goodness feat. hwansuk

Ça gronde. Ça gronde dans la poitrine, tape fort jusqu'à lui en rappeler le mélange des difficultés traversées. Les nuances sacrées des jours compliqués ; de ceux qui ne s'évaporent que petit à petit, lentement sans parfois ne jamais cesser d'exister au fond. Hyunmin ne se rend plus compte du temps qui passe. Les jours s'épuisent dans la longueur éternelle du soleil qui ne laisse plus la lune la remplacer, l'espace d'une minute. La fatigue prend les devants, le téléphone dans la main – toujours à attendre un appel qui ne vient jamais, ou de ceux auxquels il ne répond pas ; trop conscient de la réalité. Détresse.

Les vagues pittoresques enveloppent l'âme de l'homme d'une nostalgie imparfaite - aux sourires mélancoliques. Les jambes marchent machinalement jusqu'à l'entrée des résidences pauvres en couleurs, elles aussi vides d'expressions gaies et joyeuses, qui autrefois sûrement, s'échappaient dans un monde plus beau.

Fatalité merdique.
« Oh ! » Qu'il pense, qu'il dit, s’exclame. Son regard percute celle d'une bouille attendrissante croisé par le passé ; les yeux creusés par des cernes similaires aux siennes. À ce moment-là déjà ses lèvres s'étirent dans un sourire délicat – d'un changement sombre jusqu'à y laisser apparaître un lumineux visage qu'on lui connaît.

Hwansuk s’étire en soupirant, il n’est pas tôt, il s’est levé tard. Il revenu au milieu de la nuit, après son service au bar. Il y avait eu foule, comme à chaque fois pendant le week end, les étudiants se pressent pour boire et pour oublier - Hwan ne juge pas, il est pareil, lorsqu’il le peut, même s’il préfère faire cela tranquillement, chez lui, avec une palette de substances illicites qu’il se fournit lui-même. Il attrappe un pull et son paquet de cigarettes, abandonne son lit aux draps défaits dans lequel il a cauchemardé, encore, sans s’en soucier, par habitude. Il se traîne plus qu’il ne marche jusqu’au dehors, son corps comme un fardeau qu’il porte malgré lui, ce n’est pas faute d’essayer d’en réduire le poids - enfin, il ne le fait pas exprès en soi, mais il maigrit, et ce malgré les soins de Kai qui continue à lui apporter des plats quand il le peut. Hwan sourit un peu en pensant à Kai. C’est bien la seule personne à qui penser lui procure un peu de plaisir, un peu de baume pour son coeur meurtri. Hwansuk soupire encore, sort dehors, frissonne en s’arrêtant sur le perron pour allumer sa cigarette.

Il a oublié le briquet.

Levant les yeux au ciel, il retourne le chercher, puis ressort aussitôt, et cette fois s’adosse à la rambarde juste devant la porte. Il regarde le quartier sans vraiment le voir, les yeux dans le vague, l’esprit ailleurs. Il est midi passé, et à la lumière du jour, même la Ruby Residency ne fait pas aussi lugubre qu’on prétend qu’elle l’est. Et Hwan aura beau dire, une part de lui aime son quartier. Il tire une latte sur sa cigarette, puis tourne la tête, juste pour croiser le regard d’une tête connue, qu’il n’avait pas vu depuis longtemps.

“Hyunmin ?” Hwan en perd presque sa cigarette, il la rattrape au dernier moment, puis la tapotte légèrement sur la rambarde pour en faire tomber la cendre, avant de se retourner vers le nouvel arrivant. “Ca fait… longtemps.” Hwansuk ne sait pas trop quoi dire. Il sort du lit, les cheveux sans doute en bataille, et son pyjama juste caché par ce gros pull qu’il a pris le temps d’enfiler avant de sortir. Il danse d’un pied sur l’autre, mal à l’aise. “Je ne savais pas que tu étais revenu dans le quartier.” Hwansuk n’était plus aussi doué qu’avant pour entamer les conversations.

Il y a plusieurs sortes de souvenirs : ceux que l'on oublie, et ceux que l'on ne peut oublier. Ceux que l'on voudrait oublier, et ceux que l'on ne veut pas oublier. L'inoubliable de la mémoire et des sentiments. L'inépuisable de l'impensable. Tout se meurt sans jamais s'éteindre. Hyun Min le sait, il en est lui-même victime. Des mille images qui l'aident à avancer pas à pas, parfois à reculons plutôt qu'à l'inverse des actions. S'enfonçant dans la dureté de la vie. S'embourbant continuellement à la simple pensée d'une même personne … Et il y a de ces remembrances qui reviennent un jour ou l'autre, à la rencontre d'une même destinée.

Là où le hasard transforme les vies.

