les ciels bleus de nos yeux doux, ft. chaeryeong

Le temps qui file à mille à l’heure tandis que le printemps s’installe. Le temps qui file, vite et loin, et les rouages de sa vie qui s’active. La voilà bloquée entre les murs de l’université pour les examens de fin d’année. Le printemps signe le renouveau mais aussi une année qui s’achève. Elle sait qu’elle continuera Chaeryeong. La douceur de l’université, de ses études en art comme un garde-fou à la vie parfois usante. Elle apprécie d’être encore sur les bancs de l’école, artiste douée à qui on promet un avenir brillant si elle décide un jour d’arrêter de se perdre dans la couture et à être une cosplayeuse reconnue. Mais qu’importe. Les examens sont finis pour ce jour là, et avec d’autres de la promotion, certains visages connus, d’autres moins, ils ont fini dans un bowling. Chaeryeong plus spectatrice qu’autre chose, pas si doué que ça en sport. Pas maladroite, mais pas non plus une experte. Le genre de débutante qui a demandé pour rire au début si elle pouvait avoir les boudins dans les gouttières comme une enfant. Ça a arraché des rires et la blonde a eu une moue boudeuse face au refus de ses amis. Cocktail coloré qu’elle sirote, elle regarde le ballet des joueurs Chaeryeong. Rit quant aux figures, tapote les épaules en soutien. Bonne amie, bonne supportrice mais pas du genre à vouloir s’y tenter. Passe son tour à qui le veut, regarde le score à côté de son nom avec un sourire. Ce n’est pas elle qui aurait fait un pareil chiffre. Elle se perd même un moment à dessiner, palette d’aquarelle toujours dans son sac, elle a oublié un jour de l’enlever puis elle l’a laissée par habitude. Et son rire s’entend quand on essaye de lui prendre, lui disant qu’elle doit s’amuser, mais elle dénie la piste encore une fois, le pinceau en arme. Le calme retombe, le bruit des rires en sourdine dans quelque chose de plaisant, son regard qui se perd sur les débuts de portrait de ses amis qui se créent sous ses doigts. Question à son oreille, la tête qui se relève, sa chevelure blonde qui prend des teintes arc-en-ciel sous les néons, elle rit Chaeryeong, refuse aussi. « Je suis une catastrophe ambulante au bowling … Mieux vaut éviter. » Palette qu’elle referme avec soin et qu’elle laisse sur son carnet, elle tourne toute son attention vers la demoiselle. Pas de ceux qu’elle fréquente. Chaeryeong qui est plus souvent occupé et ailleurs pour lier tous les liens qu’elle aurait voulu à l’université. Pas de ceux qu’elle fréquente, le nom happé pendant les présentations aujourd’hui, la jeune femme qui avait cédé à deux autres étudiants en art pour les rejoindre. Elle ne les connaît pas tous, mais l’ambiance est agréable, bon enfant dans une liberté et insouciance qu’elle apprécie. « Pas mal de nouvelles têtes mais je m’y fais ! Je ne m’ennuie pas non. J’ai pas mal de modèles pour mes prochaines peintures, mais ne leur dis pas, il serait capable de tout me confisquer. » Sa main qui passe dans ses cheveux pour les replacer en arrière, et un sourire qui reste fleuri sur ses lippes. « Sen c’est ça ? Plus envie de jouer ? »

Elle est jolie Sen. Avec ses mimiques, ses sourires, et ses mains qui cherchent à s’emballer. Elle est jolie. Du genre à attirer les regards. Le sien aussi. L’envie de la croquer, de la dessiner sur le vif. L’impression d’avoir quelqu’un de naturel en face d’elle. Moins gardé, moins sur la retenu. Comme une bouffée d’air frais. Elle est jolie sous les néons. Et vraiment Cherry regrette un instant de ne pas avoir gardé son carnet ouvert. D’un coup d’œil, et d’un coup de crayon elle aurait pu essayer de la saisir sur l’instant. Mais elle est polie Chaeryeong. Courtoise. Porte toute son attention sur elle, remarque sur sa propre maladresse au bowling. Ce n’est pas comme si elle était un cas désespéré, ce n’est juste pas son truc. Ça arrive. Et son corps ne semble pas vouloir s’aligner comme il faut. Elle rit plus en étant en retrait, spectatrice de ce tableau coloré aux lumières artificielles des néons. Oui vraiment. « Hm tout dépend du film ? Mais je suis moins difficile promis, pas comme certains. » Léger sourcil haussé, elle sait bien que dans le groupe il y en a qui sont en cinéma. Déjà prêt à encenser ou détruire un film selon leur avis personnel, grands critiques amateurs qui font sourire. La promesse de les bâillonner si l’un d’eux ose parler pendant la projection. Attention qui se porte sur son carnet, encore ouvert, sur la palette d’aquarelle refermée avec soin et elle sourit. Suppliant qu’on ne prévienne pas les autres, consciente qu’elle n’avait rien laissé derrière elle. Mais