i placed you second (jaehee)

Ton téléphone vibre à de multiples reprises dans l’échange dérisoire que tu entretiens par message avec Huixi. Il accompagne ton heure de repas même s’il n’est pas physiquement présent, rendant la solitude un peu moins ennuyante même si tes livres trainent juste à tes côtés, l’un ouvert dans une tentative infructueuse d’avancer dans la matière à réviser pour l’examen à venir. Entre deux messages et bouchées, tu scrutes les alentours à la hâte, juste au cas où tu dénicherais une personne connue sur qui jeter ton besoin social même si tu sembles plutôt bien survivre par toi-même. Une nouvelle vibration sur la table attire ton attention vers ton téléphone, t’incitant à lire une nouvelle trouvaille amusante de ton ami et lui répondre par une phrase digne des classiques de bromance de l’internet.

Objet déposé à nouveau pour continuer de manger, tes yeux s’attardent sur deux lignes de ton livre de cours avant de se laisser tenter à plutôt épier les gens qui s’activent dans le secteur. Un coup d’œil rapide qui s’arrête subitement, fronçant les sourcils en arrêtant de mastiquer. Le temps en arrêt, analyse pressante qui cherche à te convaincre que tu te fais des illusions, que ce n’est pas vraiment Jaehee qui se tient à quelques mètres de toi. Peut-être juste quelqu’un qui lui ressemble, ce sont des choses qui arrivent, même si ton cœur s’est déjà enflammé pour un rien. Tu sais plus ou moins ce qu’il est devenu, le contact n’ayant pas été conservé. À l’époque, c’était plus facile ainsi, de juste obéir au jugement des inconnus dans une compliance stupide. Ton téléphone vibre à nouveau, mais ton attention ne déroge pas d’où elle est. Distraitement, tu recommences à manger même si plus les secondes défilent et plus tu es persuadé que c’est lui sauf que tu te vois assez mal tout bonnement l’interpeller.

De tous les scénarios un peu loufoques que tu as pu te faire dans les dernières années, tu n’avais pas songé une seconde à le croiser dans la cafétéria d’une université. Sans t’y attendre, tu as le malheur de croiser son regard et ton reflex premier inexpliqué est de fermer le livre à tes côtés.

Le temps passé à l’université est compté, tes priorités sont autres et tu sais que le diplôme que tu tente d’avoir ne sera qu’une ligne supplémentaire sur un cv jamais utilisé, ta destinée étant déjà toute tracée. Pourtant les cours sont obligatoires et même si ton sourire de permet de déroger à certaines règles, les périodes d’examens n’en font pas partie. C’est ce qui explique ta présence en ce lieu presque maudit aujourd’hui.

Alors que tu récupère ta nourriture, servie de façon peu élégante par le personnel, avec une moue dégoutée, tu scrutes les alentours à la recherche d’un espace où te poser. Les éléments s’accumulent pour que tu n’aies pas beaucoup d’amis. Les vêtements que tu portes sont trop chers, même pour un étudiant en droit, et les autres étudiants se doutent que quelque chose de louche se trame derrière l’empire qu’à créé ton père, la plupart des gens savent aussi que t’approcher peut-être synonyme d’ennuis ou de coeur brisé. Cela rend la tâche encore plus difficile, il faut éviter les jaloux et les conquêtes d’une nuit mais en pleine heure de pointe, on ne peut pas non plus faire les difficiles.

Alors que ton regard balaye la foule, il s’attarde sur une personne seule qui lit un livre, un sentiment de familiarité inexpliqué naissant en ton sein. Et puis la réalisation se fait enfin, de tous les personnes que tu as croisées -et cherché à éviter-  tu ne te serais jamais attendu à poser le regard sur lui.  Alors que les images de nuits enflammées et de promesses d’un amour éternel réapparaissent dans ton esprit, ton coeur passant en surchauffe, c’est le bruit sec d’un livre qui se ferme qui te fait sursauté, allant jusqu’à en lâcher ton plateau qui se perd sur le sol avec un bruit fracassant. Tes joues s’embrasent alors que tu sens les regards posés sur toi, dans l’un des rares moments où tu a perdu le contrôle en public, il fallait que cela arrive ici, maintenant.

Les options sont peu nombreuses, fight or flight, mais la décision est prise pour toi lorsqu’une des personnes travaillant dans la cafétéria te hurle de ramasser ce que tu as fait tomber. Tu t’exécutes donc, le regard fixé sur le sol, en espérant que l’embarras passe et que lui aussi s’en aille tout en songeant aux papiers nécessaires pour faire un transfert d’université.  

