tell me (daw)

c'est une journée où les soupirs continuent d'être poussés. junsu fait mine d'écouter mais ses yeux papillonnent. il a envie de dormir. ce cours est barbant, peut-être la voix du professeur est-elle trop monotone. peut-être aussi que ça le lance parfois dans tout son corps; résultats de ses provocations. impossible de rire beaucoup ces jours-ci, ça fait un peu mal. il fait bien semblant mais la grimace n'est jamais trop loin. et dans ces heures ennuyantes passées à la fac, il pense à shen. son visage le hante régulièrement, il le fait sourire alors qu'il regarde béatement l'horloge. il attend la libération, il veut disparaître. pousser tout le monde pour quitter la salle de classe au plus vite. dans ses rêveries, il y avait un endroit qui revenait souvent. librairie confortable, il aime cet endroit. bien sûr, il n'y vient pas pour travailler. c'est trop mainstream, trop de temps perdu. junsu, il préfère s'intéresser aux humains. et l'un d'eux l'intrigue. il veut creuser, poser les questions interdites. ne pas baisser les yeux, ne pas ignorer ce qu'il ne devrait pas voir. il ne l'a jamais fait de toute façon. il dit toujours ce qu'il ne faut pas dire, ne sait pas se taire lorsqu'il le devrait. il est imparfait, évidence même. il sort dans les premiers, facile lorsqu'il n'avait même pas un crayon de sorti. et puis il presse le pas, il sourit aux oiseaux. imite leur chant parce qu'il le peut - arrogance qu'il leur rend. junsu, il siffle aussi. il hume des airs inconnus, il marche vers sa destination - prêt à tout conquérir. il passe le pas de la porte de la librairie. on veut faire stopper ses sifflements. il dérange tout, comme toujours. il s'excuse en appuyant bien sur chaque syllabe avant de s'enfoncer dans les lieux. et puis il s'installe, pose juste ce sac trop léger. il l'a vu, l'a repéré parmi les livres et les quelques étagères. il est curieux, comme un enfant. il le regarde quelques instants, questions qui fusent encore. et puis il se lève sans douter. il est certain qu'il arrivera à prononcer les mots, les interrogations. « salut. » il commence par le commencement. même s'ils se sont déjà vus plusieurs fois lorsqu'il venait feuilleter quelques livres, ils n'en sont pas au stade de l'amitié éternelle ou quoique ce soit. fond de la librairie, il peut parler sans baisser la voix. « je me suis toujours demandé mais comment t'as eu ça ? » sa main touche son propre cou, ses yeux désignent celui du garçon. il lui sourit, attend une réponse. il n'a rien de menaçant, il est juste animé par la volonté de savoir. il se pose contre une table à côté de lui, a les yeux qui alternent entre les livres et tout le reste. first step.