Le sourire aux lèvres ne retombe plus que lorsqu'il lui rappel la longueur du temps. Des absences continues sans retenue. Ni sans la moindre nouvelle offerte, ni la beauté d'une dernière accolade au bout des bras. Son cœur palpite brutalement. Et soudainement, il se sent un peu plus idiot qu'il ne l'est déjà, Hyun Min ; qu'il pourrait s'excuser mille fois qu'il ne se le pardonnerait pas. « Oui, ça fait longtemps. » Les mots sont d'une simplicité qui lui ressemble, les yeux pourtant étrangers devant les siens. « C'est récent … Comment vas-tu ? » ose-t-il demander. C'est l'alchimie de cette simple amitié qui lui a manqué. Et tout l'ensemble de ces mots qu'ils se sont autrefois offerts.

Il se sent idiot,
mais heureux.

Hwan ne sait pas trop où se mettre. Il n’a plus l’habitude des conversations banales échangées sur le palier d’une porte, n’a plus l’habitude de la simplicité d’une interaction sociale, n’a plus l’habitude de discuter comme n’importe quel voisin le ferait. Il est mal à l’aise, danse d’un pied sur l’autre, et il joue un peu avec sa cigarette avant de tirer une latte qu’il souffle sur le côté pour ne pas envoyer la fumée dans le visage de Hyunmin. “Euh…” Hwansuk ne sait même pas quoi répondre à cette question : comment vas-tu. Il a envie de dire qu’il va bien et d’y croire, mais ce serait un mensonge, comme il en fait souvent, comme il en fait par habitude en fait, maintenant, alors un de plus, qu’est-ce que ça changerait ? Mais avec Hyunmin, cela paraît différent, parce que Hyunmin l’a connu avant qu’il ne mente, avant qu’il ne se plonge dans cette spirale de tourmente, et Hwansuk s’en souvient, et Hwansuk a envie de lui faire croire qu’il n’a pas changé, ces deux dernières années. Alors il ne ment qu’à moitié.

“Ca peut aller.” Il tire une autre latte de nicotine, presque nerveusement. “Pas grand chose de nouveau dans ma vie.” A part la prostitution, la drogue, le coeur brisé et une vie qui se fout peu à peu en l’air, non, vraiment, pas grand chose. Au moins le pull protège sa peau un peu abîmée de la vue de Hyunmin. “Et toi qu’est-ce que tu deviens ?” Il hésite un peu, toujours un peu incertain sur la conduite à tenir, “Tu étais… à l’armée c’est ça ?” Au service militaire, oui, Hwansuk s’en souvenait, il n’y avait pas vraiment prêté attention, sur le coup, juste un peu étonné, un peu surpris, un peu intrigué.

Désormais qu’il avait reçu son propre avis d’engagement, il en était simplement épouvanté.

Étrange sentiment qu’est celui du passé. Tout n’est qu’éphémère, mais rien n’est laissé au hasard ; Hwansuk n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. De ceux où le malaise enveloppe l’humain, déstabilise les paroles là où les souvenirs remontent à eux, petit à petit. Le comportement change et se transforme au fil des mots, paroles réfléchies en banalités voisines – c’est le renouveau d’une relation, et plus tard, les choses iront mieux, ou son contraire. Rien n’est plus incertain qu’en cet instant où les regards se croisent à nouveau, pour la première fois depuis deux années effacées. Le temps s’est arrêté pour Hyunmin, et cette vie d’autrefois n’est plus celle qu’il a laissée : il le sait. Il ne peut en vouloir à personne, c’était une évidence née à l’instant où ses pieds étaient montées dans le bus, l’armée devant lui.

Un de ses souhaits, d’autres non réalisés.

Le monde a changé autour de lui, une de ces certitudes dont il ne peut que se complaire. Après tout, a-t-il vraiment le choix ? Hyunmin n’arrive plus à saisir le vrai du faux chez les autres ; il ne les connaît plus que partiellement, Heon le premier … Triste réalité. Blessante au possible, en un sens. « J’essaie du mieux que je le peux. » Il n’est pas certain d’aller bien, et ce serait mentir que de dire qu’il est heureux. Ça fait un moment déjà, oui, qu’il n’a pas touché au bonheur, pas même un peu. Les yeux rouges de la veille, la pensée du lendemain gonflé. Mais peut-il vraiment s’en plaindre ? Il n'est que la cause des conséquences. Porte sur son dos, le fardeau de ses actes.

« Oui, c’est ça, l’armée. Deux ans … Ça passe plus vite qu’on ne le pense. » Ou pas. Hyunmin est mitigé. Il ne sait pas si disparaître est plus dure que de revenir, aujourd’hui perdu dans un monde qu’il ne connaît que de nom. « C’est le retour qui est difficile. » On s’y habitue vite à cette vie.