Le nord se perd, surprise placardée sur ton visage comme le gamin qui se fait prendre avec la main dans la jarre à biscuits. Les souvenirs reviennent au galop, le tout se teintant des regrets enfouis pour mieux les mettre de côté dans ce que tu croyais être part entière de ton passé. En théorie, rien ne t’empêche de détourner la tête, de baisser les yeux et faire comme si tu ne le connaissais pas, ou que sa présence est digne de celle d’un inconnu, mais tu ne peux pas. Tu es surtout au premier rang pour le voir devenir le centre d’attention alors que son repas termine sur le plancher et que l’un des employés un peu aigri ronchonne rapidement.

Tu pourrais aussi faire comme tout le monde et reprendre tes activités, tourner l’œil en allant jusqu’à ramasser tes affaires pour disparaitre avant qu’il ait terminé de ramasser son dégât et faire comme si vos chemins ne venaient pas de se croiser. Tu pourrais, certes, mais ce n’est pas l’option retenue par tes trois neurones actives. Objets personnels et ton propre lunch oubliés derrière pour porter secours, ton hésitation te coûte toutefois d’arriver sur le tard. Pour le coup, tu sers un peu à rien outre faire semblant de participer en ramassant le plateau vide – geste qui a au moins l’avantage t’occuper tes mains sans quoi tu ne saurais trop quoi en faire. « Are you alright? » Question idiote, il ne s’est pas blessé ni rien, probablement seulement son ego qui a souffert dans cet accident. « Wait… Let me just… » D’une main, tu le débarrasses des déchets pour tout rassembler dans le plateau et prendre en charge de tout jeter puisque personne n’a envie de manger quelque chose qui a trainé sur le plancher d’une cafétéria universitaire.

Un sourire se placarde naturellement sur tes lèvres dès que tu parviens à reprendre le contact visuel, les années qui séparent les derniers souvenirs et pourtant le stress se dissipe en un instant sans que tu ne comprennes vraiment pourquoi ou comment. « I know their food isn't the best quality around, but it's not a reason to throw it on the floor. » Blague utile ou inutile, tu la préfères à un drôle de silence dans lequel tu ne fais que l’observer intensément, trop conscient que tu n’as oublié aucun détail de son visage depuis le temps.

Alors que tu t’attelle à ta tâche, fruit de ta propre bêtise, tu penses à l’initiateur de ton embarras. Jamais dans ta vie tu n’avais expérimenté une telle surprise, et pourtant en y réfléchissant ce n’est pas si surprenant. Jihyuk est jeune et a parfaitement sa place à l’université, sans doute plus que tu ne l’as toi. Et si tu pensais qu’il avait pris la voie des études courtes, well, peut-être que tu t’es trompé, après tout, tu n’as pas gardé contact avec lui, pas après ces mois que vous avez passés ensemble. Et tu te revois, seize ans à peine, le coeur brisé par une séparation non voulue, à te promettre que plus jamais cela n’arriverait et que les gens pouvaient bien aller se faire voir.

Tu n’ose pas lever les yeux, le voir rendrait cet évènement bien trop réel, alors qu’une main se faufile dans ton champs de vision afin de ramasser le bout de plastique déchu avec une question bienveillante. C’est fou comme le son de cette voix te coupe le souffle. Tu l’avais presque oubliée, après tout ce temps, pourtant tu la reconnaitrait entre mille. Incapable de répondre, tu te contente de lui jeter un regard. Mauvaise idée.  Son sourire est toujours aussi éblouissant et toi, tu retournes sept ans en arrière, au gamin paumé que t’étais et que t’es peut-être toujours un peu, et qui aurait fait n’importe quoi pour voir ce sourire encore une fois.

La blague coupe le silence gênant et t’arrache un faible rire, comme un réflexe vite remplacé par l’amertume de toutes ces années gâchées.
« Really? That’s all you have to say? Fuck you, Hyuk, fuck you » les mots dépassent peut-être ta pensée, mais l’intensité de son regard t’es difficile à supporter et même si tu sais que c’est pas vraiment de sa faute, tu ne peux t’empêcher de le tenir quelque peu responsable pour ce que tu es devenu, celui qui t’as pris ton coeur et ton innocence, et qui est parti sans rien rendre.  Tu te relève enfin et te trouve encore une fois chamboulé par tout ce qui se passe autour de toi, tous les regards qui sont fixés sur toi, sur vous. Maintenant que t’es là, autant manger, tu penses avant de te diriger de nouveau vers le self et de reprendre ton déjeuner, comme si tout allait bien, même si une voix de plus en plus forte dans ton cerveau te dis de rentrer chez toi et de ne plus jamais revenir ici.  