Chaque chose en son temps. C’est ce qu’il se répète, ce qu’il entend aussi. Il essaye de changer Daw. De prendre sur lui. Conscient qu’il ne sera pas différent en un jour. Il essaye Daw. Doucement. Il a repris le travail. La conscience qu’il avait le support de Huifan. Que Chulhei était à ses côtés aussi. Hyunseong aussi. Il n’était pas seul avec ses idées noires. Ce n’était pas facile pour autant. Il avait des moments plus difficiles. Rechutes. Des moments où ses doigts s’arrêtaient sur les cicatrices là sur le haut de ses cuisses, l’envie d’y planter ses ongles, de les rouvrir. Il y avait des moments où il avait envie de s’enfermer dans le noir, de disparaître, de ne pas exister. Mais il ne cède pas à ses démons. Daw pas si courageux, juste un peu trop peureux, trop lâche. Un peu trop fragile aussi. Il fait de son mieux. Aujourd’hui il est même venu travailler. Ombre silencieuse, il se perd entre les étagères de la vieille bibliothèque chronos, aux recoins multiples. Si le lieu est dans le quartier des étudiants, il arrive encore à trouver le calme entre l’odeur des livres neufs et les pages jaunis des manuscrits qu’on manipule avec soin. Ici il n’y a que des chuchotements comme mélodie pour guider ses pas, ombre silencieuse il observe les étudiants qui se perdent entre des piles trop grandes pour eux, tandis qu’il s’active à ranger le tout. Il aurait préféré travailler ailleurs. Une librairie, quelque chose de plus petit. Plus intimiste, tranquille. Mais sans diplôme, il devrait déjà s’avouer heureux d’avoir un travail. D’avoir quelque chose. Daw pourtant pas social. Le premier à vouloir fuir lorsqu’on l’aborde. Mouvement de recul lorsqu’il s’approche, le salut. Mouvement de tête en guise de réponse, il a déjà les épaules courbées Daw. Se faisant plus petit qu’il ne l’est, regard sur le sol. L’envie de fuir qui secoue presque ses membres. Il l’a déjà vu l’autre, étudiant sans doute. Il traine souvent dans la bibliothèque. Ombre comme une autre dans son monde. Mais voilà que les traits flous s’affinent et que l’ombre devient humain. Soudainement trop présent. La question qui le dérange. Son regard qui suit la main de l’autre, la crainte qu’on le touche. Mouvement de recul. Juste pour le voir pointer sa propre gorge. Et les doigts de Daw s’animent. Main qui se pose là sur le ruban qui cache la cicatrice, la crainte évidente qu’il ne soit plus là. Qu’on voit l’horreur. « Ce … n’est pas … important. » Daw il fuit. Esquive. Ses mots comme une vérité, la sienne. Daw il ne veut pas qu’on le prenne en pitié. L’impression qu’il a tout mérité. Juste qu’à cette blessure. Jusqu’à cette souffrance. Et sa voix qui restera à jamais un chuintement. Murmure brisé. « Tu … Vous … avez besoin d’un renseignement ? … Un livre ? » Esquive. Il tente, désespéré de détourner la curiosité du garçon.

les hésitations s'envolent plus rapidement qu'il ne l'aurait pensé. salutation rapide, jun qui ne s'éternise pas dans des politesses peu nécessaires. ils ont probablement le même âge, ou alors n'ont quelques années d'écart. ce n'est pas important, c'est rien du tout. après tout, les mots - ils s'envolent vite. ce ne sont pas des gestes, ils ne laissent que des traces mentales. il n'a pas de réponse verbale, seulement un mouvement de tête. il n'est pas de ces clients exigeants. il s'en contentera, l'appréciera à sa juste valeur. mouvement de recul qu'il perçoit, comme une distance qui se crée sans qu'il ne fasse rien. jun, il s'interroge. est-ce qu'il a été trop direct ? il ne saurait même pas dire. il ne pensait pourtant pas avoir fait de faux pas, ni même un quelconque pas. il est calme, étrangement même. il voit le regard fuyant, comme si le sol était plus bavard que lui. ce garçon, il l'intrigue. question qu'il pose sans imaginer la réaction en face. jun, il a cette stupide insouciance. peut-être qu'il l'a payée chère certains jours. les yeux de son vis-à-vis suivent son mouvement vers sa propre gorge. son geste est copié, comme si l'autre craignait que la marque ne soit visible. sa tête se penche instinctivement sur le côté. esquive. mais sa curiosité est sans aucune borne. « je suis curieux. » il renchérit, il persiste. veut délier la langue du garçon. il voudrait savoir s'il est comme lui, s'il y a eu des mains autour de son cou. des mains qui serrent, qui étouffent. il n'avait pas de trace physique de ces sévices-là, seulement des souvenirs de ses yeux qui papillonnent. son coeur criait, sommait l'oxygène de lui revenir. jun, il voyait la vie en morceaux, en bribes de souvenirs. il ne sait même plus à quoi il pensait. peut-être que ça n'avait pas d'importance. c'est une voix faible qu'il entend. une question qui retentit, comme s'il devait arrêter de chercher. jun, il comprend alors il répond sans aucun détour. « moi aussi.» moi aussi., ça se répète un instant. toujours appuyé contre la table, il continue. « moi aussi j'ai des cicatrices. » c'est un aveu mais son visage serait presque souriant. il est habitué à ça, à ce cirque lui ayant permis de supporter tout ça. faire semblant, un art. dans son cas, c'est devenu une habitude tant il s'est détaché. « je pourrais te les montrer mais je pense pas que le règlement de la librairie autorise la nudité. » il sourit à l'autre. ses yeux dérivent sur les livres. jun vient en déplacer certains, il observe leurs titres. passe ses doigts sur quelques pages. « tu ne risques rien tu sais. » pas avec lui, pas avec les secrets qu'il pourrait lui confier.