elle avait cette manie de devoir occuper ses mains. Et ce n’était pas comme si elle allait ramener un de ses futurs costumes au bowling. « J’ai toujours mon aquarelle sur moi. Et je dois dire qu’il y a un jeu de lumières assez intéressant. Même si clairement j’ai la tête comme un pot de fer. » Grimace et haussement d’épaule, son nom demandé en confirmation tandis qu’elle passe sa main dans ses cheveux. « Chaeryeong, mais tout le monde m’appelle Cherry. » C’est plus simple. Puis c’est son nom de cosplayeuse aussi. Reconnaissance que certains ont d’elle dans l’université quand on fréquente l’univers. Rire face aux attitudes de Sen, vraiment elle est jolie c’est un fait, elle a quelque chose qui attire l’œil, elle finit pourtant par lui tendre le carnet. Elle n’est pas du genre à vouloir montrer ses esquisses. Il y a un peu de tout dans ce carnet, rien qui ne mérite d’être caché, mais rien qui ne mérite d’être montré. Aucun orgueil à se prétendre l’artiste de génie de ce siècle. « C’est un peu fouillis, j’ai une très mauvaise organisation … Ah et si tu trouves des post-its dedans, laisse-les à leur place, je suis un véritable poisson rouge. » Et c’est à son tour d’être gênée, mais il n’y a rien de faux là-dedans. Cherry tête en l’air. Cherry qui n’a pas de mémoire, qui oublie tout. Ça a toujours été comme ça, et ce depuis toujours.

Elle est différente Cherry. Coréenne jusqu’aux bouts des ongles et pourtant des cheveux aussi blonds que les blés. Des rendez-vous chez le coiffeur tous les mois, et l’assurance que sa crinière reste en bonne état. Des souvenirs d’Ilseong qui la défendait plus jeune, parce qu’elle était pas comme tout le monde et que les enfants ça peut se montrer cruels. Jolie dans les critères de la société, son blond qui la rend irréelle. Mais à ses yeux, elle n’est pas transcendante, un peu comme tout le monde. Superficielle aux yeux de certains. Et la beauté de Sen qui s’accroche à ses rétines. Il y a quelque chose de troublant chez elle. Quelque chose qui lui donne envie de s’arrêter sur ses traits, d’arrêter le temps aussi. Juste pour pouvoir capturer cette expression, ses lèvres qui s’étirent lorsqu’elle prononce son prénom, l’éclat de ses yeux. Juste pour pouvoir capturer tout ça. Mais à défaut de la capturer elle dans des esquisses d’aquarelle, elle lui tend son carnet, ses doigts se refermant sur sa palette de peinture, laissant Sen devenir juge des instants qu’elle trouve sublime à immortaliser. Pas grande artiste, elle espère pourtant. Un jour. Juste pouvoir exposer. Quelques toiles. Juste avoir assez de talent pour que les gens s’arrêtent sur ses coups de pinceau, sur ce qu’elle a trouvé intéressant. Juste beau à vouloir garder dans sa vie. Et le compliment lui fait relever les yeux. Regards qui se croisent et ses joues qui se colorent, bien à l’abri sous les néons mensongers qui échange les couleurs et les rendent floues. « Ah … C’est encore très brouillon. Je suis spécialisée en … enfin. » Elle se tait, laisse les dessins parler pour eux. Elle se souvient bien de certains, du temps passé dans un parc avec juste un crayon à papier, de ces heures sur les toits de séoul à colorer la ville, de ces moments d’entre deux, des gestes, des éclats croqués en vitesse, des émotions, des adresses, des lieux à revoir. Parfois à l’étranger quand les conventions l’y emmènent. Parfois dans son quotidien, le sourire de son père, les rires d’Ilseong. Elle n’a pas une bonne mémoire Chaeryeong. Tente de combler le tout. La peur d’oublier toujours là entre ses côtes. « Ah … Ils ne t’ont pas dit ? » Sourire gêné, elle se rappelle souvent comment ils la pavanent parfois. Cherry cosplayeuse de talent. Si elle ne devient pas peintre, elle sera couturière. Ses mains comme les choses les plus précieuses pour elle. « Je fais de la couture ? Enfin … Du cosplay … Rien de transcendant. » Soudainement timide, n’aime pas forcément se mettre en avant.  Et la dernière question qui la surprend. « Ah … Bien sûr ? À l’université je traine souvent dans les ateliers … J’ai du mal à travailler chez moi … Pas assez de place. Puis Ilseong est envahissant et maladroit et énervant donc … Si tu veux passer ? » Sourire, elle veut la rassurer. Ça ne la dérange pas qu’on la regarde. Tant qu’elle peut travailler en paix. Juste ça. « Tu es dans quelle filière ? Parce que j’ai pas souvenir de t’avoir vu en cours avec moi ? Théâtre ? Cinéma ? Danse peut-être ? Tu as la silhouette pour. » Nouveau rosissement et elle récupère avec soin son carnet pour le remettre dans son sac avec sa palette, la peur de les oublier. Elle en serait bien capable Chaeryeong. Hélas.