Réflexion incertaine face à ton implication, tu ne sais pas précisément ce à quoi tu t’attendais comme réaction de sa part après tout ce temps. C’est un peu, beaucoup, de ta faute après tout si vous en êtes devenus à ne plus rien représenter pour l’autre. Pression trop forte, regard trop insistant, l’inconfort de l’adolescent qui supporte mal d’attirer l’attention et qui a préféré s’avouer vaincu sans même chercher à se battre davantage. L’option facile, laissant derrière des regrets parce qu’il faudrait être bête pour croire que ton esprit ne se laisse pas souvent divaguer à imaginer ce que vous pourriez être aujourd’hui si tu n’avais pas décidé de faire plaisir à des inconnus. Il te rappel cette mauvaise décision, celle principale que tu changerais sans hésiter si on te donnait la possibilité de revenir en arrière, mais en même temps il y a eu tellement de tournants entre cette page et celle présente que tu n’es pas certain que vous étiez prêt pour ces épreuves. L’histoire des si qui ne connaitront jamais de réponses précises, seulement des hypothèses.

Le rire se suit d’insultes déconcertantes et le sourire s’efface de tes traits pour le fixer sans saisir la situation. Enfin, non, tu comprends ce qui le pousse à te répondre de la sorte, à se braquer devant ta piteuse tentative de faire comme s’il n’y avait pas d’arrière-goût amer. Familier avec le sentiment de se sentir laissé derrière, agir aussi naturellement n’était certainement pas l’approche la plus réussie malgré ta bonne volonté. « Yeah, sorry… » Le stress ne manque pas de revenir aussitôt, de piquer sous la peau en se jumelant à un malaise grandissant qui te fait abaisser les yeux vers le sol. Cette image de lui jure avec celle conservée au fond de ta mémoire dans un doux souvenir parfait, un rappel cruel à la réalité qu’il ne te doit rien, qu’il n’a aucune obligation. Étrangers d’aujourd’hui, tu te sens comme un bel imbécile de t’être mêlé de cette histoire, alors tu te contentes d’un hochement de tête rapide en signe de départ, jugeant qu’il est préférable de le laisser tranquille même si une part de toi se meurt de le toucher pour lui proposer d’au moins passer les dix prochaines minutes avec toi. Trop lâche, tu ne dis finalement rien avant de retourner piteusement à tes affaires, la main qui cherche aussitôt le téléphone pour ignorer les dernières conneries de Huixi et plutôt partager ce que tu viens de vivre dans un ramassis de mots manquants et de points d’exclamations. Action terminée, tu n’as plus assez faim pour poursuivre ton lunch, préférant loger ton attention sur Jaehee. Ça ne sert plus à rien de flirter avec la subtilité, autant profiter de cette occasion probablement unique pour mettre à jour l’image que tu te faisais de lui.

Les excuses lâchées par Jihyuk et son air de chien battu te font instantanément regretter tes paroles. Il a toujours eu un don pour ça, il est le genre de personne contre lesquelles tu ne peux pas rester énerver bien longtemps. La tristesse lui va si mal et pourtant toi, tu estimes une part de légitimité dans ton venin. L’eau a coulé sous les ponts certes, mais la réalité est importante aussi. Tu ne veux pas tout rejeter sur lui mais il est indéniable que s’il n’était pas parti à ce moment précis de ta vie, tout aurait été différent. Tu n’aurais pas eu à faire face à toutes ces épreuves seul ou presque, tu ne serais pas devenu la personne que tu es aujourd’hui. Tu aurais sans doute pu conserver un semblant d’innocence et d’espoir en la vie en général. Pourtant il est parti, pour ne jamais revenir, et pour lui faire l’affront de sortir avec quelqu’un d’autre, un autre garçon, un ami, quelques mois après. Le souvenir de cet épisode ravive un peu plus le feu destructeur qui se cache en lui, perpétuel conflit entre le fait de lui en vouloir, de continuer sur sa route et de lui dire ses quatre vérités ou d’essayer de tempérer les choses et de ne pas céder à l’impulsivité plus qu’il ne l’a déjà fait. Tu pourrais aussi passer ton chemin et partir, sans rien faire.

