ? Comment. Les comptes sont refaits tous les jours, il n’a pas de quoi se payer les traitements. Pas de quoi empêcher son corps de lâcher. « Rio Noona. » Regard qui s’illumine. Elle fait partie de son quotidien. Une des infirmières qui restent avec lui lorsqu’il fait ses bilans, lorsqu’il arpente les couloirs de l’hôpital. Soutien auguste de son monde qui dépérit. « On fait aller. J’ai travaillé aujourd’hui. Il n’y avait pas trop de monde donc ça va ! Et toi ? » Il garde le sourire Ilhoon. Fait comme si de rien n’était. Comme s’il n’y avait pas son diabète au milieu, ses reins défaillants, son corps de plus en plus faible. Il sourit. Veut juste profiter de chaque instant. Juste encore un peu. C’est tout.

son nom sonne comme une punition dans la bouche d’ilhoon. elle s’en veut tellement. se déteste d’en savoir tant et de ne pouvoir rien dire. d’être en si bonne santé quand d’autres souffrent. émue et à la fois meurtrie par l’allégresse du jeune homme. c’est lui qui va mal mais s’est elle qui se sent comme au bord du gouffre. pourtant elle ne peut s’empêcher de lui rendre son sourire. se répète autant de fois qu’il le faudra la promesse qu’elle s’est faite. ne rien laisser paraitre. garder ses inquiétudes sournoises pour plus tard. pour quand il ne sera plus devant elle. c’est son devoir. en tant qu’aînée, en tant qu’infirmière. elle se charge de trop de maux pour le bien des autres. elle sourit encore. « n’en fais pas trop d’accord. » s’il te plait. alors qu’elle ne connait que trop bien la situation d’ilhoon. l’argent qui manque et les examens médicaux qui pleuvent. elle voudrait tant l’aider mais pour l’un comme pour l’autre elle ne peut rien faire. elle n’est qu’une infirmière et c’est mia qui paie pour la plus part de ses dépenses. « je vais bien. le printemps arrive enfin c’est si agréable. » elle ment si mal et pourtant tous sont dupes. elle n’aime pourtant pas mentir mais tout est plus simple quand on va bien. surtout quand en face l’autre vie un vrai malheur. elle finit par s’assoir à une table libre. « tu me prépares un ice americano ? je meurs de soif. » sourit toujours. elle s’en veut de n’arriver à penser à rien d’autre que les résultats du garçon aujourd’hui. une obsession qui l’empêche de le voir correctement. au final s’est elle qui a besoin de se changer les idées. d’oublier. et rio se trouve odieuse. égoïste. de ne penser qu’à ça. pour ne pas penser à ses problèmes à elle.

Noona. L’appellation tendre, et le regard qui pétille en la voyant. L’appellation tendre et le sourire qui se pose sur ses lèvres naturellement. Ce n’est pas un masque. Non parce qu’elle sait. Connaît. Elle voit les lueurs tristes dans ses yeux, et l’éclat de ses sourires qui n’atteint plus ses yeux. Elle sait qu’il est en galère, qu’il ne sait pas comment joindre les deux bouts. Qu’il ne sait pas comment dire à ses parents qu’il va sans doute mourir. Ilhoon qui ne sait plus vraiment comment faire semblant avec son frère, le secret lourd à garder pour ne pas inquiéter le plus âgé. Qui ne sait plus comment juste profiter de la présence de Yuna à ses côtés sans culpabiliser parce qu’il risque de la perdre et qu’il ne veut pas qu’elle compte les jours comme lui le fait. Alors il prend sur lui Ilhoon. Simplement. Il sourit et essaye de profiter. De chaque petite chose. De chaque minute. De chaque jour. Alors le sourire n’est pas faux. Il a perdu sa candeur Ilhoon, la maladie lui a retiré son innocence, mais pas son optimisme. Jamais son optimisme. « Promis je fais attention à moi ! Puis c’est assez calme ces temps-ci ! On me laisse même faire mes devoirs et avoir des jus de fruit à volonté ! J’aime vraiment ce café. » Il ne veut pas arrêter. Il ne veut pas. Il ne peut pas. Le regard qui se pose sur l’endroit avant de finir sur les fenêtres qui dévoilent un monde rosé, les cerisiers ont fleuri. Doucement les fleurs ont commencé à éclore et les températures se font douces. Oui c’est agréable. « Je ne suis plus en service tu sais ? » Moue légère, mais voilà qu’il se lève Ilhoon, le sourire qui revient se poser sur ses lèvres. « Mais je peux te faire ça ! Cadeau de la maison. » Passant derrière le comptoir un instant, clin d’œil à son collègue il active la machine pour préparer la boisson avec soin avant de revenir, faisant glisser le verre sur la table, juste devant elle. « Tu n’as pas l’air bien Noona, quelque chose te tracasse ? » Les sourcils froncés il y a une de ses mains qui vient se poser hésitante sur la joue de la plus âgée, cherchant à voir ce qui peut donc agiter Rio ainsi.