Daw il est comme un livre ouvert. L’attitude d’un animal sauvage, craintif. On sait sans savoir. On devine à ses épaules voutées qu’il n’a pas une bonne estime de lui. On devine à ses reculs qu’il craint les autres. À ses yeux baissés qu’on lui a sans doute rappelé de nombreuses fois. À quel point il dérangeait. À quel point il méritait son sort. Et lorsqu’on s’attarde un peu sur les détails, on devine à ses mains abimées, qu’il a souffert. On devine aux éclats de ses yeux qu’il a toujours peur. On devine à sa voix, qu’il est un rescapé. Mais sans gloire, aucune couronne à avoir survécu. Peur qui habite son corps jusqu’à la moelle de ses os. Peur qui se dessine, se montre dès qu’on l’approche. Mouvement de recul, juste un hochement de tête. Et des supplications silencieuses. Qu’on ne lui parle pas. Il ne sait pas y faire avec les gens Daw. Pas y faire tout court. Et lorsque sa gorge est montrée, c’est la panique. Le cœur qui s’affole dans sa cage thoracique, et sous ses propres doigts, le ruban qui rassure à peine cette angoisse hurlante qui lui ronge les sens. Panique. Daw, qui dénie la question, tant de changer de sujet, assurant que ce n’est pas important. Plus maintenant. Il ne veut juste pas s’en souvenir. Non s’il vous plait. Les cauchemars l’assaillent toujours, et sur sa gorge, l’immondice de ce qu’il est. Non. Et son vis-à-vis France. Ombre à visage humain. La curiosité comme raison. Mais des histoires que Daw ne veut pas partager. Ne peut partager. Flashbacks douloureux derrière ses paupières closes, juste un instant. Et le poids de la lame contre sa gorge. Il fait trop de bruit Daw. Trop. Lèvres mordues, la surprise qui le fige pourtant à la suite. ‘Moi aussi’. Qu’il dit. ‘Moi aussi’. Mais est-ce qu’il y a les mêmes histoires derrière leurs cicatrices, il en doute. Ne veut pas comparer. Il n’y a rien à comparer dans l’horreur humaine. « On … risque … toujours quelque chose. » Poids des secrets. Poids des traces laissés sur son corps. De son dos meurtris à sa gorge détruite. Des ses mains brisées, écrasées, à ses yeux remplis de fantômes. L’impression qu’il pourrait y retourner dans son enfer. Du jour au lendemain. Jamais vraiment parti. « Je ne veux … pas … en parler. » Il ne doit pas en parler. Nuance. Pas la peine d’exposer sa faiblesse. Son ignominie. Non.  « C’est du passé. » Si seulement. Et les éclats dans ses yeux assurent, que c’est encore bien présent. Que tout ça, il le subit encore. Et encore. « S’il vous plait … » Dernière supplique presque inaudible, ses murmures comme des lamentations.

Jun, il ne sait pas faire autrement que mettre les pieds là où on ne l'attend pas. Là où il ne faut pas. Il brave les interdits sociaux et tous les autres. Il se fiche des détails, il veut simplement savoir. Trouver quelqu'un comme lui. Envie égoïste, peu veulent partager mais il pense être plus fort que leurs peurs. Il le veut tellement que ça ne peut pas être impossible, pas vrai ? Ce garçon lui fait face et la crainte se lit dans ses traits alors qu'il n'est en rien un prédateur. Il entend ses mots, les comprend mais ne veut pas les accepter. « Pas quand on a vécu l'enfer tous les deux. » Peut-être que son enfer était plus rouge que le sien, que les monstres y étaient plus terribles. Il ne le saura pas si l'autre ne parle pas. Secrets entre eux, entre le monde et ces êtres aux vies ignorées de tous. Les masques sont tellement plus simples à mettre. C'est difficile de les défaire, de les laisser tomber un instant.