Néanmoins là, dans la file d’attente, tu sens encore les regards appuyés des autres étudiants et surtout le sien, intense et brûlant et ça te rend anxieux, agité et déterminé à faire quelque chose pour qu’il s’arrête enfin. Alors tu prends ton déjeuner et tu te diriges vers la table où il est assis, les doigts nerveux sur le clavier de son téléphone. Tu tires la chaise avec une violence qui t’étonne toi-même, le crissement résonnant dans la salle comme si elle était vide et non animée de dizaines d’étudiants.
Tu ne sais pas par quoi commencer, les pensées confuses alors que tes lèvres se désespèrent  de deux choses: insulter sa famille sur dix générations ou capturer les siennes. There is no in between. Pourtant tu prends une grande respiration et ferme les yeux quelques secondes.
« So, what’s up, I guess. What are you doing here? I thought you were a mechanic or something. »

Tu essaie de contrôler ta voix pourtant les paroles qui sortent sont tout de même sèche. Tu dois sans doute passer pour un bon fils de riche, hautain et qui regardent de haut ceux qui travaillent de leurs mains.

« I mean, not that there’s anything wrong with that. I’m a drug dealer, I can’t judge » tu essaie de te rattraper, et lâches ces mots avec un rire nerveux. Probablement pas le genre de choses à dire dans une cafétéria bondée, mais bon.
 

La scène rejoue comme un souvenir déjà amer dans le fond de ta mémoire. Idiot de ta part, tu ne sais toujours pas ce à quoi tu t’attendais comme réaction de son côté, surtout pas en sachant que la séparation fût ta faute et que tu n’avais pas hésité à te jeter autre part dans un manque de respect flagrant. Il y a des choses de ton passé que tu regrettes et d’autres aucunement, bien que certaines soient préférables de ne pas être mentionnées en sa présence. Tu le fixes, silencieusement, sans bouger. Prédateur épiant sa proie sans réelle motivation ou mieux à faire malgré l’envie qui te démange de prendre la fuite tant désirée, l’option soufflée au creux de ta conscience comme dans une évidence que tu refuses. Malgré tout, ton attention se dérobe de sa silhouette quand il s’approche, croyant faussement qu’il va passer son chemin en t’ignorant jusqu’à ce que la chaise face à ta personne soit tirée dans un bruissement des pattes contre le sol. Ton téléphone se retrouve aussitôt face contre la table, à distance raisonnable tandis que tu n’es pas trop certain de la raison qui puisse le motiver à revenir vers toi. Tu ne l’admettras pas de vive voix, mais un picotement heureux s’arrache sous ton épiderme à le voir de nouveau devant toi, si près, incapable de contenir le sourire niais qui renait sur ton visage.

Le ton haineux ne s’efface pas de ses propos, expression heureuse sur tes traits diminuant d’intensité aussitôt tout en abaissant les yeux vers tes mains jointes sur la table. Un sourcil s’arque, rire subtile qui s’échappe tandis que tu crois à une mauvaise blague même si, franchement, t’es assez bien convaincu qu’il ne joue pas à un jeu. « I’m just going to pretend I didn’t hear that. » Principalement parce que ce n’est pas l’image épurée que t’as conservée de lui, celle un peu peaufinée par les années pour faire croire que rien ne clochait. « But yeah, I’m still a mechanic. » Courte pause avant de finalement relever le regard pour croiser ses iris qui suffisent à faire tourner toute logique en bouillie. Amour d’adolescence, le premier, celui qui a su obtenir la majorité de tes premières expériences sur tous les plans. Doué pour aisément retourner vivre dans le passé, l’oubli momentané de la conversation pendant que tu écoutes les déboires de ton affection qui plonge sans hésiter vers les tréfonds. Et c’est ridicule que tu te dis, impuissant face à cette réalité qui se ramène en réalisant que l’espace entre tes paroles s’étire. « You know what they say: it’s never too late to learn something new. » Tu ris, nerveusement cette fois-ci. Ça n’a rien d’un échange confortable, part de gêne creusée au fond de ton estomac qui refuse de s’en aller. Tu t’en tirerais probablement mieux si tu parvenais à faire fi des raisons pour lesquelles vous en êtes là aujourd’hui. Des airs de mensonges après tout ce temps, des excuses que tu n’as jamais pu lui formuler par faute de vos chemins qui n’ont pas raté la chance de se séparer. Alors, tu te racles la gorge, regard qui glisse un peu, qui esquive le sien sous le poids de la honte et des regrets. « I’m sorry. » Sorti de nulle part, un soupire vient éclipser l’ombre restante du sourire sur tes lippes. « I’m sorry I hurt you back then and it was one of my many dicks moves. I should have apologized before even if it doesn’t mean a lot, I know. » Sans être fan du fameux dicton mieux vaut tard que jamais tu voudrais te convaincre que c’est un pas dans la bonne direction, mais tu restes surtout persuadé que ce n’est que de remuer le couteau dans la plaie.