C’est intimiste. Comme une scène sortie d’un rêve. Comme dans ces films d’auteurs, même ces blockbusters, l’impression que le temps s’arrête, les bruits autour d’elles mis en sourdine, et les couleurs qui paraissent plus vive. Le sourire pourtant de Chaeryeong comme quelque chose de tangible, ses joues colorés des compliments, de ses dessins montrés, l’impression de se mettre à nu un peu. Tant d’esquisses, d’idées qu’elle a laissé entre les pages de son carnet, le énième, les autres rangés dans les étagères de sa chambre, atelier,, qu’elle feuillette de tant à autres, l’espoir de retrouver une idée à coucher sur le canevas vide qui la tiraille, la raille. Et elle est presque timide Cherry sous les questions, presque, étonné que personne ne lui ait dit. Que si parfois elle disparaît de l’université, un jour, deux, c’est qu’elle est ailleurs. C’est qu’elle pose à une convention, c’est qu’elle explique ce qui la passionne dans le mouvement du tissu, le tomber d’un drapé. Et si sa mère dit à qui veut l’entendre qu’elle pourrait être interprète, qu’elle ira loin dans la vie, Cherry se voit dans un milieu plus fermé, artiste dans l’âme, elle a besoin de ça pour vivre. Questionnement sur son activité, la surprise sur ses lèvres, elle farfouille dans son sac de son côté avant de tirer une carte de visite. C’est presque un peu trop professionnelle qu’elle en vit. « Il y a ma page officielle … Et mon compte insta. Que je n’arrive pas à tenir à jour, je perds un peu trop mes identifiants, incapable de m’en souvenir. Si j’ai la mémoire des visages, pour le reste c’est catastrophique. » Rire, elle est un peu gênée, mais offre la carte sans mal, lui permet même de venir la voir, ouvrant les portes de son monde sans trop de difficulté étonnement. Et elle s’interroge Cherry, la curiosité autour du mystère de Sen. L’envie de la connaître, l’envie dans savoir plus sur elle. « Ilseong c’est mon ami d’enfance, il est professeur. Et absolument maladroit, entre ça et ma tête de linotte c’est à se demander comment on n’a pas encore mis le feu à l’appartement. » Des précisions qu’elle apporte sans souci, l’oubli plutôt que le mensonge, l’anneau qui pèse toujours contre sa gorge, ce mariage factice dont ils sont prisonniers, et dont leurs familles ne connaissent rien si ce n’est cette impression de conte de fée qu’ils offrent. Ilseong pourtant en proie aux affres de l’amour pour un autre homme, et elle qui erre sans jamais vraiment savoir qui elle aime, comment elle aime. « Du théâtre … Je veux bien ! J’avoue que je ne m’y connais pas beaucoup, si ce n’est des tragédies de se sont inspirés certains manga. » La comparaison bancale, et c’est à son tour de rougir, de bafouiller. Mais on les sauve un peu, la proposition du cinéma rappelé, et le regard sur les scores annonçant une partie finie. Chacun à déjà ses affaires, et le brouhaha semble s’animer comme une créature devenue humaine. Regard qui coule sur la belle, des étincelles de malice dans ses yeux onyx et elle se penche vers elle de connivence. « Ça te dit qu’on se fasse la belle ? Je connais un café sympa, un peu vintage, avec des performances parfois. » Le cinéma lui paraît loin, et c’est tranquille qu’elle range ses affaires, prenant bien soin de vérifier qu’elle n’oublie rien, du téléphone à sa peinture, liste papier qu’elle suit avec soin, sa mémoire comme une traitresse à chaque fois.