Je ne veux pas en parler.

Voix brisée mais qui s'élève tout de même, celle d'un survivant. Jun le sent, ses yeux inquisiteurs posés sur le garçon aussi. « Je peux parler. » Il peut seulement écouter, n'a pas besoin de dire un mot. Jun sait créer les conversations et les maintenir, talent hérité d'un probable ancêtre aussi unique que lui, comme dirait sa génitrice. Supplication qu'il entend, la voix trop faible. « Ils disent que ça aide d'en parler mais j'ai jamais pu dire un mot à qui que ce soit. » Ni avant, ni réellement maintenant. Qui l'écouterait ? Qui penserait que le bon monsieur myung se sert de lui comme d'un punching ball, casse et brise sans aucun remord parce que pour lui c'est normal. C'est plus facile de mentir, de peindre la joie sur son visage pour éviter les questions. De ne pas penser à l'absence d'amour de ceux qui l'ont fait venir au monde. « Tu lis pour oublier, pas vrai ? » Lui, il joue. Lui, il s'amuse de tout et n'importe quoi. Il n'a pas toujours l'esprit hanté par ça. Jun, il arrive à se dissocier. A faire comme si sa peau n'était teintée de rien, comme si son corps était encore vierge de toute trace. Il arrive à se mentir.

Monde hostile. Et Daw qui a des attitudes tristes. Les yeux baissés. Les épaules voutés. Et cette volonté de se faire petit, plus qu’il ne l’est, le corps qui naturellement se replie. Cette volonté de se faire absent, jamais un bruit, comme une ombre. Cette volonté de disparaître, Daw qui ne supporte pas l’attention des autres sur lui. Parce qu’il ne la mérite pas. Gamin non voulu depuis toujours, c’est dans une fatalité triste qu’il se dit qu’il a mérité tout ce qu’il a vécu. Qu’il a mérité la haine de son père, sa violence à travers ses mots, l’isolement qu’il lui a forcé à vivre. Qu’il a mérité de perdre sa mère, parce qu’il n’était pas un bon fils, elle n’aurait jamais été fière de lui. Qu’il a mérité son enfer dans les bas-fonds de Busan. Qu’il a mérité la mal contre sa gorge, les coups de fouet, les injures, la douleur. Qu’il a mérité qu’on lui brise ses doigts, qu’on lui brise ses derniers rêves. Qu’il a mérité tout ça. Même si l’autre, un étudiant sans doute, parle de l’enfer. Il ne sait pas ce qu’il a vécu. Il ne sait pas s’il veut savoir. Parce qu’il n’y a rien à comparer dans la cruauté humaine. Et il ne peut que le craindre. Parce que ceux qui savent, ils ont un pouvoir sur lui. Celui de le prendre en compassion, ou simplement de concevoir que oui il l’a mérité. Mais il ne veut pas en parler Daw, ne veut pas se souvenir. Rescapé de sa propre histoire, il a payé sa liberté, il a fui. Aucun courage, aucune couronne, il n’a pas vraiment survécu. Et depuis longtemps il a compris, qu’il n’avait pas l’étoffe d’un héros. Encore moins dans son histoire. « En quoi ça aide ? » De parler. À part ressasser l’horreur. À part se rappeler de l’infamie. À quoi ça sert de parler ? Les mots ne réparent pas les cœurs. Ils sont juste bon à rafistoler un peu, en attendant la prochaine blessure. Ses doigts qui glissent sur les lettres de la couverture du livre qu’il a en main, avant de le resserrer contre lui. Et le regard toujours baissé, la voix qui ne pourra plus jamais être plus haute qu’un murmure, il ne peut qu’avouer la vérité. « Les livres ont de meilleurs fins. » Comme une utopie triste. Il n’est pas le héros de son histoire et il sait que la fin de son récit sera une tragédie. Mais macabre, presque pathétique. Bien loin de celles de Racine. « Les personnages … méritent toujours le … bonheur à la fin. » Pas lui. Non surtout pas lui.