Elle le regard s’agiter avec tendresse. Un sourire léger sur les lèvres. Mais malgré tout ça elle ne peut s’empêcher de voir le temps qui fait défaut à ce tout jeune homme. La vie est tellement injuste. Et Rio voudrait lui faire don d’un peu de son temps. Pour qu’ilhoon ait lui aussi droit de profiter de son existence. Qu’il puisse jouir lui aussi des belles années qui devraient l’attendre. Mais son état de santé est bien trop incertain et c’est surement ça le pire. Ne pas savoir. Ne pas pouvoir donner de chiffre exact. Un flou artistique aussi réconfortant que nocif. Rio s’en veut de ne pas arriver à penser à autre chose que les vilains résultats du dernier exam du garçon. Elle voudrait oublier pour qu’ils puissent passer du bon temps ensemble. Sans que son esprit soit accaparé par la culpabilité et l’inquiétude. Même si sa candeur la fait sourire. Mais elle a trop peur que ilhoon perde un peu de cette fraicheur en apprenant les résultats désastreux de son examen médical. « oh je suis désolée je n’ai pas fait attention. » la tête ailleurs. Trop occupée à se morfondre. La jeune femme rentre son cou dans ses épaules en faisant une moue coupable. Ça non plus elle n’aime pas, profiter des autres. Et c’est l’impression qu’elle a. Alors que ce n’est qu’un café et qu’il lui offre de bon cœur. Trop bonne pour son propre bien. Trop bête aussi. « merci. » un murmure en prenant du bout des doigts le verre qu’il lui apporte. Elle ferme les yeux pour mieux apprécier les premières gorgées. Il fait si chaud et elle est si fatiguée. « ça fait du bien, merci. » elle repose le verre sur la table. Rio aurait préféré qu’il ne pose pas de questions. Elle sourit comme elle peut Rio et tant de mal à soutenir le regard inquiet du garçon. Ce qui me tracasse c’est ta santé qui t’échappe. Mais elle ne peut se résoudre à lui dire et préfère ravaler son amertume. « ce n’est rien, je suis juste fatiguée. la matinée a été longue. » elle pose sa main sur celle d’ilhoon pour donner plus de réalisme à sa réponse. Oui c’est ça. Juste la fatigue. Ne penses pas à moi.

Les jours qu’ils comptent. Encore et encore. Comme les factures. Comme les honoraires. Comme le prix des traitements. Il compte tout. L’espoir de trouver quelque chose. Un chiffre qui lui aurait échappé. La solution. Il compte aussi ses mensonges Ilhoon. Ses omissions. Le nombre de fois où il a changé de sujet. Parce qu’il ne sait pas comment avouer la vérité. Il ne sait pas comment dire tout ça à son entourage. Débrouillard Ilhoon. Indépendant. Optimiste. Et il dit à tout va que ça va aller. Parce que c’est la seule option envisageable. Que ça aille. Il se dessine un futur ou tout va mieux. Et grâce à ça il peut avancer. Heureusement il n’est pas seul. Et ça fait du bien. D’avoir quelqu’un qui sait. Quelqu’un qui est là pour lui, sans qu’il n’ait à mentir. À édulcorer la vérité, à la rendre plus belle. Et c’est un peu plus facile de sourire. D’espérer. C’est un peu plus facile oui. Moue boudeuse, la fausse impression que ça le gêne de faire la boisson de l’infirmière et pourtant il rayonne toujours autant. Moins qu’avant, l’enfant solaire devenu lunaire, il s’active de vie et va lui préparer son café, des bonjours aux clients réguliers et son collègue qui le chasse presque de derrière le comptoir, parce que ‘vraiment Ilhoonie, tu as fini, ouste.’ La boisson déposée devant elle, il s’inquiète pourtant. De ses traits soucieux, de sa mine fatiguée. Il s’inquiète. Jusqu’à oser le contact, sa main posée délicatement sur la joue de la jeune femme. « Hm, tu devrais faire la sieste alors ! » Les sourcils qui restent froncés d’inquiétude, et sa main qui finit par s’enlever en douceur. « Je sais que je ne suis qu’un patient … Mais le sommeil c’est important ! C’est même toi qui me l’as dit Noona ! » Sourire tendre, l’esprit qui repart vers l’hôpital et le nombre de fois où Rio est resté à ses côtés. Le nombre de fois où elle lui a tenu la main, parce qu’il avait peur. Tellement peur. De ce qui l’attend. Des résultats. De mourir. « Il faut que je passe à l’hôpital dans la semaine … Ils ont mes résultats … » L’air sérieux qui se transforme en sourire, le but évident de rassurer. « Mais je vais mieux ! Je le sens, j’en suis sûr ! »