Kim Jiwon | the biggest liar in the world is : "they say"

Papa, c'était le charisme. L'allure élégante et le sourire rassurant. C'était le calme, la douceur, la tendresse. L'affection dans le regard, le respect mais la justesse dans les mots. C'était ces épaules larges, rassurantes, protectrice. Cette force de la nature, absolument posée, jamais énervée. C'était ce policier, doué dans son métier, respecté par ses collègues. Papa, c'était l'homme le plus apprécié du commissariat. C'était celui vers qui les gens allaient directement quand quelque chose n'allait pas. Il prenait le temps de les écouter. Toujours. Et même si parfois cela pouvait prendre des heures jusqu'à ce qu'une victime ose prendre la parole pour déposer plainte, il attendait. Patiemment. Sagement. Il ne brusquait jamais. Il restait silencieux, libérant parfois sa voix sereine pour rassurer et détendre l'atmosphère. Pour plonger la personne face à lui dans une ambiance qui laisserait place à la confession. Mais il était aussi la dureté face aux criminels. Son visage généralement plutôt agréable devenait plus dur lorsqu'il se retrouvait face à quelqu'un qui faisait volontairement le mal autour de lui. Il punissait, il faisait respecter la loi. Il enfermait les méchants. Il libérait la ville de cette pollution, de cette peste qui se répandait dans les rues. Il rendait les ruelles sombres plus sûres. Il rendait le monde un peu plus beau.
Papa, c'était le gars connu dans le quartier où ils habitaient. C'était le bon voisin. Celui qui venait aider sans qu'on lui demande. Il était admiré. Tout le monde discutait avec lui. Il était souriant, drôle, attachant. Il avait toujours le mot pour rire. Il était généreux, et altruiste. Il pensait aux autres avant de penser à lui.
Papa, c'était un héros, d'après les autres enfants de sa classe. C'était un justicier. Un super-héros qui n'avait pas besoin de cap pour faire le bien. C'était ce type qui faisait tourner le visage des gosses vers lui, les faisant rêver, les laissant dire qu'ils voulaient tous être comme lui plus tard.
Papa, c'était cet homme-là. Cet homme charmant qui faisait toujours rougir les femmes à qui il parlait. Cet homme qui menait sa petite barque tranquillement, et qui la menait bien.

Maman, c'était autre chose. Maman, c'était une petite droguée. Ancienne droguée. Elle avait eu des soucis, plus jeune. Beaucoup de soucis. Elle n'avait pas grandi dans la bonne famille, ni dans le bon milieu. Ses parents ne s'étaient jamais occupés d'elle, et elle avait dû se débrouiller seule dans une société qui ne voulait pas l'aider. Maman connaissait le poste de police, parce qu'elle y avait souvent été, avant. Elle avait eu beaucoup de problèmes avec la justice, mais surtout avec la drogue. Elle vendait, d'abord, avant de passer de l'autre côté et de consommer. Elle voulait assommer la douleur de ne pas s'en sortir avec cette poudre blanche, et elle avait réussi. Jusqu'à ce qu'elle fasse un peu de prison. Maman, c'était cette femme issue d'une famille de pauvres. Celle qui n'avait pas fini ses études et qui n'avait pas essayé de reprendre. C'était celle qu'on ne voyait pas beaucoup. Celle que l'on saluait plus par politesse que par réelle envie. Parce qu'elle était bizarre, cette femme. Elle était discrète, mais discrète dans le sens louche. Elle regardait toujours les autres étrangement, le regard pointé vers eux dans une moue perplexe et suspicieuse. C'était cette femme qui répondait vaguement qu'on lui parlait et qui partait dès qu'on essayait de tenir une conversation normale. Maman, c'était cette femme qui tournait le dos, froide d'apparence. C'était la femme au visage un peu pâle, et aux mains tremblantes. C'était celle que l'on soupçonnait d'avoir replongé alors qu'elle s'en était sortie. C'était celle que l'on ne voulait pas voir, à force. Celle à qui l'on ne voulait plus parler. Celle à qui on avait tourné le dos avant qu'elle ne le fasse.
Maman, c'était la femme qui devait tout à son mari. Il avait tout fait pour elle. Il l'avait sortie de sa misère, il l'avait aidée. Elle était allée dans un centre spécialisé, grâce à lui. Elle avait réussi, grâce à tout l'amour qu'il lui portait. Maman, c'était que les autres femmes jalousaient parfois. Parce qu'elle avait un mari exceptionnel. Un mari parfait, toujours là pour elle. Elle pouvait compter sur lui. Maman, c'était celle que l'on considérait comme ingrate, parfois. Elle ne donnait pas l'impression d'être d'une grande aide à la maison. Elle ne savait pas s'occuper du jardin, c'était toujours son mari qui le faisait, alors qu'il devait être épuisé à cause du travail. Elle ne cuisinait pas beaucoup Maman. Elle avait failli mettre le feu à la cuisine, une fois, et depuis c'était Papa qui le faisait.
Maman, c'était la femme qui ne travaillait pas. Celle que l'on jugeait. Celle dont on disait qu'elle ne faisait que profiter de la gentillesse de cet homme absolument adorable. Cet homme qui avait tout fait pour elle et qui faisait encore tout aujourd'hui.
C'était comme ça qu'on voyait Maman. Dans le quartier. Dans la ville. Maman, cette femme mystérieuse, distante. On disait qu'elle était bizarre, qu'elle ne parlait pas beaucoup, qu'elle semblait toujours prête à fuir. Maman, c'était cette femme-là, celle sur qui on adorait raconter des ragots et qu'on adorait descendre gratuitement.

