give me the night + huifan

tonne chaque seconde au rythme insatiable de la trotteuse. le temps s’écoule à reculons, et depuis sa cage dorée l’oiseau prisonnier se meurt à petit feu, regrette en silence la folie des grandeurs qu’il ne cessait d’exhaler il y a quelques semaines encore. la vie est si douce entre ces murs tapissés de fastes… pourtant arawn a le cœur lourd et les poings serrés. blind donne ce soir le premier concert auquel il ne prendra pas part, et cloîtré dans sa chambre il lui semble devenir fou. fou de ces notes qui lui reviennent de droit, fou de cet anonymat qu’il hait avec ses tripes, fou de ce scandale qui l’enchaîne aux abysses. ce séjour à séoul a le goût d’une captivité injuste. il devrait être loin, au-devant de la scène, mais il ronge son frein entre quatre murs, liberté conditionnelle qu’il se refuse à supporter plus longtemps. qu’à cela ne tienne : si blind se passe aujourd’hui de sa guitare et de sa voix, rien ne l’empêchera de se livrer corps et âme à la seule amante et maîtresse de ses ardeurs : la musique.

« putain d’enculé de connard de mon cul sa race. va te faire foutre. »

c’est d’un geste rageur qu’il empoigne le manche d’hiraeth, sa bonne vieille fender, et qu’il envoie valser la porte de l’appartement. son contrat ne stipule nulle part que personne ne doit l’entendre, et arawn se donne à cœur joie de défier les interdits de son manager. oh, il ne se produit pas pas en public, non… c’est à la cave d’athéna qu’il descend, repaire qui le ramène, à ses néons et ses recoins intimistes, à son comptoir lourd de verres et ses canapés de cuir brut, aux premiers lieux où il libéra sa jeunesse fauve. une odeur familière chatouille sa mémoire ; l’alcool, les rires qui percent le brouhaha incessant, les fumées artificielles et l’ambiance si particulière des bars tokyoïtes qu’il animait lorsque yu échappait à la surveillance de ses vieux cons.

quelques mots adressés au barman suffisent à lui dénicher un micro, une scène de fortune au-delà des billards. au milieu des résidents, le jeune homme retrouve les palpitations de son enfance, l’appréhension des premiers concerts, presque privés, où il prenait encore la peine de se présenter.

raclement de gorge.

« bonsoir… je crois pas qu’on pousse souvent la chansonnette ici, alors j’espère que mon initiative motivera les musicos d’entre vous. »

et c’est drôle, la façon dont sa voix résonne dans la cave. c’est chaleureux, intrigant, pas franchement professionnel, mais quelque part ça lui plaît d’autant plus. alors les notes s’élèvent, frêles et authentiques, s’échouent contre les murs et reviennent en puissance, jusqu’à ce que la voix s’en mêle. petite revanche au goût d’interdit.

Il ne devrait pas se trouver là, assis au bar d’un lieu découvert par hasard, un soir, au bras d’une jeune femme dont le nom lui échappe. Un effort sur sa tenue et on ne questionne guère ses droits, mais il ne se mêle toujours pas. caractère solitaire, seul un sourire flotte sur ses lèvres en sirotant son cocktail et il laisse ses tracas quotidiens de côté, le temps d’une soirée. Il observe le coin billard avec un léger intérêt, s’arrête sur une jolie cruche qui n’en connaît pas les règles, mais se dandine devant ce qu’il espère être ses amis, pour son salut. Mais personne n’attise sa curiosité au point d’lui décoller les fesses du tabouret, jusqu’à ce qu’une voix au micro ne lui fasse tourner les yeux. Aussitôt tout disparaît, le brouhaha n’a plus d’intérêt pour lui. les notes rebondissent contre les murs et l’isolation n’est pas terrible, mais la prestance de l’artiste le captive et son talent le retourne. Pour ce qu’il juge être un amateur, il a plutôt le charisme d’un pro’ et huifan se surprend à le trouver beau. Au-delà des critères physiques. Il décroche pourtant le regard avant la fin, patient, de simples mots échangés avec le barman quand celui-ci répond à ses signes. Et quelques minutes plus tard, il entend cette même voix près de lui. il faut dire que les tabourets libres se disputent. quelque soit la commande du jeune homme, le barman l’informe qu’elle a déjà été payée et huifan suppose, que c’est le moment de se montrer. « audacieux, » son regard étincelle d’une intention mal cachée et son sourire double la mise, « amateur ? » il s’est déjà tourné vers lui, rapprochant son verre au sien pour mieux envahir son espace personnel, mais au moindre signe contraire, il est tout aussi prêt à s’éloigner. Il avait envie de compagnie ce soir, n’est sorti que pour en trouver, discuter ou profiter, il ne cherchait qu’un peu d’intellectualité. Qu’un peu d’intérêt et cet artiste lui en donne bien assez. il a l’air moins vide que les autres. Moins ennuyeux dirait-il, plutôt. « huifan, ravi d’avoir été là ce soir. » dit-il pour se présenter, le verre levé en guise de signe poli. « un peu plus et je partais, ça aurait été dommage. » le sous-entendu à peine dissimulé, il n’est pas tellement le type à faire des ronds de jambes. Pas au sens figuré, disons.

les notes s’éteignent comme les cendres brûlantes d’un feu assoupi, et avec elles pourrit la satiété d’arawn. de cette injustice qu’il endure depuis près de six semaines, de cette passion qu’on lui dérobe et de cette impossibilité de clamer son innocence, l’envie de hurler lui prend aux tripes. c’est l’âme encore bouffée de rage qu’il cède sa place pour s’accouder au bar ; un verre ne serait pas de trop pour atténuer la peine qui s’insinue, sournoise et aiguë, jusque dans son regard charbon. la nostalgie de ses premiers concerts s’est vite perdue dans la frustration qu’il ne contient plus qu’à grand mal.

c’est dans sa barbe qu’il commande un whisky, sans vraiment saisir pourquoi on lui refuse de payer jusqu’à ce qu’une voix le surprenne et qu’il se retourne. haussement de sourcil, et il détaille d’un œil critique le minois qui s’approche, tous crocs dehors, pour envoyer valser ses préoccupations. il a le sourire qui en dit long sur ses intentions, le regard aventurier et la posture de ceux qui n’ont pas pour habitude de reculer. ça a le mérite de le dérider, arawn, parce qu’il comprend tout de suite de quoi il retourne, et le rictus qui fleurit au coin de ses lippes est une première victoire sur cette soirée désastreuse. « j’ai l’air d’un amateur ? » prétention grotesque, mais qu’importe ? il a les nerfs bien trop à vif pour s’embarrasser de politesses. pourtant, il hoche la tête en guise de remerciement avant de porter le verre à ses lèvres. « enchanté, huifan. pour ma part j’aurais préféré être ailleurs. »

l’alcool échauffe doucement sa gorge, et les yeux gardés clos un instant il savoure le semblant de quiétude qui l’envahit. ah, le whisky, ce vieil ami qui jamais ne lui fait faux-bond… « ravi d’avoir su retenir votre — ton attention. » d’un doigt, il désigne la scène déserte de tout successeur, et un sourire désormais sincère éclaire ses traits. « à ton tour. épate-moi. » sursaut de témérité ; il se penche pour emprunter au curieux inconnu son ton équivoque et susurrer à son oreille : « si ça peut te motiver, je suis un généreux mécène. »

tant à son charisme qu’à la confiance qu’il a eu sur scène, le chanteur lui a l’air d’un pro et huifan ne peut que sourire face à sa remarque, comme s’il s’était vexé. « j’ai l’air de savoir ? » lui répond-il en haussant les épaules, nonchalant. le temps des présentations, le prétendu non amateur lui confie préférer être ailleurs et il ne peut qu’acquiescer. « mauvaise soirée ? » lui aussi aurait préféré être ailleurs, dans un sens. la confiance dans les veines ce soir, pourtant lâche auprès d’un autre. c’est peut-être pour ça qu’il boit seul. confiant, mais tout de même cette nervosité sourde qui le presse de fuir lorsqu’on l’invite à prendre le relais, sur scène. ses yeux s’agrandissent un instant, son rire se fait timide et il secoue légèrement la tête. « pourquoi tu penses que … ? » est-ce juste du défi qu’il décèle dans les yeux sombres de son vis-à-vis ? une confidence murmurée à l’oreille et huifan hausse un sourcil, à moitié impressionné, mais deux fois plus curieux. quelle étrange rencontre, revigorante. il se penche à son tour vers lui. « très bien, mais tu me devras un verre après ça. » il finit les derniers centilitres de sa vodka diluée et rejoint la scène, non sans avoir emprunté le bel instrument du mystérieux chanteur. dire qu’il n’aime pas attirer l’attention sur lui est un euphémisme ; il n’y est surtout pas habitué et ne l’a jamais cherché, pas de cette manière disons. il s’éclaircit la gorge et se familiarise quelques secondes avec l’instrument avant de jouer les premières notes. c’est une chanson en anglais (♪) et sa prononciation laisse parfois à désirer, mais il fait fi du monde et s’enferme dans sa bulle assez longtemps pour ne pas déraper. on sent qu’il n’est pas super à l’aise malgré tout, les mains et la voix tremblantes, mais il termine avant de pouvoir paniquer. en partant de la scène, il s’excuse auprès d’une fille voulant s’incruster avec eux et rejoint rapidement sa place au bar, aussi vite que s’il avait eu les flics aux trousses. « oh god… » il a besoin d’un remontant. « est-ce que j’ai le droit de connaître ton nom, maintenant ? t'es célèbre ou un truc comme ça ? » il n'a pas perdu le nord, toujours aussi charmeur, mais l’embarras est déjà plus présent – à moins que ce ne soit l’exaltation après avoir joué devant plus d’une personne ? il a dû se gourer plusieurs fois, mais ça ne l’empêche pas de sourire au blond avec la même assurance.