Mais si Maman était comme ça, c'était parce que Papa le lui avait dit. Il lui disait tout le temps de se taire, de ne pas parler aux autres. Il lui répétait constamment qu'il devait être le seul à qui elle adressait la parole, à qui elle répondait. Il lui susurrait tout le temps, qu'elle lui devait tout, et que c'était pour ça qu'elle devait obéir à tout ce qu'il disait. Et elle obéissait, Maman. Parce qu'elle avait peur. Tous les jours, elle tremblait. Pas à cause de la drogue, comme certain.e.s pourraient dire, mais parce qu'elle était terrifiée de quitter son lit. Elle ne parlait peu parce qu'elle craignait que sa voix la trahisse. Elle fuyait parce qu'elle avait peur qu'on ne la juge pour ce qu'elle n'était pas, même si on le faisait derrière son dos.
Jiwon savait mieux que les autres. Il savait que Maman était meilleure que Papa. Il savait que Papa n'était pas comme on le décrivait. En vrai, il était tout l'inverse : arrogant, bourru, têtu, hypocrite, méchant, violent. C'était une brute, Papa. Avec Maman, et même avec lui.

Il avait toujours connu Papa comme ça. Comme un tortionnaire. Un homme agressif qui ne s'inquiétait pour personne d'autre que lui. Il profitait. Il ne donnait jamais rien. A part des coups, ou des insultes. Maman avait peur. Et lui aussi. Maman était toujours là pour panser ses plaies une fois que Papa partait. Elle le calmait, elle le berçait. Maman, c'était la meilleure, peu importait les choses que l'on racontait en dehors de la maison. Personne ne savait à quel point elle était merveilleuse, Maman. Elle le serrait toujours contre elle quand Papa rentrait du travail. Ils essayaient toujours de se rassurer par la présence de l'autre, de se soutenir, de se protéger. Il pansait les plaies de Maman, parfois. Il pleurait toujours en le faisant. Et Maman s'excusait à chaque fois.

Il avait fini à l'hôpital, un jour, à cause de Papa. Il avait essayé de riposter. Pour que Maman n'ait plus mal. Mais Papa avait trop de force et il avait terminé le petit combat au sol, des gémissements de douleur quittant sa bouche. Il lui avait cassé des côtes, ce jour-là. Et il aurait pu le tuer sur place si Maman ne s'était pas interposée. Il ne vivait plus dans la peur après, mais dans la terreur. Il avait peur de sortir de sa chambre. Il avait peur de parler, de bouger, de respirer. Il restait toujours à côté d'elle, parce qu'elle le rassurait. Il n'osait plus rien dire, plus rien demander. Il restait muet.

Les bleus s'accumulaient sur leurs peaux, et un soir, après avoir vu son fils se faire battre pour la énième fois, elle décida que cela devait finir. Quand la maison fut plongée dans le silence, deux coups de feu résonnèrent bruyamment dans l'habitacle, et dans le reste du quartier.
Maman venait de tuer Papa. Elle lui susurra, cette nuit-là, que tout était fini. Qu'il serait en sécurité maintenant, que Papa ne lui ferait plus jamais de mal. Elle lui répéta, cette nuit-là, à quel point elle l'aimait, à quel point elle était désolée.
Maman fut emmenée en prison quelques jours plus tard.
Elle avait tué son mari, l'ingrate. Elle avait tué son mari, lui qui lui avait tant donné, qui l'avait sauvée, elle l'avait tué. Criminelle. Elle avait tué son mari, la garce, alors qu'elle lui devait tout... C'était ce qu'on raconta à partir du lendemain. Et Jiwon était le seul à savoir que c'était faux. Il était le seul à dire que Maman l'avait sauvé, même si personne le croyait. Parce que tout le monde s'arrêtait aux images que ses parents renvoyaient. Parce que tout le monde s'arrêtait toujours aux apparences. Parce que personne ne s’inquiétait de savoir ce qu'il se passait une fois que la porte du voisin était fermée.
Parce que tout le monde répétait que les apparences étaient trompeuses, mais que personne ne suivait réellement ce proverbe, s'accrochant malgré tout aux images que chaque individu véhiculait.